Méditerranée : beaucoup de bruit pour rien ? edit

4 juillet 2008

Le projet d’Union pour la Méditerranée a connu bien des déboires. Peu préparée, mal négociée, l’initiative du président Sarkozy a été « sauvée » par l’Allemagne en mars dernier au prix d’une transformation radicale de son schéma initial. Du projet initial, visant uniquement les Etats riverains de la Méditerranée et faisant table rase des précédentes politiques méditerranéennes de l’UE, l’UPM est devenue, au printemps 2008, une nouvelle étape du Processus de Barcelone qui encadre le partenariat euro-méditerranéen.

Désormais ouverte à tous les pays Euromed et méditerranéens, ainsi qu’à tous les Etats Membres de l’Union européenne – soit 44 Etats – l’objectif  de l’UPM est la mise en œuvre de projets concrets, pour lesquels quatre premières propositions ont été faites: autoroutes maritimes, dépollution de la Méditerranée, plan de protection civile, plan Solaire visant la production d’énergie renouvelable. Partenariat égalitaire, fondé sur la copropriété du processus, l’UPM fonctionnera sur la base d’une coprésidence de deux ans, partagée entre un Etat Membre de l’UE et un Etat méditerranéen. Un petit Secrétariat, dont l’importance du Mandat reste encore à fixer, sera en charge du processus et rendra compte à un Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement bisannuel - une innovation de gouvernance par rapport à Euromed. Les projets seront financés par les fonds européens s’ils correspondent aux priorités agréées dans le cadre Euromed, mais des financements extérieurs (institutionnels, gouvernementaux ou privés) pourront également être mobilisés. Enfin, chaque projet pourra donner lieu à des coalitions d’Etats à géométrie variable.

Malhabile dans la présentation de son initiative à ses partenaires européens, la France n’a pas su non plus utiliser les griefs que les Etats du « sud » adressent à Barcelone pour les amener à soutenir fermement son initiative. En effet, face au fossé économique grandissant entre les rives nord et sud, les pays arabes reprochent au Processus de n’avoir pas tenu la promesse d’une aire de prospérité commune, d’avoir mis à l’index leurs revendications sur la libéralisation des échanges de produits agricoles ou sur la facilitation de la circulation des personnes, et de fournir des montants d’aide trop modestes. Ils jugent la structure de gouvernance, dominée par la Commission européenne, déséquilibrée. Par ailleurs, Barcelone n’a pas été suivie par un engagement européen actif dans la recherche d’une solution aux conflits de la région - et en premier lieu au conflit israélo-arabe. Enfin, la conditionnalité politique inscrite dans le Processus reste une pierre d’achoppement, tout comme son volet politique en général. Israël, adepte d’une relation économique bilatérale forte avec l’Europe, est lui aussi un acteur réticent de l’arène régionale Euromed dans laquelle il ne se reconnaît pas.

Cependant, au-delà de ces critiques, force est de constater que tous se satisfont fort bien, dans les faits, de leur relation à l’Union: l’aide financière est versée, la conditionnalité politique n’est pas appliquée, l’économie domine l’agenda, et le Partenariat coopte les élites politiques locales. Par ailleurs, si certains pays (Maroc, Israël) souhaitent s’émanciper de la négociation régionale pour aller plus vite et plus loin dans leur intégration au marché européen (ce qui est possible dans le cadre de la nouvelle Politique de Voisinage de l’UE), la lenteur du processus de négociation collective convient de fait à de nombreux autres. Et l’Europe est pour tous un partenaire central.

Dans ce contexte, le « sud » a donc accueilli le projet français avec des réactions variées. L’opposition originelle de la Turquie à l’UPM reposait sur le fait que celle-ci a d’abord été présentée comme le cadre futur et exclusif des relations du pays avec l’Europe (discours de Toulon, février 2007). Les garanties apportées ultérieurement sur la poursuite des négociations d’adhésion ont levé le veto d’Ankara, mais elles n’ont eu raison ni de son scepticisme sur la capacité du projet à relancer Barcelone, ni de la mauvaise volonté manifestée par son Premier ministre à venir soutenir en personne à Paris un projet si mal démarré. Se tenant à une distance polie du nouveau projet méditerranéen, Israël poursuivait surtout les négociations de son « statut avancé » avec l’UE, obtenu le 16 juin dernier.

