Abécédaire des turbulences financières edit

10 septembre 2007

A comme acteurs, B comme banques centrales, C comme crise et contagion : tenants et aboutissants de la crise du subprime.

A comme acteurs et produits financiers

Aa : subprime. Les turbulences ont trouvé leur origine dans les subprime, ces prêts immobiliers initialement destinés à la population américaine qui n’a pas accès aux prêts conventionnels. Alors que les subprime représentent environ 15% de l’encours des prêts immobiliers, ils constituent plus de 40% des nouveaux prêts accordés en 2006 et 2007. Une catégorie intermédiaire, entre prêts conventionnels et subprime, les Alt-A, se caractérisent par des taux variables (et généralement très faibles sur les 2-3 premières années) qui vont ensuite évoluer avec les taux observés. En période de croissance des prix immobiliers, au fur et à mesure que taux et prix augmentent, les plus-values potentielles sur l’immobilier permettent à l’emprunteur de renégocier favorablement les conditions de son prêt et maintenir des remboursements corrects. La machine s’enraye lorsque les taux montent et pas les prix, ce qui se passe depuis plus d’un an maintenant, les remboursements deviennent insupportables. En outre, le peu de justificatifs de revenus demandé pour l’obtention de ces crédits ouvre la porte à plus de fraude que pour les prêts conventionnels. Dans l’impossibilité de rembourser, de plus en plus d’emprunteurs se font saisir leur propriété dont la valeur de revente ne couvre pas le montant du prêt, ce qui conduit en fin de compte à la faillite des institutions de crédit dont l’activité porte quasi-exclusivement sur ces emprunts.

Ab : titrisation, produits structurés (CDO et SIV), effet de levier. Les problèmes sur les « subprime », a priori modestes, ont pu se propager aux marchés financiers plus largement par le biais du développement de la titrisation. Les entreprises de prêts immobiliers (des banques, mais aussi beaucoup d’institutions quasi dédiées à ces activités de prêt immobiliers non conventionnels), ne se contentent pas de prêter sur leurs fonds propres. Pour accroître leur activité, elles « revendent » les emprunts immobiliers à d’autres institutions financières ; le cash reçu leur permet de continuer à financer des emprunts. Les institutions financières revendent ces dettes à d’autres investisseurs. Le détenteur de l’emprunt reçoit les remboursements de l’emprunteur tous les mois. Généralement, l’investisseur n’achète pas cette dette risquée à haut rendement seule : il l’achète en combinaison avec d’autres dettes, moins risquées mais au rendement plus faible (des dettes d’entreprises, dites CP ou ABCP, ou des crédits à la consommation). La combinaison est un produit, qui offre un rendement meilleur que de la dette simple, et au risque mitigé par la non corrélation des probabilités de défaut de ces différentes dettes. La structuration de ces combinaisons consiste à organiser le risque de défaut, avec des « tranches » de ces combinaisons plus ou moins risquées. Les CDOs (Collateralised Debt Obligations), titres de dettes émis par une structure ad hoc, souvent un véhicule de titrisation, qui achète et détient des obligations émises par des entreprises ou des banques (Collateralised bond obligation) ou des prêts bancaires (Collateralised loan obligation) sont un exemple typique de ce type de produits. Devant la complexité de structuration de ces produits, les investisseurs comme les institutions financières distributrices ont fait appel aux agences de rating pour noter les tranches de ces combinaisons et la combinaison totale.

Un SIV (Structured Investment Vehicle) permet à une entreprise de lever de la liquidité à court terme, et donc à bas prix en temps normal, pour financer des investissements de long terme, à meilleur rendement en temps normal). Les investissements réalisés sont généralement des achats de long terme de « bon » rendement, par exemple des instruments de crédit notés AAA ou AA, ou des CDOs ou d’autres produits du même type. Le financement de ces achats se fait en émettant de la dette de court terme, dont la valeur est garantie par la qualité intrinsèque du propriétaire du SIV (lorsque la dette est émise par le propriétaire directement, on parle de Commercial Paper) mais souvent la valeur de la dette émise par le propriétaire est aussi garantie par un panier d’autres titres financiers, comme de la dette émise par un vendeur d’emprunts immobiliers. Lorsque la garantie de la dette levée est apportée par le propriétaire du SIV et d’autres actifs, on parle d’ABCP (Asset Backed Commercial Paper). Le SIV est un véhicule ad hoc, hors bilan financier.

On a alors le fameux effet de levier : l’endettement à court terme est très peu cher, les rendements à moyen terme sont d’autant augmentés que l’endettement est important et l’apport en fonds propres faible. Mais le levier va dans les deux sens : la perte potentielle au cas où les actifs se révèlent moins rentables est multipliée par l’existence de cette dette à rembourser. Ainsi tout investisseur peut accroître sa trésorerie sans vraiment accroître ses fonds propres. En outre, pour d’autres investisseurs, tels que les hedge funds, il arrive que les banques créatrices des SIV s’engagent à fournir de la liquidité si les conditions de marché mettaient un sérieux frein à la levée de liquidité par ce moyen, dans une limite fixée par contrat ; c’est ce qu’on appelle de la backstop liquidity.

C comme confiance, contagion et crunch

Les turbulences résultent avant tout d’un manque de confiance avec un effet de contagion, qui a abouti à une crise de liquidités et dont on craint qu’elle ne débouche sur un  credit crunch.

