Pourquoi Lula a été réélu edit

31 octobre 2006

Les élections brésiliennes d'octobre 2006 auront réservé bien des surprises. Elles concernaient, outre le président de la République, les députés fédéraux, un tiers des sénateurs, ainsi que les gouverneurs et les assemblées législatives des états fédérés. Mais c'est l'élection présidentielle, dont les deux tours ont eu lieu le 1er et le 29 octobre, qui a retenu, à juste titre, l'attention des électeurs et des observateurs.

Dès la prise de fonction du président Luis Inácio Lula da Silva en janvier 2003, tout laissait penser qu’il briguerait un deuxième mandat. Pourtant, en 2005, le scandale politique dans lequel s’était enfoncé son parti, le Parti des travailleurs (PT) avait fortement ébranlé sa popularité et l’opposition, confortée par les enquêtes d’opinion, pouvait croire à une victoire facile l’année suivante. Mais dès le début 2006 la popularité de Lula remontait et tous les sondages lui garantissaient une victoire dès le premier tour de l’élection présidentielle : il laissait près de 20 points derrière lui son principal concurrent, Geraldo Alkmin, gouverneur de l’état de São Paulo et candidat du Parti social-démocrate du Brésil (PSDB, le parti de l’ancien président F. H. Cardoso).

Les derniers jours avant le premier tour ont vu un retournement inattendu dans les sondages et finalement Lula n’a obtenu que 48,6% des suffrages exprimés. Alkmin, avec 41,6%, pouvait encore espérer l’emporter au second tour mais rapidement sa cote dans les sondages est redescendue au niveau antérieur et Lula l’a emporté au second tour par 60,8% contre 39,1%.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ce spectaculaire jeu de yo-yo électoral. Tout d’abord la volatilité des électeurs, reflet de la volatilité de la classe politique elle-même : les changements de partis y sont extrêmement fréquents et, d’un état à l’autre, on peut assister aux alliances les plus inattendues. Aussi l’électeur attache-t-il plus d’importance à la personne qu’à l’étiquette partisane : ainsi, dans l’état de Minas Gerais, le second plus peuplé du Brésil, Lula obtenait au premier tour 55% des suffrages, loin devant Alkmin, alors que le gouverneur, un des leaders du PSDB, était réélu avec 77%.

Une seconde série de facteurs est liée à la campagne électorale. L’accouchement d’un candidat par le PSDB, destiné à être le candidat de l’ensemble de l’opposition, s’est fait dans la douleur et au terme d’une longue hésitation de José Serra qui avait été le candidat contre Lula en 2002 et qui finalement a été élu gouverneur de l’état de São Paulo. Geraldo Alkmin, homme politique compétent et honnête, et qui était fermement décidé à être candidat, manque de charisme et n’a été que médiocrement soutenu par les hommes politiques de son camp. Lula, pour sa part et comme en 2002, a fort bien choisi son conseiller en communication et a été le meilleur dans les émissions télévisées biquotidiennes de propagande électorale gratuite qui ont précédé les scrutins. Ces émissions ont permis de masquer des propositions programmatiques vagues, souvent proches de celles de son concurrent.

Il faut ajouter un facteur conjoncturel à ces revirements : quinze jours avant le premier tour, des membres du PT, dont certains faisaient partie du comité de campagne de Lula, ont été pris en flagrant délit par la police fédérale alors qu’ils étaient en train d’acheter avec des fonds d’origine illégale un dossier compromettant pour les candidats du PSDB. Malgré le souci de Lula de se démarquer de ceux qu’il a traités de « bande de cinglés », ce nouveau scandale politique, bien exploité par Alkmin, a certainement pesé sur le premier tour, mais n’a pas eu l’effet durable escompté pour peser sur le second. Selon ce que révéleront les enquêtes en cours, il peut néanmoins constituer une bombe à retardement pour le président réélu.

De manière générale, la campagne n’a guère excité les passions ni n’a provoqué de grandes manifestations de foule. Et les marchés financiers, qui étaient entrés en panique en 2002 à l’annonce d’une possible victoire de Lula, sont restés calmes et comme indifférents au résultat de l’élection.

Si l’on tente d’observer plus en profondeur, on constate que les élections d’octobre ont fait apparaître une nouvelle géographie électorale. Dans le Nordeste, où les élites traditionnelles étaient liées aux partis de droite, Lula ainsi que les candidats du PT au Congrès ou aux postes de gouverneur ont fait une percée remarquable, l’exemple le plus emblématique étant l’élection dès le premier tour d’un ministre PT comme gouverneur de l’état de Bahia. Dans cette région qui concentre le plus grand nombre de pauvres, notamment en zone rurale, tout se passe comme si un nouveau clientélisme d’Etat se substituait au clientélisme des féodalités locales, appuyé sur les transferts sociaux, le gonflement de la fonction publique et les transferts de fonds fédéraux aux municipalités sans ressources. Lula a d’ailleurs joué à plein de son origine nordestine et de ce que, pour la première fois, les pauvres avaient un des leurs à la présidence, son image de « père des pauvres » tendant désormais à l’emporter sur celle de l’ancien syndicaliste.

En revanche, le premier tour de l’élection présidentielle plaçait Alkmin avant Lula dans la plupart des états plus riches des régions Sud, Sud-Est et Centre-Ouest. Le PT, qui s’est développé à l’origine dans les zones ouvrières et dans les classes moyennes intellectuelles apparaît donc en perte de vitesse dans ses bastions traditionnels. Mais ce changement-là est peut-être moins durable car entre le premier et le second tour Alkmin a perdu près de 2,5 millions de voix qui s’étaient probablement portées sur lui moins par adhésion à sa candidature que pour marquer une déception à l’égard de Lula. Ce dernier a également récupéré les voix des « déçus du lulisme » qui s’étaient portés sur les candidats éliminés au premier tour.

Il faut, à cet égard noter la faiblesse de « l’offre » politique pour l’élection présidentielle : outre les deux principaux candidats (et les inévitables candidatures fantaisistes) deux autres candidats seulement étaient en lice au premier tour, tous deux dissidents du PT. Ensemble, ils ont recueilli 9,5% des suffrages exprimés. L’extrême droite est absente du spectre politique brésilien, tout comme les nouvelles tendances national-populistes qui fleurissent dans certains pays latino-américains, et le PFL, que l’on peut considérer comme le grand parti de droite, avait fait alliance avec Alkmin.

Autant l’offre était concentrée pour les candidats à la présidentielle, autant elle était abondante et dispersée aux autres niveaux. A la Chambre des députés fédérale, pas moins de 21 partis ont eu des représentants élus. Toutefois, de nouvelles règles sur les conditions de fonctionnement des groupes parlementaires vont entraîner des regroupements et des changements de partis. Même ainsi, on peut s’attendre à ce qu’il en subsiste une dizaine, ce qui rendra extrêmement difficile la constitution d’une majorité gouvernementale stable. En ce qui concerne les quatre « grands partis », qui totalisent à peine plus de la moitié des sièges, les changements ne sont pas très importants d’une élection à l’autre, à l’exception du PFL qui apparaît comme le grand perdant ; le PT, pour sa part, a peu perdu en sièges par rapport à sa forte avancée de 2002 (83 députés contre 91).

Au Sénat, quelques glissements aussi sont observables au désavantage de Lula. Comme toujours dans le système politique brésilien, le président devra donc en permanence négocier pour obtenir une majorité et verra sa capacité de réforme limitée. Il pourra néanmoins compter sur l’appui de la majorité des gouverneurs, les élections à ce niveau lui ayant été beaucoup plus favorables qu’en 2002.