L’avenir du G20 sera régional edit

9 novembre 2011

Difficile de voir, et même de croire, que le G20 de Cannes s’est intéressé à autre chose que la dette grecque. Mais le communiqué final l’atteste, il a aussi été question d’agriculture, de développement, d’énergie. Tout en bas du texte il est même fait mention de réforme de la gouvernance globale, sujet du groupe de travail du Premier ministre britannique, et présenté en août 2010 par Nicolas Sarkozy comme l’un des grands chantiers de la présidence française du G20. Enfin les dernières lignes du communiqué annonce une évolution de la gouvernance interne au G20 : « après 2015, les présidences annuelles du G20 seront choisies à partir de groupes régionaux tournants, en commençant par le groupe asiatique qui comprend la Chine, la Corée, l'Indonésie et le Japon. » Ce dernier point a été remarquablement peu commenté. Il représente pourtant une transformation majeure de l’identité du G20, et répond à des questions essentielles qui ont été adressées à cette entité depuis sa montée en puissance sur la scène internationale.

Lorsqu’en 2008 le G20 est passé du statut de forum ministériel à celui de sommet d’Etats, des voix se sont soudainement exprimées pour dénoncer son manque de légitimité, considérant entre autres que le groupe n’était pas représentatif de la communauté internationale. Ces voix – le ministre des Finances suisse, le représentant permanent de Singapour à l’ONU, le ministre norvégien des Affaires étrangères – venaient incidemment de pays qui étaient directement (Singapour et la Suisse) ou indirectement (la Norvège via la Suède) représentés dans le G33, version précédente du G20, et qui n’ont pas été retenus dans son format définitif, fixé en 1999. Or, très vite après le premier G20 des chefs d’Etat et de gouvernement, Singapour a mis en place un groupe alternatif, le « Global Governance Group » ou 3G, présenté comme « un groupe de pays non-membres du G20 » et dont l’un des objectifs annoncés était de faire entendre la voix des petits pays mais également celle des groupements régionaux.

À certains égards le 3G ressemble d’abord à un de ces « coups » diplomatiques dont Singapour a le secret, puisque la cité-Etat a obtenu d’être l’invitée incontournable du G20, quand bien même la représentativité internationale des membres de son propre groupe laisse perplexe : se sont notamment joints au 3G le Liechtenstein, la Suisse, Monaco, le Luxembourg, Panama et les Bahamas, précisément au moment où le G20 lançait son initiative contre les paradis fiscaux. Mais pour ce qui est de son ambition à promouvoir la représentation régionale au G20, Singapour a incontestablement une forte légitimité. Son rôle aura été déterminant dans la renaissance de l’ASEAN, l’association des pays d’Asie du Sud-Est, puis dans l’établissement du dialogue Asie-Europe (ASEM). Par ailleurs la Norvège, qui fait aussi partie du 3G, et qui par la voix de son ministre des Affaires étrangères s’était donc d’abord opposée au G20, a ensuite suggéré d’améliorer la représentativité de celui-ci en y faisant siéger des représentants de régions, notamment celle du Nord de l’Europe.

L’idée de renforcer la légitimité du G20 en le réorganisant autour des régions du monde a aussi été débattue ailleurs, notamment dans les cercles académiques. Elle a, dans une certaine mesure, été déjà mise en pratique par le G20 lui-même, avec l’habitude progressive d’inviter des organisations régionales lors des sommets. À Cannes ont été conviés le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD), le Conseil de Coopération des Etats du Golfe (CCG) et l'Union Africaine (UA). En annonçant le passage, pour son propre fonctionnement, d’une présidence nationale à une présidence régionale, le G20 fait un grand pas. Sans doute atteste-t-il d’une prise en compte des critiques sur sa légitimité, exprimées jusqu’au sein même du Groupe des Vingt. La décision peut également s’expliquer par une certaine insatisfaction à l’égard du fonctionnement actuel de la troïka, la présidence en cours devant en principe se coordonner avec la précédente et la suivante. Elle a été particulièrement peu opérante cette année avec une quasi-absence de dialogue entre la France et le Mexique (président du G20 à partir du 1er décembre 2011). L’établissement de l’agenda annuel par un seul pays n’est pas toujours bien vécu, et à Cannes, la focalisation sur le problème grec a plutôt renforcé ce sentiment, notamment chez les pays émergents. Mais en faisant le pari d’une gouvernance régionale, le G20 ouvre aussi un vaste champ de questions. Comment définira-t-on les groupements régionaux ? L’expérience la plus récente rappelle combien le découpage du monde en régions ne relève pas d’une supposée neutralité géographique mais de ce qu’il y a de plus politique dans la « géopolitique ».

En inaugurant les présidences régionales du G20 par le groupe asiatique composé de la Chine, la Corée du Sud, l’Indonésie et le Japon, on a fait un choix relativement peu problématique. Le Sommet de l’Asie orientale (connu aussi en tant qu’ASEAN+3), dont font partie ces quatre pays, fonctionne bon gré mal gré depuis une dizaine d’années, en dépit d’une relation toujours compliquée entre les deux géants chinois et japonais. Mais si on qualifie le groupe d’« asiatique », pourquoi ne pas y mettre l’Inde ? Celle-ci est-elle censée représenter plutôt le SAARC par exemple, l’association de l’Asie du Sud, dont aucun membre ne fait partie du G20, et qui comprend notamment l’Afghanistan et le Pakistan ? Et dans quel groupement régional s’inscrira la Russie ? L’Organisation de Coopération de Shanghai, qui réunit les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, mais où, comme son nom l’indique, on retrouve, et de manière très active, la Chine ? Quant au Mexique, sera-t-il avec l’Amérique du Nord, comme le pensent beaucoup de Mexicains, ou en Amérique Latine, avec le Brésil et l’Argentine ? Et où mettre la Turquie ? Avec l’Europe ou l’Arabie Saoudite ? Fort heureusement, ces questions épineuses n’exigent pas de réponses immédiates, puisqu’en particulier le Mexique, la Russie et la Turquie présideront successivement seuls le G20 dans les années à venir. Le casse-tête des définitions régionales n’a pas à être résolu avant 2016. Un casse-tête qui pourrait engendrer bien des surprises, et peut-être là on s’y attend le moins, c’est-à-dire en Europe. Car en effet le G20 comprend quatre pays européens –Allemagne, France, Grande-Bretagne et Italie – et le groupement régional européen par excellence, l’UE (il y en a d’autres, diraient les Norvégiens, comme Norden, le Conseil de l’Europe du Nord). Quand les présidences du G20 deviendront régionales, seront-elles portées par les représentants de l’UE dans le Groupe des Vingt – actuellement les présidents du Conseil et de la Commission ? Du côté des émergents on tend à trouver que l’Europe est surreprésentée au G20, comme dans d’autres instances internationales, notamment le FMI. La régionalisation du G20 serait-elle l’occasion de donner à l’Europe sa « vraie » place, telle qu’elle est perçue par le reste du monde ?