Pour un Interpol de la concurrence mondiale edit

17 juin 2007

Depuis le début de l’année, plusieurs affaires dévoilées par Bruxelles ont défrayé la chronique. La Commission Européenne a infligé le 21 février une amende record de 992 millions d'euros à des fabricants d'ascenseurs et d’escaliers mécaniques, accusés de s’être entendus sur les prix. Fin janvier une dizaine d'entreprises d'appareillage électrique s'étaient vu imposer une pénalité de 750 millions pour s’être organisées en cartel. Le géant allemand Siemens a écopé de la plus lourde sanction jamais ordonnée, soit 418 millions. Des succès spectaculaires dans la lutte contre les ententes et cartels. Mais des succès ponctuels, qui ne peuvent masquer la prolifération de ces accords illicites au niveau mondial.

En effet, lorsque des entreprises prétendument rivales se répartissent les marchés afin d’imposer aux consommateurs des prix plus élevés, elles ne risquent actuellement pas les même sanctions, selon le pays où cette entorse aux règles de la concurrence est repérée et l’endroit où les entreprises sont installées. Les firmes multinationales peuvent ainsi jouer de la localisation de leurs filiales, et profiter de l’incapacité des autorités à mener des investigations et à sanctionner hors de leur territoire. Menée en ordre dispersé, la police de la concurrence se révèle donc peu efficace, tout en créant des tensions politiques sérieuses entre gouvernements qui s’accusent mutuellement de ne rien faire.

L’Union Européenne collabore, à travers divers accords bilatéraux ou plurilatéraux, avec ses principaux pays partenaires. Mais les conflits sont fréquents. Lorsque des firmes américaines s’organisent en cartels d’exportation, par exemple, d’aucuns soupçonnent les autorités de ce pays de balancer entre deux logiques. Défendent-elles prioritairement le libre jeu du marché ou leurs intérêts nationaux ? L’impartialité de la Commission Européenne est mise en cause de la même manière par les économistes américains. Ces logiques contradictoires sont apparues clairement lors des projets de fusion entre Boeing et Mac Donnell Douglas, à la fin des années 90, et entre General Electric et Honeywell, au début des années 2000. Les positions des autorités américaines de la concurrence ont été très différentes de celles de leurs homologues européennes. Autre exemple bien connu : Microsoft. Cette entreprise a été sanctionnée à de fortes amendes par la Commission Européenne alors qu’elle est ressortie presque blanchie des accusations que le gouvernement américain a pu porter contre elle.

Ces conflits seraient en partie évitables si les différentes autorités de la concurrence disposaient d’un cadre d’action et de réflexion commun, reposant sur des méthodes et des instruments identiques. C’est ce que cherchent à mettre en place de grandes institutions comme l’OCDE, la CNUCED et des forums internationaux comme le « International Competition Network », un réseau informel entre autorités de la concurrence, rassemblant près de 80 pays. Certains ont songé aussi à élargir les compétences de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Mais le projet est risqué. L’OMC organise des négociations entre Etats visant à abaisser les droits de douane supportés par les entreprises. Elle se soucie peu de la défense du consommateur. Les débats y sont très politisés, ce qui nuit à leur efficacité. Il semble donc plus pertinent de créer une nouvelle structure supranationale regroupant les principales autorités de la concurrence existantes, ou tout au moins, dans un premier temps, d’organiser une collaboration institutionnalisée entre un petit nombre de pays, prioritairement l’Union Européenne, les Etats-Unis et le Japon.

En raison de l’importance de ces trois pays en termes d’investissement à l’étranger et leur place dans le commerce international, une coopération entre eux serait suffisante pour contrôler la plupart des acteurs privés mondiaux. Elle permettrait de mener des actions crédibles contre les grandes firmes multinationales, qu’elles soient issues des pays développés ou émergents comme la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud. Elle permettrait aussi d’intensifier la lutte contre les cartels et ententes et de s’assurer du bien-fondé des fusions et acquisitions internationales de plus en plus nombreuses. Le nombre d’Etats impliqués resterait cependant suffisamment faible pour limiter les coûts d’une nouvelle structure bureaucratique ou les problèmes de coordination.

Cette première étape vers la création d’un « Interpol » de la concurrence serait un pas décisif. Elle n’est pas si irréaliste qu'on pourrait le penser. Devant l’accroissement du coût de l’inaction, les pays développés seront forcés, tôt ou tard, de discuter de la création d’un embryon de gouvernance économique mondiale.