L’OMC, l’Europe et les OGM edit

20 février 2006

La question des OGM jugée en ce moment à l’Organisation mondiale du commerce oppose les Etats-Unis, le Canada et l’Argentine (les plaignants) à l'Union Européenne (le défenseur). Le 6 février 2006, le panel OMC a communiqué aux parties ses conclusions préliminaires ; celles-ci ne modifieront pas le cadre juridique dans lequel l’Union Européenne prend des décisions sur les OGM. Les commentaires suggérant le contraire se sont tout simplement trompés.

En effet le différend porté devant l’OMC concerne trois catégories de mesures : un moratoire général de la Communauté européenne sur l’approbation des produits biotechnologiques, pris en 1998 ; différentes mesures communautaires spécifiques portant sur l’approbation de certains produits biotechnologiques ; et enfin les mesures de sauvegarde prises par les Etats membres de l’Union pour interdire certains produits biotechnologiques.

Les plaignants affirment que ces mesures contreviennent aux règles de l’OMC. Le sujet du différend n’est donc pas la sûreté des produits biotechnologiques ; ce n’est pas non plus qu’ils ressemblent à leurs équivalents traditionnels et doivent donc être soumis aux mêmes règles ; ce n’est pas davantage que la Communauté européenne ait ou non le droit d’exiger l’approbation de produits biotechnologiques ; et ce n’est pas, enfin, que les procédures d’approbation de la Communauté européenne, qui prévoient une évaluation produit par produit exigeant l’évaluation scientifique des risques potentiels, soient ou non compatibles avec les règles de l’OMC.

Il faut ensuite analyser calmement et prudemment les conclusions du panel.

En ce qui concerne le moratoire général sur l’approbation des produits biotechnologiques, le panel a établi que la Communauté européenne l’a bien appliqué, mais seulement de juin 1999 à août 2003. Par ailleurs, s’il ne s’agissait pas d’une mesure sanitaire ou phytosanitaire de l’accord SPS (Sanitary and Phytosanitary Measures) de l’OMC, le panel note que le moratoire a affecté des procédures d’approbation de la Communauté européenne qui sont, elles, des mesures mentionnées dans l’accord SPS. Les juges considèrent en revanche que le moratoire général n’a pas respecté les délais des procédures d’approbation individuelle, et que la Communauté européenne a ainsi agi en contravention avec l’accord SPS. Mais comme le panel a constaté que le moratoire n’est plus en vigueur (depuis 2004, neuf produits biotechnologiques ont été approuvés), cette question n’a plus d’importance aujourd’hui.

Les plaignants soutenaient aussi que le moratoire violait un certain nombre d’autres obligations de l’accord SPS, mais le panel a rejeté tous leurs arguments.

En ce qui concerne les mesures spécifiques de la Communauté européenne pour certains produits, le panel a examiné le cas de 27 produits. Pour 24 d’entre eux, parmi lesquels certaines variétés de maïs, de betterave sucrière et de coton, les procédures d’approbation ont connu des « retards indus ». Concrètement, cela signifie que la Communauté européenne doit achever ces procédures au plus vite ; mais cela ne signifie en rien qu’elle doive approuver l’utilisation des produits en question. Quant aux autres arguments des plaignants sur les mesures spécifiques, ils ont là aussi été rejetés par le panel.

En ce qui concerne les mesures de sauvegarde prises par certains Etats membres, le panel a noté qu’elles adoptaient la forme d’interdictions unilatérales (par l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie ou le Luxembourg), mais que la Communauté européenne qui avait, elle, approuvé les produits incriminés n’était pas en cause. En donnant raison aux plaignants, les juges ont constaté qu’aucune des mesures de sauvegarde prises par les Etats membres n’était fondée sur une évaluation du risque conforme à celle requise par l’accord SPS. De surcroît, le panel considère qu’elles ne rentrent pas non plus dans le cadre des mesures temporaires prévues dans l’Accord SPS, parce que dans ce cas précis les preuves scientifiques étaient suffisantes pour lancer une évaluation des risques.

Considérant donc que l’accord SPS n’a pas été respecté, le panel a recommandé à la Communauté européenne de mettre les mesures de sauvegarde prises par les Etats membres en conformité avec ses obligations contractuelles de l’accord SPS. La Commission européenne ne devrait pas en disconvenir ; on sait bien en effet qu’elle a essayé sans succès dans le passé d’amener les Etats membres à retirer leurs mesures de sauvegarde sur les produits qu’elle avait elle-même approuvés. Elle trouve ainsi dans les conclusions du Panel un appui à ses propres positions.

Cela étant, cette affaire n’est sans doute que la première d’une longue série, et il est probable que la législation actuelle de la Communauté européenne sur les OGM soit un jour attaquée devant l’OMC. Cela sera l’occasion de débattre sur le droit des Etats membres à édicter leurs propres règles en la matière, et sur les limites des règles de l’OMC. On voit déjà se profiler des disputes sur la traçabilité et l’étiquetage exigés par l’UE.