Le capitalisme à la Mittal edit

14 février 2006

La carte du capitalisme mondial est en train de changer à grande vitesse. Les multinationales des pays émergents s’imposent désormais sur la scène internationale. Si depuis quelque temps déjà les noms des sud-coréens Samsung et LG étaient déjà connus du grand public, d’autres acteurs font désormais irruption à leur tour sur la scène internationale. Ainsi, en 2005, le géant chinois Lenovo s’est fait une place au soleil des firmes multinationales en gobant les PC de l’américain IBM. Début 2006, c’est au tour du géant Mittal, basé à Amsterdam mais dont le capital est d’origine indienne, d’acquérir une notoriété internationale en portant son dévolu sur l’européen Arcelor. Ces exemples ne sont pas cependant des cas isolés, bien au contraire.

Ils ne sont en fait que de la partie immergée d’un iceberg aux dimensions imposantes, une myriade de firmes se bousculant aux portillons de marchés jusqu'à présent dominés pas les firmes des pays OCDE. Outre Lenovo, la Chine aligne d’ores et déjà une dizaine de firmes qui de Minmetals à Baosteel en passant par Huawei multiplient les accords dans d’autres pays émergents d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. Quant aux géants émergents indiens, outre Tata ou encore Reliance, les firmes technologiques comme Infosys ou pharmaceutiques comme Ranbaxy commencent à étendre leurs marchés au-delà de la seule péninsule indienne. L’Asie n’est pas cependant la seule région du monde d’où émergent les nouveaux acteurs d’un capitalisme international qui est en train de changer de centre de gravité.

En 2005, les entreprises mexicaines et brésiliennes ont ainsi multiplié de manière spectaculaire les incursions internationales. Qu’il s’agisse des groupes tels que le mexicain Telmex (qui multiplie les acquisitions dans tout le continent latino-américain) ou encore du brésilien CVRD, qui a lorgné un temps sur le français Eramet (une opération estimée à plus de deux milliards d’euros), cette effervescence confirme une tendance de fond : l’émergence sur l’échiquier international des multinationales des pays émergents, et en particulier des multinationales latines, les multilatinas. Cette émergence est confirmée de fait par la simple observation du dernier classement mondial du magazine Forbes : dans sa liste des 2000 principales entreprises mondiales figurent désormais près d’une vingtaine d’entreprises mexicaines et autant de brésiliennes.

En moins de dix ans, les compagnies mexicaines auront ainsi multiplié les fusions et acquisitions, le montant total des opérations s’élevant à plus de 25 milliards de dollars, loin devant les 20 milliards déployés par les firmes brésiliennes qui elles aussi amorcent avec entrain la course à l’internationalisation. En 2004, les firmes latino-américaines ont investit plus de 22 milliards de dollars en dehors de leurs respectives bases nationales, soit une progression de 500% par rapport à l’année précédente.

Depuis une décennie, on assiste à l’émergence de multinationales mexicaines à l’exemple du cimentier Cemex qui talonne aujourd’hui sans complexes les deux leaders mondiaux européens, Lafarge et Holcim. En 2005, à peine dix ans après son essor, Cemex dispose de filiales non seulement en Amérique latine mais également aux Etats-Unis, en Angleterre, en Espagne ou encore en Egypte. Bien avant le géant Mittal, Cemex avait déjà fait des acquisitions majeures en Europe, en particulier en Espagne et en Grande-Bretagne. Avec plus de 15 milliards de dollars investis à l’étranger, le cimentier mexicain est sans aucun doute le fer de lance de cette internationalisation latino-américaine.

Mais on pourrait multiplier les exemples à commencer par le géant mexicain des télécommunications, Telmex, et de son homologue dans la téléphonie cellulaire, América Móvil, qui ont complété des franchises latino-américaines égalant désormais celles du géant espagnol Telefónica. D’Embraer, leader mondial dans le secteur des jets régionaux aux côtés du canadien Bombardier et du français Dassault, aux producteurs de cellulose comme Aracruz, d’acier comme Gerdau, de pétrole comme Petrobras ou encore du conglomérat Votorantim, les multinationales brésiliennes aiguisent leurs appétits internationaux. Rien qu’en Argentine elles auront emporté successivement des entreprises telles que Quilmes (acquise par Brama), Acindar (Belgo Minheira), Loma Negra (Camargo Correa), ou encore Pecom (Petrobras) tandis que le groupe italo-argentin Techint s’est porté cette année acquéreur du géant mexicain Hylsamex pour plus de deux milliards de dollars. Au cours des dernières années, les groupes brésiliens ont ainsi multiplié les acquisitions non seulement en Amérique latine mais parfois dans les pays développés comme les Etats-Unis ou d’autres plus exotiques comme la Chine.

Comme leurs cousines espagnoles, les multinationales latino-américaines se devront d’étendre leur présence au-delà des seules Amériques si elles veulent continuer leur consolidation. Elles font face indéniablement à d’importants défis. Leurs capacités technologiques sont souvent plus limitées que celles de leurs concurrents des pays développés, même si l’exemple de Cemex montre que celle-ci est possible même dans des secteurs a priori de moindre intensité technologique. Peu d’entre elles disposent de solides marques globales, les bières Corona du groupe mexicain Modelo, désormais vendues dans 150 pays, étant plus l’exception que la règle. Néanmoins que ce soit seules ou avec des alliés parfois européens (à l’exemplaire du colombien Bavaria qui aura fusionné avec le belge Ambev), elles deviennent à leur tour des joueurs de plus en plus internationaux.

Elles doivent néanmoins faire face à un coût du capital supérieur à celui de leurs homologues des pays développés tout en affrontant la compétition croissante des autres multinationales émergentes, coréennes, chinoises ou encore indiennes. D’où cette recherche désormais effrénée de prendre pied non seulement dans d’autres pays émergents, afin d’étendre leurs marchés, mais aussi de se porter acquéreurs d’actifs dans les pays développés, afin d’avoir accès à un coût du capital moindre. Lorsque Cemex a pris pied dans la péninsule ibérique puis en Angleterre, en acquérant des opérateurs locaux, l’objectif était non seulement d’acquérir des parts de marchés supplémentaires mais aussi d’accéder à des capitaux à moindre coûts depuis ces bases européennes. Aujourd’hui de fait la base financière et stratégique du groupe est à Madrid et Londres autant qu’à Monterrey.

Ces multinationales disposent néanmoins de sérieux atouts. L’exemple de Cemex montre s’il le fallait qu’il est possible d’innover dans des secteurs aussi basiques que le ciment et de faire preuve d’audace et de vision. Certaines de ces multinationales latines peuvent également bénéficier à l’avenir d’opportunités en or, en particulier les mexicaines, proches du marché en forte expansion des Hispaniques aux Etats-Unis, ou celles plus généralement des secteurs agro-industriels où figurent en bonne place l’argentin Arcor, le brésilien Sadia ou encore le mexicain Bimbo. L’exemple de l’émergence de leurs cousines espagnoles ne peut qu’inciter ces multinationales latines à aller à leur tour de l’avant.