Les enjeux financiers des municipales edit

12 mars 2020

A quelques jours du premier tour des élections municipales, il est utile de rappeler les enjeux financiers de ces échéances. Les représentants des 34 970 communes et des 1258 intercommunalités à fiscalité propre dépensent près de 160 Md€ par an soit 12% de la dépense publique totale. Ils décident de projets et des services publics locaux qui ont un impact direct sur notre vie quotidienne mais aussi sur l’économie nationale (le bloc communal assure près de 40 % de l’investissement public total).

Les élus du scrutin à venir auront des capacités d’action. Les communes et plus encore leurs intercommunalités disposent de marges significatives dans l’allocation de leurs moyens même si elles ont été réduites par la progression des charges fixes (le secteur communal concentre plus des 4/5 des 1,7 millions de fonctionnaires territoriaux). France Stratégie a montré dans une note récente que la structure des dépenses du bloc communal en France était plutôt moins rigide que celle de leurs homologues dans l’Union européenne. Elles sont par ailleurs plutôt en bonne santé financière, malgré la progression de l’endettement, et dégagent une capacité de financement depuis 2016.

Ces moyens et ces marges de décision importants s’appliqueront à des périmètres profondément rénovés. Pour la première fois de l’histoire, les élections municipales interviendront dans des communes appartenant toutes, à l’exception résiduelle de quatre îles mono-communales, à des intercommunalités. Le développement de la coopération intercommunale a été encouragée par les majorités gouvernementales successives depuis les années 90. Financièrement, il s’agit de mieux faire coïncider les territoires où les contribuables locaux résident, votent et payent leurs impôts, avec les territoires où ils travaillent, consomment et utilisent la plupart de leurs services et équipements publics.

Généralisées, les intercommunalités coïncident aussi davantage avec les bassins de vie. Leur nombre a pour cela été divisé par deux en dix ans avec une forte accélération suite à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi NOTRe ») qui a porté le nombre d’intercommunalités de 2062 à 1266 EPCI au 1er janvier 2017.

Elles assument des compétences décisives au regard des enjeux sociaux et environnementaux contemporains et assurent pour cela une part croissante de la dépense publique, 1/3 de l’investissement public communal en 2018 (11 Md€).

Niveau pertinent d’action pour nombres de préoccupations clé des concitoyens (urbanisme, logement, développement économique mais aussi la gestion des déchets ménagers, de l’eau, de l’assainissement...), les intercommunalités devraient théoriquement être au coeur des campagnes municipales. Ce n’est pourtant pas le cas, puisqu’elles restent souvent cantonnées à un rôle de gestion quand elles ne sont pas perçues comme une menace face à laquelle les communes sont un rempart.

L’absence de désignation par un véritable suffrage universel direct des élus communautaires (désignés par fléchage à partir des listes municipales) renvoie trop souvent la gestion des projets portés à cette échelle à des arrangements entre élus dans des conditions de transparence et de contrôle démocratique peu satisfaisantes. Au-delà, les règles régissant le fonctionnement des intercommunalités, très protectrices des intérêts communaux, limitent leur capacité de décision avec des pactes financiers initiaux corsetés par les allocations de compensation aux communes membres difficiles à modifier.

L’examen des pactes financiers qui seront conclus dans les prochains mois donnera des indications précieuses sur l’ambition des projets de territoires. Il sera également intéressant d’analyser les pratiques qu’elles mettront en place pour améliorer le contrôle démocratique et la participation citoyenne à tous les niveaux (communication autour de l’action intercommunale, organisation de conférences des maires dans les intercommunalités, mise en place de budgets participatifs infra- communaux...).

Enfin, les relations entre le bloc communal et les régions devraient se renforcer dans les années à venir. A l’issue de la réforme territoriale, les régions disposent de capacités d’action accrues tant en termes de compétences que de moyens financiers. Ces marges nouvelles, soulignées par la Cour des comptes dans son dernier rapport sur les finances locales, devraient conduire les régions à intensifier leurs relations avec les intercommunalités en relai de leurs propres politiques.

Les futurs mandats locaux s’exerceront par ailleurs dans un cadre financier davantage intégré au niveau national. Les règles européennes d’équilibre des finances publiques concernent l’ensemble des administrations publiques. Cette approche revêt une forme d’évidence car les mêmes citoyens sont à la fois contribuables locaux, nationaux et assurés sociaux. Augmenter les prélèvements finançant une administration publique (la dépense sociale pèse le plus lourd dans notre pays) préempte les marges de financement des autres. Contraindre les dépenses ou les recettes d’un secteur peut reporter des charges sur les autres ou présenter des contradictions (comme dans les années 2000 avec des baisses d’impôts nationaux contrebalancés par l’augmentation de la fiscalité locale).

L’imbrication est d’autant plus importante que l’État assure de facto un rôle de collecteurs d’impôts pour le compte des collectivités territoriales (comme il le fait aussi pour l’Union européenne). Le budget de l’État pour 2020 prévoit ainsi un montant de transferts financiers au profit des collectivités territoriales de 116 Md€ qui sont autant d’impôts (et de déficit) nationaux transférés ou partagés avec les collectivités territoriales.

Cette approche intégrée se concrétise depuis la réforme constitutionnelle de 2008 dans l’adoption de loi de programmation des finances publiques. C’est dans ce cadre que l’État a réduit de 11 Md€ ses concours financiers aux collectivités territoriales entre 2014 et 2017. Ce faisant, il incitait les collectivités territoriales à modérer leurs dépenses et il réalisait une économie nette très importante dans son budget.

