Une nouvelle élection autoritaire à Singapour edit
Les élections législatives du 11 septembre 2015 ont constitué une surprise pour beaucoup d’observateurs de la vie politique de la cité-Etat de Singapour. La surprise provient non pas de la victoire du People’s Action Party (PAP), qui était attendue, mais de l’ampleur de cette victoire après les résultats décevants de ce parti aux élections législatives de 2011. Il faut donc tenter de comprendre les facteurs qui expliquent le sursaut opéré par le PAP en 2015. De plus, ce sursaut conduit à s’interroger sur les élections dans les pays qui sont souvent qualifiés d’hybrides (Larry Diamond) ou de semi-autoritaires (Marina Ottaway), et sur les moyens utilisés par les dirigeants autoritaires pour conserver et maintenir leur pouvoir. Enfin, il conduit à remettre en cause les conceptions traditionnelles de la politique comparée sur les relations entre la réussite économique et le changement politique. En effet, l’exemple de Singapour montre que la forte croissance économique ne conduit pas nécessairement à la démocratie.
Le 11 septembre 2015, suite à la dissolution de la Chambre des Députés prononcée par le chef de l’Etat singapourien, et à la tenue d’élections législatives anticipées, les électeurs devaient se prononcer sur le maintien au pouvoir du parti en place depuis 50 ans, le PAP. Le mode de scrutin est majoritaire à un tour. Tous les sièges étaient contestés. Le parti au pouvoir présentait des candidats dans les 13 circonscriptions à un siège et les 16 circonscriptions de représentation de groupes (« group representation constituencies »). Il a obtenu 69,86% des voix et 83 députés appartiennent à ce parti. Il est donc important de noter que l’opposition a malgré tout obtenu un peu plus 30% des voix et 6 députés. Le résultat permet au PAP de retrouver son niveau électoral des élections de 2007. Il montre que le parti a réussi à surmonter le fléchissement constaté lors des élections de 2011. Lors de ces élections de 2011, le PAP avait notamment perdu non seulement des voix, mais aussi des sièges. Pour la première fois, un parti d’opposition réussissait à obtenir quelques sièges au parlement.
Le sursaut opéré par le PAP en 2015 s’explique par le rassemblement de plusieurs facteurs. D’abord, les élections législatives ont été avancées à la suite de la dissolution demandée par le gouvernement pour tenter de profiter de deux évènements qui ont marqués la vie de la cité-Etat. Il y a d’abord le décès de l’ancien premier ministre Lee Kuan Yew, considéré comme le père de la nation. Il y a ensuite le 50e anniversaire de l’indépendance de la cité-Etat, après l’échec de la fusion avec le pays voisin, la Malaisie. Ces deux événements ont été l’objet de manifestation de fierté nationale et de loyauté personnelle pour l’action de Lee Kuan Yew, dont le fils Lee Hsien Loong se trouve être le Premier ministre et le leader du parti au pouvoir. Le succès électoral du PAP est certainement à rechercher du côté de ce sentiment de fierté ressenti par une grande partie de la population singapourienne.
La réussite électorale du PAP s’explique aussi par les politiques sociales de redistribution suivies depuis 2011, qui ont permis de satisfaire les revendications des citoyens sur le logement, les salaires, la santé et l’éducation. La satisfaction des citoyens a facilité le choix d’une population de classes moyennes en faveur d’un gouvernement qui a démontré sa capacité à répondre efficacement à ses demandes. Le sentiment de bien-être d’une large partie de la population, né des succès de la politique économique, est un facteur primordial d’explication. Mais il montre aussi qu’une population satisfaite des résultats économiques d’un gouvernement est susceptible d’oublier ou d’atténuer ses revendications en faveur de plus de droits politiques et de démocratie.
Enfin, la réussite électorale du PAP s’explique par les conditions dans lesquelles s’est déroulé le scrutin. La faible durée de la campagne électorale, le remodelage constant des circonscriptions électorales, le contrôle du gouvernement sur les moyens d’information et les inégalités financières entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition sont des facteurs politiques qui ont fortement favorisé le succès électoral du PAP. La presse subit de nombreuses pressions. Les ressources publiques favorisent le parti au pouvoir. La commission électorale manque d’indépendance. Le rôle du parlement est réduit. Le développement des réseaux sociaux, notamment chez les jeunes, n’a pas constitué le substitut espéré par certains observateurs.
Le résultat obtenu par le PAP lui permet donc de renforcer sa légitimité pour continuer à gérer le gouvernement de la cité-Etat. L’évolution du système politique singapourien constitue un démenti de la conception traditionnelle de la politique comparée qui lie la forte croissance économique et l’expansion de la démocratie.
La comparaison avec les autres pays asiatiques montre que ces pays sont devenus progressivement démocratiques parce que leurs dirigeants autoritaires ont souhaité garder le pouvoir sans conserver le régime autoritaire. Ce type d’évolution a commencé au Japon à la fin des années 1940. La Corée du Sud a connu un fort développement économique à partir des régimes militaires depuis les années 1960, ce qui a permis à ce pays d’opérer une transition en douceur vers le retour à un régime civil de plus en plus démocratique. Taïwan a suivi le même chemin : un processus de démocratisation a accompagné les succès économiques importants. Le régime de Tchang Kaï-chek s’est démocratisé progressivement. Or, en Corée du Sud, le Grand Parti National, un parti conservateur qui est l’ancêtre de l’ancien parti unique du dictateur Park Chung-hee, est revenu au pouvoir et l’occupe actuellement sous le nom de Saenuri, tout comme le vieux parti du Kuomintag (KMT), qui a retrouvé la direction du pays en 2008, après l’avoir cédé pendant une courte période (2000-2008).
La démocratie ne vient pas seulement quand les peuples font tomber les dictatures. Elle peut venir quand les régimes autoritaires s’aperçoivent que les citoyens les soutiennent pour leurs réussites économiques et non pour leur autoritarisme. Le PAP pourrait devenir un parti dominant démocratique comme ceux qui existent désormais au Japon, en Corée du Sud et à Taïwan. Il pourrait décider d’évoluer progressivement vers plus de démocratie. Des élections ont lieu régulièrement, elles sont compétitives, mais autoritaires en même temps. Il lui faudrait éliminer les nombreuses contraintes qui limitent les possibilités d’action de l’opposition et de la société civile.
Car la stabilité du pays est réelle, malgré la diversité ethnique et l’influence de la communauté chinoise. Singapour est devenue une des sociétés les plus riches au monde, pendant que le PAP était au pouvoir. Ce n’est pas par hasard que les Chinois sont intéressés par l’évolution du modèle de Singapour. Deng Xiaoping était venu se rendre compte de la réalité de ce modèle en 1978. Malgré la différence de taille, la Chine a beaucoup à apprendre de Singapour. Mais toute une série de phénomènes s’y déroulent, sans équivalent en Chine. Contrairement à ce qui se passe à Singapour, la Chine ne pratique pas les élections, elle n’a pas de partis politiques autres que le Parti communiste, et pas d’opposition. Singapour fait quelques pas en direction de la démocratie, mais la Chine n’a toujours pas pris le départ du processus vers la libéralisation et la démocratisation.
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