Le Trésor américain dépassé par les événements ? edit

23 février 2009

Loin de se réjouir les bourses mondiales ont accusés un net recul à l’annonce du plan annoncé par Tim Geithner le 10 février. Pourquoi les efforts du Trésor ont-ils reçu un accueil aussi glacial ?

L’économie mondiale ne semble pas prête de passer le cap de la crise : le marché du travail américain se détériore, les entreprises croulent sous les stocks d’invendus, plusieurs États, dont la Californie, sont au bord de la cessation de paiement. Les problèmes ne sont de loin pas circonscrits aux États-Unis, comme le montre par exemple le cout d’arrêt brutal de la croissance au Japon.

Au cœur de cette situation demeurent encore et toujours les marchés financiers, et plus particulièrement le secteur bancaire. Les mois passés n’ont rien enlevé à l’opacité de la situation, bien au contraire. Les bilans des banques demeurent sous l’épée de Damoclès des actifs toxiques, notamment adossés au marché immobilier, dont personne ne connaît la valeur. Les banques peinent à lever des financements à court terme, comme le montre l’effondrement du volume du « commercial paper ». Leur priorité est alors à la réduction de leurs engagements afin de sauver les fonds propres qui leur restent. Si une telle stratégie est compréhensible au niveau de chaque établissement, elle aboutit à un cercle vicieux lorsque toutes les banques la suivent, chaque repli affaiblissant la croissance et causant des pertes supplémentaires.

Pas étonnant dès lors qu’un des deux axes de la politique économique de l’administration Obama, outre la relance fiscale, est de réparer le système bancaire pour lui redonner vie. C’est là l’objet du programme annoncé le 10 février par Timothy Geithner, le nouveau ministre américain des Finances, qui s’articule autour de trois axes majeurs.

Tout d’abord le Trésor et la Fed investiront jusqu’à 1000 milliards de dollar pour soutenir le crédit aux ménages et aux entreprises. Ensuite, le gouvernement va entreprendre un audit extensif du système bancaire afin d’estimer non seulement son état actuel, mais sa capacité à absorber les pertes que la récession continuera d’amener. Les banques dont les fonds propres seront trop faibles seront recapitalisées. Enfin, un fonds financé conjointement par l’état et le secteur privé rachèteraient les actifs toxiques, clarifiant ainsi la situation des banques.

Voilà qui à première vue semble un effort soutenu des pouvoirs publics, à même de rassurer les marchés ? Et bien non : loin de se réjouir les bourses de par le monde ont accusés un net recul à l’annonce du plan. Pourquoi les efforts du Trésor ont-ils reçu un accueil aussi glacial ?

Tout d’abord, soulignons que bien des aspects du plan sont positifs, et donc vraisemblablement pas au cœur du pessimisme des marchés. Le soutien massif au crédit s’inscrit dans la ligne de l’interventionnisme marqué de la banque centrale, surtout depuis septembre 2008. En l’espace d’à peine cinq mois, les injections massives de liquidités ont presque triplé la quantité de monnaie émise par la Réserve Fédérale. De fait, la banque centrale se substitue en grande partie au secteur financier privé, lequel est peu enclin à accorder des crédits. La première partie du plan du Trésor renforcera cette stratégie de manière substantielle, et l’on ne peut que s’en réjouir.

L’audit du système bancaire est également un pas dans la bonne direction. Les autorités sont les seules à avoir accès à des informations détaillées sur l’ensemble des acteurs, et peuvent donc se faire une bonne opinion de l’état du secteur. Trois bémols sont cependant de mise. Tout d’abord, pourquoi avoir attendu bientôt vingt mois depuis le début de la crise pour effectuer cet exercice ? En d’autres termes, l’État va-t-il apprendre quelque chose qu’il ne saurait pas déjà ? Ensuite, les autorités comptent-elles partager les résultats de l’exercice avec le public ? Le plan reste imprécis sur ce point. Finalement, que ferait le Trésor s’il s’avère que de larges pans du secteur bancaire sont insolvables ? Il ne s’agit pas là que d’une question théorique : plusieurs économistes estiment que les banques n’ont reconnus qu’une partie de leurs pertes, et qu’un examen sans complaisance de la situation montrerait que leurs fonds propres se sont évaporés. Les cours boursiers anémiques du secteur indiquent que le marché ne considère pas ce cas de figure comme fantaisiste.

Si une grande partie des banques étaient insolvables, la solution serait de les nationaliser : le contribuable injecterait des fonds frais et deviendrait propriétaire des banques. Il ne s’agit pas de nationaliser le secteur à long terme, les pouvoirs publics n’étant de loin pas des gestionnaires de banque irréprochables (rappelons la saga du Crédit lyonnais), mais en fait de calmer la situation avant de privatiser les banques une fois la tempête passée. De telles mesures ont été prises dans le passé, comme en Suède au début des années 1990, ou aux États-Unis dans les faillites des caisses d’épargnes (les savings and loans).

Le facteur majeur derrière la réception défavorable du plan par les marchés est toutefois à chercher dans le troisième pan, le fonds visant à racheter les actifs toxiques. Enlever ce fardeau du bilan des banques est clairement souhaitable, afin qu’elle puisse tourner la page. La pierre d’achoppement demeure le prix auquel ces actifs seraient repris. Un prix élevé ferait le bonheur des banques, mais aucun investisseur privé ne se porterait acquéreur. Un prix plus faible qui attirerait des acheteurs forcerait en revanche les banques à reconnaitre l’ampleur de leurs pertes. Ce problème a sonné le glas de la première version du plan Paulson en Septembre, et les marchés attendaient dès lors des précisions dans le nouveau plan. Le trésor est cependant resté très lacunaire, indiquant que les aspects concrets restaient à définir. Cela a donné une impression que les autorités étaient quelque peu dépassées par les événements.

Ou en sommes-nous dès lors ? Tout d’abord, le soutient massif au crédit devrait être mis en place, prévenant ainsi un gel profond des financements aux consommateurs et aux entreprises. On peut aussi s’attendre à des annonces supplémentaires quand à la question des actifs toxiques. Le manque de détails du plan présenté semble refléter essentiellement un ajustement de dernière minute de la stratégie. L’état est conscient du besoin pressant de débloquer le système bancaire afin d’éviter que de banques « zombies », insolvables mais toujours en vie, ne constituent un poids mort sur le reste de l’économie. Le gouvernement oserait-il une nationalisation ? Vu la taille du problème, ce pas ne serait de loin pas bon marché. De plus, un large pan de l’échiquier politique américain s’y opposerait vertement. Toutefois, l’administration Obama est consciente de la gravité de l’enjeu, et s’il faut en arriver là, il y a de bonnes chances qu’elle prenne le taureau par les cornes. Affaire à suivre donc.