L’actuelle loi de programmation pour les finances publiques pour la période 2018 – 2022 a retenu un autre dispositif avec la stabilisation des concours financiers de l’État en contrepartie du déploiement de contrats entre l’État et les 322 plus grandes collectivités représentant 62 % des dépenses locales. Ces contrats (dits « de Cahors ») déclinent au niveau de chaque collectivité un objectif d’évolution de leurs dépenses de fonctionnement limitée à 1,2 %, modulé dans des marges étroites pour chaque d’entre elles en fonction de critères traduisant les spécificités locales. Leur objectif premier est de contraindre les collectivités du bloc communal à modérer leur masse salariale. Les collectivités ou groupements n’atteignant pas cet objectif sont susceptibles d’être pénalisés d’une reprise financière égale à 75 % du dépassement (100 % pour les collectivités qui ont refusé la contractualisation soit près d’une sur six en 2018 dans le bloc communal).

La Cour des comptes a donné un avis globalement positif sur cette contractualisation après une première année d’application au cours de laquelle les dépenses des collectivités concernées ont reculé de 0,3 %. Mais des interrogations demeurent. La contractualisation étant en effet intervenue relativement tard en 2018, le résultat s’explique peut-être davantage par les baisses de dotations passée. L’exercice reste par ailleurs marqué par des difficultés techniques (il n’intègre pas certains budgets locaux) et pourrait produire des effets pervers (par exemple pénaliser les partenariats et les mutualisations). Surtout, il ne sera pas évident pour l’État, et notamment les préfets de département qui signent et suivent ces contrats, d’assumer de sanctionner des collectivités qu’ils sollicitent par ailleurs pour soutenir telle ou telle priorité nationale ou pour boucler le tour de table financier de projets locaux.

La démarche reste toutefois intéressante car elle promeut un débat responsable, au-delà des postures nationales habituelles résumant la gestion locale à une « gabegie » de la part d’élus locaux peu responsables ou à une série de « mauvais coups » donnés par un État forcément jacobin à des collectivités naturellement vertueuses. Elle complète le débat déjà existant entre l’État et les collectivités territoriales sur la maîtrise du coût des normes imposées par la réglementation nationale (la circulaire du premier ministre du 28 juillet 2017 impose aux administrations la suppression de deux normes existantes pour une norme nouvelle créée). Même si d’importants progrès restent à accomplir (l’évaluation n’est pas le point fort de nos administrations), un système de pilotage concerté sur le modèle de celui défendu depuis des années par le professeur Michel Bouvier semble émerger.

Ces débats se retrouvent également en matière fiscale. Depuis le milieu des années 90, la tendance est à la baisse de l’autonomie fiscale des collectivités locales. La suppression en deux temps de la taxe professionnelle, en 1999 pour la part salaire puis en 2009 pour le reste, et la suppression programmée d’ici à 2023 de la taxe d’habitation sur les résidences principales (22 Md€ d’impôts en moins) transforment le système fiscal local.

L’iniquité ou l’inefficacité économique de ces impôts étaient contestées de longue date. L’absence de revalorisation des bases de la taxe d’habitation (et du foncier bâti) et la multiplication des mesures législatives d’exonération ou dégrèvement ont vidé de leur sens des impositions dont l’État était devenu le premier contributeur.

Ces évolutions simplifient notre système fiscal. Elles sont en ce sens cohérentes avec les objectifs d’amélioration de l’attractivité de notre économie et avec la réduction du format de notre administration fiscale (la gestion des taxes locales étant très lourde). La substitution d’impositions nationales partagées ou non avec l’État offre de surcroît des garanties de progression des recettes fiscales réparties de manière homogène entre les collectivités (attribution au 1er janvier 2021 d’une part de TVA, imposition dont les recettes ont progressé en moyenne de 2,8 % par an depuis 1995, en complément de la part de foncier bâti des départements transférée au bloc communal).

Elle interroge toutefois en ce qu’elle distend le lien entre les citoyens – contribuables locaux– et leurs élus. La réception chaque année de son avis d’imposition à la taxe d’habitation était l’occasion pour chacun de s’interroger sur la qualité des services publics locaux et leur coût. C’était aussi une corde de rappel pour les municipalités qui devaient assumer les augmentations d’impôts devant leurs électeurs. La concentration à terme de la fiscalité locale à pouvoir de taux sur les propriétaires (les communes pourront toujours moduler les taux de la taxe sur le foncier bâti et de la contribution foncière des entreprises) pose questions : quelle sera la lisibilité pour les administrés locaux ? Quelles seront les répercussions d’éventuelles hausses sur le niveau des loyers ? Quels seront désormais les freins à l’augmentation de la fiscalité pour les municipalités ?

Le débat sur la fiscalité locale n’est d’ailleurs pas clos, le gouvernement ayant annoncé son intention de réformer dès cette année la fiscalité économique, sont visés les impôts locaux pesant sur la production, dans le but de favoriser les activités industrielles.

Ces quelques développements illustrent l’importance des enjeux financiers attachés aux élections à venir. Deux questions complexes sont aujourd’hui posées : quel doit être l’équilibre entre la promotion des intercommunalités, échelon pertinent pour nombre d’actions publiques, et la préservation de la vitalité des communes ? Comment concilier la maîtrise globale de nos finances publiques et le maintien de marges, et donc d’une responsabilité, des élus sur leurs finances ?

Des évolutions, notamment des modalités d’élection plus directes des élus communautaires apparaissent souhaitables. Au-delà, l’enjeu est que nos différentes institutions publiques nationales et locales entrent dans une logique de coopération, sans doute différenciée selon les territoires. Il faut souhaiter que le nouvel acte de décentralisation annoncé par le président de la République pour 2020 permette de progresser en ce sens.