Si la majorité des pays arabes se montrait soucieuse de ne pas froisser Paris, elle cherchait cependant des garanties sur la pérennisation du cadre Euromed, garanties obtenues avec le compromis franco-allemand de mars. De Rabat au Caire, le soulagement était palpable. Dès lors, l’élaboration d’une position commune arabe pouvait être engagée. Le 13 Juillet, celle-ci devrait ainsi saluer l’introduction de la coprésidence (une idée promue de longue date), l’accent porté sur des coopérations plus techniques (ce qui évacue la dimension politique présente dans Euromed), les potentiels financements supplémentaires (moins intéressants cependant que les financements bilatéraux). Deux principaux points de désaccord avec l’Europe demeurent : d’une part, les Etats arabes sont en faveur d’un Secrétariat au Mandat large et qui serait installé dans un pays du sud - une position appuyée par la France. D’autre part, une coprésidence tenue un jour par Israël est inenvisageable.

L’unanimité ne fait pas règle cependant. Le colonel Ghadafi a ainsi opposé une brutale fin de non-recevoir à l’UPM, estimant que la présence d’Israël constitue une forme de normalisation inacceptable. Le président algérien, sensible à l’argumentaire libyen, réserve encore sa participation au Sommet de Paris. Enfin, la probable participation du Président syrien aux cérémonies du 14 juillet, à la suite au Sommet, invalide par conséquent celle du président libanais au Sommet – l’invitation faite à Bachar al-Assad étant un camouflet pour Beyrouth.

Cette marqueterie de positions illustre clairement deux apories centrales du projet français : les conflits de la région et l’absence de symétrie entre les futurs partenaires de l’UPM, démocratie d’une part et régimes autoritaires de l’autre. En effet, la méthode européenne des « petits pas » et des « solidarités concrètes » revendiquée par le projet français repose sur un postulat de départ erroné : en Europe, la paix a certes été consolidée par la construction européenne, mais elle l’a précédé. Or, en Méditerranée, la guerre règne encore. Les conflits de la région sont l’un des écueils majeurs sur lesquels les projets de coopérations régionales, Barcelone y compris, viennent échouer. Par ailleurs, au sud, ce n’est pas tant le manque de ressources financières qui fait défaut que la médiocre allocation qu’en font des régimes prédateurs et clientélistes. Or, ce sont précisément ces régimes que l’UPM renforce, en validant le statu quo et en évacuant toute référence politique. D’une certaine manière, l’UPM lève assez cyniquement l’ambigüité de Barcelone, qui visait en même temps la stabilité et le renforcement de la démocratie en Méditerranée. L’offre faite à Hosni Moubarak de partager la première coprésidence de l’UPM avec Nicolas Sarkozy - un rôle prestigieux susceptible de redorer le blason d’un dirigeant affaibli par la montée d’oppositions internes – en est une illustration, comme l’est le soutien apporté par la France à la candidature de Tunis pour le Secrétariat, alors que la répression à l’encontre des oppositions tunisiennes s’est encore durcie.

A quelques jours du Sommet de Paris, la viabilité de l’UPM reste problématique : la coprésidence survivra-t-elle aux déchirures de la rive sud, y compris – et peut-être surtout – à celles qui divisent la famille arabe derrière l’unanimité de leur opposition à Israël ? Les Sommets n’offriront-ils pas une arène inespérée pour mettre en scène les désaccords et les échecs ? Le Secrétariat pourra-t-il porter des ambitions de coopération fortes alors que l’inter-gouvernementalisme sur lequel il est fondé est une porte ouverte à des vetos nationaux ? Les projets seront-ils suffisamment ambitieux et attractifs pour redonner du souffle à la coopération en Méditerranée et régénérer Barcelone, dont les leçons ne semblent pas avoir été tirées ? Plus fondamentalement, ce que l’UPM révèle est ce qui n’y est pas : ce n’est pas tant de financements supplémentaires que la Méditerranée a besoin que d’engagement européen fort. Or, si la volonté politique a un sens, elle devrait s’attaquer aux véritables entraves au développement de la région, qui sont toutes politiques. Certes, il s’agit d’un engagement plus risqué et ingrat que l’élaboration de projets de coopération technique, quand bien même ceux-ci seraient plus « verts » (énergie solaire), plus « bleus » (coopération maritime) ou plus « visibles » pour les citoyens que ceux de la génération précédente.