EADS-BAE : un projet à revoir edit

4 octobre 2012

Sur le papier, la fusion EADS-BAE s’analyse comme une prise de contrôle de BAE par EADS, conduisant à la formation d’un géant mondial dans l’aéronautique civile et militaire, l’espace et la sécurité (70 milliards d’euros de chiffre d’affaires contre 50 pour Boeing). C’est un rêve européen qui se trouverait enfin réalisé.

Le projet actuel, selon ses auteurs, présente quatre qualités majeures.

Il permet la formation d’un groupe dont les activités militaires et civiles sont rééquilibrées, ce qui permet de lisser les cycles et de rendre l’entreprise plus résiliente. En effet, au cours des dix dernières années, l’aviation civile a connu des périodes de contraction liées à des crises économiques et géopolitiques alors que l’activité militaire a bénéficié de la montée des tensions au Moyen-Orient jusqu’à la crise récente des finances publiques. Aujourd’hui, BAE fait 100% de son chiffre d’affaires dans le militaire, une activité en déclin, et EADS fait 60% de son chiffre d’affaires dans l’aéronautique civile, une activité qui a le vent en poupe. La fin de l’âge d’or des dépenses américaines de défense (740 milliards de dollars de budget et 46% des dépenses mondiales en 2011) contraint BAE à trouver de nouvelles activités.

Il permet de rééquilibrer géographiquement le groupe puisque BAE est très présent aux Etats-Unis (43% de son chiffre d’affaires), le premier marché militaire mondial, en Australie, en Inde et en Arabie, des marchés à fort potentiel alors qu’EADS est peu présent aux Etats-Unis et vient de subir un revers majeur avec la perte du marché des avions ravitailleurs au profit de Boeing.

Il place idéalement le nouveau groupe au cœur d’une industrie qui va devoir se recomposer et affronter la montée en puissance des pays émergents. La naissance d’avions civils concurrents au Brésil en Russie et en Chine risque de mettre un terme au duopole Airbus Boeing dans l’aviation civile, pendant que la contraction des commandes militaires risque d’accélérer les regroupements dans le secteur fragilisant ainsi l’activité Cassidian d’EADS.

Il permet de régler la lancinante question de l’actionnariat privé puisque Daimler et Lagardère aspirent à se retirer du capital pour se concentrer sur leurs cœurs de métiers respectifs : l’automobile pour l’un, les media pour l’autre.

Enfin, la fusion BAE-EADS constitue une formidable opportunité pour rénover une gouvernance aujourd’hui paralysante. En effet, les Etats français et allemand contrôlent le capital directement ou indirectement et se livrent régulièrement des batailles picrocholines pour la nomination des dirigeants et la répartition des productions entre sites nationaux au prix de surcoûts et de dysfonctionnements majeurs.

Cette fusion parfaite sur le papier n’en pose pas moins des problèmes substantiels.

D’une part, les fusions géantes sont rarement créatrices de valeur et le plus souvent c’est l’actionnaire de la cible qui en profite. Cette remarque générale s’applique parfaitement à la fusion projetée puisqu’on comprend mal comment les chiffres d’affaires, les rentabilités et surtout les carnets de commandes de l’un et de l’autre pourraient justifier une parité EADS-BAE 60/40 dans le nouvel ensemble. Du reste les actionnaires privés d’EADS remettent en cause cette parité. Un carnet de commandes assuré sur un marché porteur d’un côté avec l’Airbus d’EADS, et de l’autre un marché en forte contraction de l’autre des deux côtes de l’Atlantique avec l’activité défense de BAE, justifient mal la parité retenue pour la fusion.

Par ailleurs, l’une des justifications majeures de ces méga-fusions est la réalisation de synergies coûts et revenus significatives. S’agissant des synergies coûts, l’absence d’activités redondantes ne laisse guère espérer d’économies. De plus dans le domaine militaire les synergies sont compromises du fait de la nécessité de maintenir une société américaine spécifique (BAE Systems Inc.).

Enfin les Etats ne veulent pas céder leurs prérogatives légitimes et moins légitimes dans le contrôle d’EADS. A l’inverse, l’accord ne peut se faire si des Etats restent des actionnaires significatifs (aujourd’hui contrôle de fait 22,5% pour les intérêts français et 22,5% pour les intérêts allemands). Parmi les prérogatives légitimes figurent incontestablement la nécessité de protéger des programmes sensibles et même d’assurer un avenir aux bureaux d’études de Dassault dans la perspective du lancement d’un avion du futur d’autant que le bilan Eurofighter/Rafale n’est pas défavorable à Dassault. A l’inverse les querelles pour les sièges sociaux et la répartition de la charge de travail entre sites nationaux au risque de l’inefficacité sont moins justifiées.

Au total, si l’Europe veut encore compter en matière d’armement, ce projet est bien venu. Mais il ne fera sens que s’il est bâti sur des bases industrielles solides, notamment dans le domaine de l’avion de combat du futur, et s’il permet les rationalisations nécessaires chez Cassidian. Il ne sera efficace que si la restructuration des sièges et la fusion des administrations d’Eads et d’Airbus à Toulouse voulues par M. Enders sont menées à bien, si la parité d’échanges 60/40 est revue pour tenir compte des potentiels réels des deux groupes et si l’occasion est saisie pour normaliser la gouvernance du nouvel ensemble en écartant les actionnaires privés récalcitrants et publics interventionnistes. Bref la copie est à refaire.