Cc : catalyseur. Au début de l’été, les défauts de prêts subprime publiés par la Mortgage Banker’s Association s’envolent au-delà des analyses usuelles ; parallèlement, des organismes de crédit (tels Countrywide) avouent des difficultés importantes liées à ces défauts de remboursement. Le marché prend conscience d’avoir sous-estimé les risques de défaut des dettes liées aux prêts subprime ; les agences de notation commencent à dévaluer les notes précédemment attribuées à ces prêts et aux tranches de produits structurés contenant ces prêts : le doute s’installe sur l’ensemble des produits liés aux  subprime.

Cd : propagation. Début août, certains fonds ont admis de larges pertes. Du doute, le marché est passé aux craintes, dans un climat d’information réduit : il n’y a pas de données publiques sur la détention d’actifs liés aux subprime. On se retrouve alors dans un cas classique de manque d’information où le marché a des difficultés à établir un prix.
 
Ce : évasion de la liquidité. Comme lors de toutes les turbulences financières déclenchées par un manque d’information et un doute important sur la qualité d’actifs, les investisseurs réagissent en vendant les actifs risqués pour acheter des actifs plus sûrs, c’est un flight to quality. En pratique, les actifs liés de près ou loin aux subprime sont mis en en vente alors que l’offre d’achats diminue, les prix s’effondrent (au point que certains fonds ont été gelés plutôt que de réaliser des pertes substantielles), et parallèlement, la demande d’actifs plus sûrs (au premier chef, les emprunts d’Etat) explose.

Nombre d’entreprises, financières ou non, se financent à court terme en émettant de la dette, soit pure, soit adossée à d’autres actifs (qui peuvent être les CDOs, ou par l’intermédiaire de SIV, mais dans une moindre mesure). Ce financement de court terme requiert que des investisseurs veuillent bien prendre sur leur bilan la dette de court terme émise et en retour prêtent de la liquidité. En période de crise de confiance, ce mécanisme est sérieusement enrayé, les prêteurs se faisant rares. S’ensuit une situation où nombres d’acteurs financiers s’efforcent de trouver de la liquidité, ou conservent celle dont ils disposent. La pénurie se déplace sur les prêts au jour le jour, puis à 1 mois, 3 mois etc.

B comme banque centrale

Ba : assurer la stabilité financière. La mission la plus connue des banques centrales est d’assurer une inflation des prix faible, mais au quotidien les banques centrales fournissent également les liquidités nécessaires à un fonctionnement sans heurt des marchés, elles assurent la « stabilité financière ». En cas de crise, les banques centrales sont des prêteurs en dernier ressort ; elles fournissent les liquidités nécessaires aux banques et autres institutions financières pour assurer le fonctionnement normal de l’économie.

Face au manque de liquidités, les banques centrales ont donc joué leur rôle de prêteur en dernier ressort. Elles ont apporté et mis à disposition de la liquidité, aux maturités nécessaires, et en acceptant en garantie des titres sur lesquels pèse la suspicion la plus forte, donc des CDOs, des ABCP… etc.

Be : et l’économie « réelle » ? L’économie « réelle » peut souffrir des turbulences actuelles pour deux raisons. La première est que le taux élevé de défaut sur les emprunts immobiliers américains est le reflet d’une crise dans le secteur immobilier, entraînant pertes d’emploi et moins-values immobilières. Ces effets se transmettent au secteur financier. Au total, le consommateur s’étant appauvri, il dépense moins, ce qui ralentit le taux de croissance de l’économie américaine. Ensuite, face à des craintes sur la solvabilité des emprunteurs et pour contenir leurs pertes, les institutions financières réduisent leur offre de crédit (on a un credit crunch), ce qui réduit encore l’investissement et la consommation.

Bi : impact sur les taux. Aujourd’hui les fondamentaux économiques sont bons : la croissance est forte, les entreprises ont des trésoreries riches en liquidité, et les marchés du travail se portent globalement bien. Le consommateur se porte donc aussi plutôt bien, et ceci depuis plusieurs années. Avant les turbulences financières, les banques centrales américaines et européennes étaient dans un cycle de remontée des taux, afin de contrer toute surchauffe de l’économie qui entraîne de l’inflation. Les banques centrales ne repasseront à une stratégie de baisse des taux que si elles détectent un vrai risque de ralentissement économique. Une baisse des taux libérerait des liquidités pour les institutions financières, les entreprises, les consommateurs, mais aussi pour les investisseurs qui auraient pris des risques mal mesurés. Sans signal de ralentissement sérieux, les banques centrales ne baisseront pas les taux pour éviter de soutenir des investisseurs en difficulté à la suite de décisions hasardeuses. Elles ne veulent pas donner le sentiment que les investisseurs peuvent prendre des risques inconsidérés en toute impunité.

Des chiffres pour conclure

En comparant les probabilités de défaut avec l’expérience historique, tenant compte des émissions massives du subprime en 2006 et début 2007, nous estimions à la fin juillet que les pertes directement liées aux subprime pour les banques pourraient atteindre $60 bn, sur 4 ans. Ce chiffre est à comparer aux profits des banques aux Etats-Unis qui se sont élevés à environ $140 bn l’an passé. Aux Etats-Unis, les emprunts immobiliers et les CDOs représentent environ 40% des collatéraux d’ABCP ; le montant total des ABCP US s’élève à $1300 bn.

Au total, les chiffres apparaissent modestes en regard du montant des réserves bancaires et de la capitalisation boursière globale. C’est l’absence d’information plus que les chiffres, qui conduit les agents financiers à sur-réagir. Les turbulences risquent de se prolonger pendant quelques mois, le temps que l’information manquante remonte à la surface avec la publication des résultats bancaires et des autres institutions financières, et avec la publication des données de défaut immobilier.