Copenhague : le climat semble meilleur... edit

29 novembre 2009

Le rythme s’accélère. Après l’adoption du « paquet climat-énergie » européen l’an dernier, après l’annonce par la France il y a quelques jours de la proposition d’un plan mondial pour le climat, les propositions pour les objectifs quantitatifs américains, chinois et brésiliens sont maintenant connues. L’accord apparaît désormais de plus en plus probable, et, même si les surprises sont toujours possibles, on peut dès aujourd’hui tenter d’en analyser la nature, les faiblesses et les forces.

Sur la nature de l’accord, on peut s’attendre à ce que l’objectif de limiter à moins de 2°C l’augmentation moyenne de la température du globe apparaisse clairement comme le point de convergence des politiques internationales pour le climat. Proposé dès 1998 par l’Europe, il a été depuis continuellement réaffirmé dans les différents rapports du GIEC comme le seuil à ne pas dépasser si l’on souhaite éviter des évolutions incontrôlées du climat. Au-delà de 2°C, celles-ci pourraient aller jusqu’à des mécanismes d’emballement climatique, avec la fonte du permafrost sibérien relâchant d’énormes quantités de méthane ou encore la réduction de la couverture glaciaire dans l’hémisphère Nord entrainant une diminution massive du rayonnement réfléchi. Cet objectif de température peut ensuite être décliné en termes d’objectif pour les émissions mondiales en 2050 : la plupart des parties prenantes à la négociation convergent vers la division par deux des émissions en 2050, mais il n’est pas encore certain que ce chiffre figurera formellement dans l’accord. Une fois définie la plage acceptable pour les émissions en 2050, autour du Facteur 2 mondial, reste à stipuler les droits et les devoirs des différents pays du monde.

Les éléments aujourd’hui sur la table à la veille du sommet portent à la fois sur des objectifs quantitatifs avancés par les acteurs les plus importants de la négociation et sur des schémas de différenciation des droits et devoirs, pour différentes catégories de pays. On dispose donc d’engagements de pays (bottom-up) et de propositions pour le cadre global (top-down). Ces éléments peuvent être soumis à une triple analyse critique : du point de vue de la nécessaire ambition des objectifs nationaux actuellement proposés, de la cohérence du dispositif d’ensemble de différenciation, enfin de l’appréciation que l’on peut porter sur la crédibilité des engagements.

Pour ce qui est de l’ambition des objectifs quantitatifs, l’Europe avait tiré en premier à la fin de l’année 2008 avec l’adoption du paquet climat-énergie qui prévoyait une réduction d’au moins 20% des émissions en 2020 (par rapport à 1990), pouvant aller jusqu’à 30% si les autres pays faisaient des efforts comparables. Les objectifs américains, connus depuis peu, sont moins ambitieux : par rapport à 2005, une réduction de 17% en 2020, 30% en 2025, 42% en 2030 (soit respectivement 4%, 19% et 33% par rapport à 1990). Il s’agit en quelque sorte d’entériner la décennie perdue, d’abord avec la non-ratification du Protocole de Kyoto sous administration Clinton, et surtout avec les huit années de l’administration Bush, au cours desquelles les Etats-Unis avaient pratiquement disparu de la scène climatique au plan multilatéral. L’objectif chinois doit aussi être décodé : une réduction de l’intensité en CO2 du PIB (tCO2 par unité de PIB) de 40 à 45 % en 2020 par rapport à 2005, pourrait conduire, sous l’hypothèse d’une croissance économique de 7% en moyenne, à une augmentation de 52% des émissions. Mais il ne faut pas s’y tromper car le freinage proposé est extrêmement brutal : de 2005 à 2008 les émissions de CO2 énergétique avaient, en seulement trois ans, déjà augmenté de 26% ; donc la Chine ne se donnerait pour les 10 prochaines années qu’une marge d’augmentation équivalente en volume à la croissance des trois dernières années. La proposition brésilienne est également ambitieuse : il s’agit de réduire les émissions totales d’environ 40% en 2020 par rapport à 2005. Ici le résultat serait obtenu par une réduction de 80% de la déforestation en Amazonie, les autres émissions étant de fait stabilisées en 2020. On le voit il y a ici un ensemble de propositions ambitieuses qui, pour le moins, créent un terrain favorable à la négociation.

Quant aux propositions de différenciation des objectifs par grande catégorie de pays, il s’agirait, pour le « Plan Justice Climat » proposé par la France de définir des droits et des obligations différenciés pour quatre catégories de pays : les pays pauvres particulièrement vulnérables au changement climatique et les pays en développement faiblement émetteurs (moins de 2 tCO2e par habitant et par an) qui devraient être aidés financièrement, les pays émergents qui devraient développer des Mesures d’Atténuation Nationalement Appropriées (NAMAs en anglais) et stabiliser leurs émissions en 2030, et enfin les industrialisés de l’ « Annexe 1 », immédiatement astreints à des objectifs de réduction. Certains dénonceront l’introduction de complications par rapport à un schéma théorique idéal. C’est un schéma selon lequel chaque pays recevrait un objectif d’émission destiné à régler, d’un seul coup d’un seul, et le problème de l’efficacité économique et l’ensemble des problèmes d’équité internationale. Mais plutôt que d’une complication il s’agit très clairement d’une gestion de la complexité : complexité des responsabilités, des impacts potentiels, des couts de l’action, tout comme des représentations stratégiques que les Etats se font des différents enjeux du changement climatique. Pour ceux qui ont observé la négociation climat depuis ses débuts, la différenciation s’impose comme une nécessité évidente pour que les pays en développement soient progressivement intégrés dans un dispositif international contraignant. Tout comme d’ailleurs, en dépit des multiples critiques exprimées, il était nécessaire que dans la première étape du Protocole de Kyoto, les pays alors développés aient été les premiers et les seuls à faire le premier pas.

Le dernier filtre critique est évidemment celui de la crédibilité des différents engagements et de la solidité de l’architecture de soutien. Certes les résultats de Kyoto ont été limités, certes on en reste encore aujourd’hui aux balbutiements des dispositifs instrumentaux : système de quotas échangeables pour l’industrie en Europe, taxe carbone dans certains pays. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, l’apprentissage est nécessaire et les solutions comme les dysfonctionnements potentiels sont aujourd’hui mieux identifiées. La meilleure garantie de l’engagement des grands Etats est sans doute que le changement climatique est aujourd’hui évalué – aux Etats-Unis comme en Europe, en Inde comme en Chine ou au Brésil – comme un danger réel pour l’équilibre à long terme des économies et des sociétés. On n’a pas aujourd’hui la certitude que les objectifs les plus ambitieux pourront être atteints. On a cependant des indications fortes selon lesquelles de nombreux acteurs, dans tous les secteurs et toutes les régions du monde, se sont mis à réfléchir et à agir comme si la contrainte carbone était appelée à durer et à se renforcer.

Le résultat de Copenhague ne sera donc probablement ni un accord complet ni un accord correspondant exactement au modèle canonique de la théorie économique. Mais il constituera probablement une série de pas en avant dans la bonne direction. Au lieu d’être « trop petit, trop cher » il pourrait au contraire constituer une rapide avancée vers un schéma qui ne s’avèrera parfaitement harmonieux que sur le très long terme.