Juncker: un plan pour quoi faire? edit

26 janvier 2015

Trop pingre, trop flou, trop artificiel… C’est en ces termes que l’on critique le Plan Juncker de relance par l’investissement.

315 milliards d’euros, c’est une enveloppe qui n’est pas à la hauteur des besoins et des urgences. La transition énergétique, la diffusion du numérique, les infrastructures transfrontières, l’investissement dans le capital humain requièrent des investissements d’un montant bien supérieur et dont l’utilité est incontestable. De plus nul ne sait ce qui sera financé, infrastructures traditionnelles intenses en BTP ou immatérielles, intenses en intelligence. Des catalogues de projets existent certes, mais rien qui puisse constituer une liste prête à l’emploi. Enfin les 315 milliards ne seraient que la vision très grossie d’un programme d’investissement qui ne mobiliserait que 21 milliards d’argent communautaire (6 milliards en capital et 15 milliards en garanties), le reste venant de la dette contractée par la BEI (63 milliards) et par d’autres concours publics ou privés ! La relance européenne serait donc une tromperie.

Ces objections ont leur mérite mais la seule question qui vaille n’est pas posée : le plan Juncker est une réponse, mais à quelle question ?

S’agit-il de mobiliser une ressource financière trop rare ? On sait que ce n’est pas le cas. Jamais la ressource financière n’a été aussi abondante et aussi peu coûteuse. L’Allemagne peut s’endetter à cinq ans à des taux négatifs, la France, L’Italie et l’Espagne peuvent s’endetter à dix ans entre 1 et 2%. Il n’y a donc pas de problème de financement, ni pour les pays réputés vertueux, ni pour les pays considérés comme laxistes. On ne voit donc pas quelle vertu aurait une mutualisation de la dette européenne pour financer des projets réputés utiles.

Y aurait-il alors des besoins spécifiquement européens qui justifieraient l’usage d’un argent européen ? Là aussi la réponse est doublement négative. D’une part la BEI est déjà à l’œuvre et d’autre part on peut financer des projets européens soit par du capital privé, soit par du capital public sur un mode coopératif. Les infrastructures électriques européennes transfrontières peuvent parfaitement être financées par des fonds privés à condition que certaines garanties soient fournies ou par des fonds publics nationaux sur un mode coopératif, à condition que les exploitants publics puissent contracter.

Faudrait-il enfin en passer par l’UE pour disposer d’une liste de projets de qualité et immédiatement réalisables ? Mais là aussi les besoins identifiés et les procédures nationales existantes ne justifient pas particulièrement le recours à un plan européen. Pour ne prendre qu’un exemple les projets de transport du Grand Paris, le plan numérique, le soutien aux startups, la sélection d’universités d’excellence, la création d’instituts de recherche technologique dans la chimie verte, les bio-sciences… existent et sont gérés, pour une large part, dans le cadre du « Programme Investissements d’avenir » issus du Grand Emprunt.

On le voit le projet d’une mutualisation européenne de l’investissement ne se justifie ni par le manque de financements, ni par la pénurie de projets nationaux, ni par l’évidence de besoins collectifs européens.

Pourquoi en est-on venus à envisager cette grande opération européenne, alors qu’il aurait été si simple d’inviter les Etats à faire le nécessaire ?

La première raison est éminemment politique. Le Plan d’Investissement est au cœur de la stratégie Junker de relance de l’Europe par la croissance, l’activité, l’emploi. Elle est même au cœur de l’alliance qui a permis son élection comme président de la Commission par le Parlement Européen. Pour réenchanter l’Europe et faire en sorte qu’elle soit perçue autrement que comme « un camp de redressement », il fallait un projet mobilisateur associant l’initiative de la Commission, l’argent communautaire et des grands projets technologiques et d’infrastructures. Cette initiative est d’autant plus importante qu’elle contribue à rééquilibrer la politique européenne qui en privilégiant à l’excès la règle d’or budgétaire a fini par casser la timide reprise de 2011.

La deuxième raison est institutionnelle. Des initiatives nationales d’investissement buteraient nécessairement sur les règles de Maastricht et du TSCG. Le Plan Juncker aurait cette éminente vertu de prodiguer de la dépense européenne financée par de la dette européenne c’est à dire échappant à la comptabilité maastrichienne. Bref, le Plan Juncker, ce serait le rêve réalisé d’une dépense quasi-gratuite pour les finances publiques nationales.

La troisième raison est symbolique, le Plan Junker s’inscrit dans cette longue liste des plans d’investissement européens dont le Plan Drèze Malinvaud Delors a été le modèle. L’investissement européen crée une personnalité financière européenne, stimule la croissance et donne des raisons d’identification aux citoyens européens.

La dernière raison a trait au financement privé d’infrastructures publiques. Force est de reconnaître que l’aversion au risque reste élevée, que la peur de l’arbitraire politique dissuade l’investisseur, et que les variations réglementaires sont contraires aux horizons longs d’investissement des gestionnaires des fonds d’infrastructure. Le Plan Juncker apporte aux investisseurs la sécurité, la prévisibilité et la couverture des pertes liée à l’instabilité réglementaire et tarifaire. Il suffit de rappeler ici la gestion par le Gouvernement Français de l’affaire Ecomouv ou des palinodies sur les tarifs électriques pour comprendre les réticences du privé.

Ces raisons essentiellement politiques militent fortement pour le Plan Juncker. Mais à vouloir faire fond sur de tels arguments, on s’expose à revivifier les oppositions européennes entre ordo-libéraux allemands et keynésiens français.

Qu’il s’agisse du Pacte de Stabilité, de la règle d’or budgétaire ou de la politique actuelle de réduction du déficit structurel, la France s’est régulièrement battue pour que le C de croissance ou le I d’investissement viennent compléter le S de stabilité, avec le succès que l’on sait : les victoires sémantiques n’ont guère eu d’effet substantiel. Pour les ordo-libéraux il n’y a pas d’argent gratuit, pas de dette européenne autonome et pas de contrepartie à la simple maitrise des finances publiques. On se souvient des proclamations du chancelier Kohl sur la dette européenne qui revenait en pluie fine accroître les dettes nationales.

La décision prise lors du premier sommet présidé par Donald Tusk qui entérine le Plan Juncker mais qui en fait un véhicule piloté par la BEI et géré en fonction des critères de la BEI et en pleine conformité avec les exigences du Pacte de Stabilité et de Croissance ne changera rien ni à la conjoncture, ni à la marche de l’Europe, ni à la renaissance de l’idée européenne.

Faut-il ranger le Plan Juncker au cimetière des projets avortés, n’y a-t-il vraiment rien à faire au niveau européen ?

Un Plan Juncker a minima devrait comporter trois éléments : des garanties pour les investisseurs privés contre l’instabilité réglementaire, une comptabilisation non-maastrichienne des investissements labellisés européens mais financés par des ressources publiques nationales et une enveloppe de fonds dédiée à l’investissement immédiat pour lancer des projets déjà sélectionnés. Quant à la gouvernance du nouveau fonds on peut s’inspirer du modèle français des investissements d’avenir qui repose sur l’appel à une expertise indépendante, sur une contractualisation de moyen terme et sur des dispositifs d’évaluation conçus ab initio.

À ces conditions on peut espérer donner malgré tout un petit signal de relance et commencer à résister à la montée des populismes.