Au-delà du New Labour ? edit

1 octobre 2010

La conférence annuelle du Parti travailliste britannique qui s’est tenue cette semaine a été marquée par le discours inaugural de son nouveau dirigeant, Edward Miliband. Le scrutin qui l’a porté à la direction du parti a été extrêmement serré : il a fallu quatre tours pour l’élire. Et le favori n’était autre que son frère David, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Gordon Brown. Soucieux d’apaiser les vives tensions de cette campagne interne, Ed Miliband a tenu son premier discours dans un esprit de réconciliation. Le quotidien The Guardian a loué son choix de perpétuer la veine réformiste et centriste qui fut celle de Tony Blair dans les années 1990. D’autres médias l’ont au contraire surnommé Ed le Rouge. Où mènera-t-il le New Labour ? Et quel peut être le futur de la gauche britannique ?

L’élection de Miliband survient à un tournant pour les Travaillistes. En 1997, Tony Blair avait mené le parti à sa première victoire électorale depuis les années 1970, le ramenant au pouvoir après dix-huit ans de domination des Conservateurs. Au pouvoir pendant treize ans, le Parti travailliste est peu à peu devenu le parti de l’establishment. Une génération de jeunes Britanniques n’a jamais connu qu’un gouvernement travailliste, comme cela avait été le cas avec le long règne des conservateurs entre 1979 et 1997. Tout a changé en 2010 quand le parti a perdu les élections législatives. Certes incapables d’obtenir à eux seuls la majorité au Parlement, les conservateurs ont dû former une coalition avec les Libéraux-Démocrates. Mais pour la première fois depuis plus d’une décennie, le Parti travailliste devait leur céder le pouvoir.

Il est trop tôt pour dire si l’arrivée d’Ed Miliband à la tête du parti atteste le renouveau de la gauche britannique. Lui-même s’est présenté dans son discours comme le représentant d’une « nouvelle génération », et son succès s’explique surtout par le fait qu’il apparaît personnellement comme un homme neuf, dont l’image n’est pas liée de trop près aux deux grandes figures qui ont dominé le parti ces dernières années. Son concurrent Ed Balls était par exemple vu comme le protégé de Gordon Brown, et son frère David Miliband passait pour l’incarnation des Blairistes : après des années passées au côté de Blair sans jamais s’être présenté à une élection, il a été parachuté dans une circonscription sûre en 2001, pour connaître à partir de ce moment une ascension fulgurante, entrant au gouvernement comme ministre junior un an seulement après son élection à la Chambre, pour prendre en 2007 du portefeuille des Affaires étrangères. David Miliband était un fervent défenseur de l’héritage blairiste : à ses yeux si le parti a perdu les élections, c’est parce qu’il s’est éloigné des fondamentaux du New Labour. Ed Miliband, par contraste, a été perçu comme n’appartenant ni à l’équipe de Blair, ni à celle de Brown. Pour beaucoup de militants travaillistes, sa principale qualité est précisément de ne pas avoir trempé dans les intrigues du pouvoir, et d’être ainsi capable d’amener le parti à dépasser l’ère Blair/Brown. On peut d’ailleurs sourire de cette posture d’homme neuf, car Ed Miliband a quand même été l’un des ministres du dernier gouvernement Brown. Mais telle fut l’impression qu’il a donnée dans sa campagne pour la direction du parti.

Mais dans quelle direction veut-il mener son parti, voilà qui est loin d’être clair. Surnommé « Ed le Rouge » par certains médias britanniques, il a affirmé que c’était une bêtise, précisant dans son discours qu’un soutien inconditionnel aux grèves décidées par les organisations syndicales était hors de question. Mais il n’a guère été précis sur la politique qu’il entend défendre. Une bonne partie du discours a consisté en une réévaluation critique du bilan du New Labour. Appréciant positivement le début des années Blair, Miliband considère que le gouvernement a commis une erreur dans sa réforme des droits d’inscription universitaires. Il pense aussi que la Grande-Bretagne n’aurait pas dû participer à la guerre en Irak. Il y avait quelque chose de curieusement insulaire dans son discours, et plus généralement dans la conférence : une bonne partie de la discussion a été menée par des militants désabusés et désenchantés, se demandant ce qui s’est passé exactement ces dernières années et comment le parti a pu perdre ses repères. L’isolement du parti par rapport à la société est l’héritage des années Blair. La caractéristique la plus frappante du Parti travailliste n’était pas alors sa doctrine, qui était au mieux assez mince. C’était plutôt la loyauté envers le chef, « The Man » comme le nomme Chris Mullin dans ses mémoire irrévérencieux sur son expérience de ministre de Blair (A View From the Foothills, Profile Books, 2009). Organisé autour de la foi en un individu et non d’une doctrine cohérente, le Parti travailliste a souffert énormément à la suite de l’erreur de calcul historique de Blair sur l’Irak. La liste de bons et de mauvais points attribués par Miliband aux différents gouvernements travaillistes atteste un besoin profond au sein du Parti de faire le point, après cette histoire d’amour que fut le blairisme.

Le Parti travailliste est ainsi à la croisée des chemins. Le New Labour était né de l’abandon de vieux principes travaillistes, comme la fameuse clause 4 qui promettait de nationaliser l’industrie. Adapter le parti à un âge post-idéologique fut la mission historique de Tony Blair. Un des aspects de cet aggiornamento fut de se détacher de sa base sociale traditionnelle, la classe ouvrière, et ce mouvement a laissé beaucoup de militants et d’électeurs incertains de ce qu’ils défendaient ou plus exactement de qui ils représentaient. Aujourd’hui, avec des mesures d’austérité qui se traduisent par des coupes sombres dans le budget de l’État providence, un espace s’ouvre pour une politique plus partisane : Miliband a évoqué à plusieurs reprises la nécessité de tenir une ligne plus dure sur le secteur financier, et de s’assurer que les restrictions budgétaires ne se feraient pas au détriment de la croissance et de l’emploi. Mais il semble clair que Miliband ne va pas revenir sur les transformations structurelles qu’a connues le Parti travailliste depuis le début des années 1990. Miliband a parlé du besoin d’une « nouvelle politique », mais son vocabulaire évoque plutôt l’ancienne. On pouvait s’en douter : Ed le Rouge fut aussi le principal auteur du programme électoral du Labour pour les élections de 2010.