La titrisation repart de plus belle edit

18 février 2010

La titrisation européenne a survécu à la crise. Pas parce qu’elle s’est réformée pour devenir une activité parfaitement transparente. Et encore moins parce que ses maîtres d’œuvre ont adopté un profil bas ou fait amende honorable. Mais simplement parce que la titrisation, dans sa version simple et épurée, peut être utile. En revanche, l’autre segment de la titrisation – les structures financières alambiquées qui profitent plus aux banques d’affaires qu’aux entreprises – est quant à lui, selon toute vraisemblance, mort et enterré.

Les diverses initiatives venant des régulateurs ou des professionnels eux-mêmes ne sont pas encore entrées en vigueur et n’ont donc eu aucune influence sur les opérations menées à partir de septembre 2009. La base d’investisseurs traditionnels sur ce marché ayant été décimée, il s’agissait pour les émetteurs plus de galops d’essais, pour faire l’état des lieux : qui est encore capable ou a le droit d’acheter ce type d’actifs, et pour quels montants.

La titrisation transforme de créances, le plus souvent des crédits bancaires accordés à des particuliers ou des PME, en titres de dette qui peuvent s’échanger ensuite sur les marchés obligataires. On peut titriser également des droits sur des revenus futurs (par exemple, les futures ventes de billets de foot) pour disposer immédiatement de fonds pour construire un nouveau stade. S’il y a un problème sur les actifs sous-jacents, comme un défaut de paiement ou une baisse soudaine de ventes de billets, ce sont les détenteurs de ces obligations qui essuient une perte, pas l’entité qui a octroyé le prêt ou le club de foot qui a cédé ses droits. Ce faisant, les émetteurs repartissent dans le marché le risque de défaut qui pèse sur eux. Lorsqu’il s’agit d’une banque, cette opération lui permet de continuer d’octroyer des prêts sans avoir à attendre qu’ils arrivent à maturité. D’où un surcroit de liquidité qui, en principe, profite à l’économie réelle – non seulement, plus de crédit est disponible, mais à moindre coût.

À la stupeur générale, les investisseurs ont commencé à essuyer des pertes pendant l’été 2007, et pour une tout autre raison : la valeur de marché de ces obligations est tombée en flèche. Personne ne voulait les acheter. Peu importe si les actifs sous-jacents restaient sains – les entreprises européennes et particuliers n’ont pas brutalement cessé de payer leurs traites. Les projecteurs étaient braqués sur les Etats-Unis et leurs subprimes. Les fonds de gestion monétaire dynamique français et les fonds spécialisés ABS allemands, liés aux grandes banques et compagnies d’assurance, ont été les premiers à imploser. Bien d’autres, presque toujours lié à des banques, ont suivi. Les banques gagnaient en tant qu’émetteurs, mais perdaient gros en tant qu’investisseurs – surtout lorsqu’elles avaient touché aux produits américains, mais également lorsque la valeur des produits européens qu’elles détenaient était devenu impossible à établir.

De fait, les titrisations de crédits immobiliers et autres prêts pour l’achat de voitures émises en Europe avant la crise ont résisté remarquablement à la récession et par conséquent tenu leurs promesses. Les investisseurs ayant pu détenir ces obligations jusqu’à maturité ont très souvent été payés en temps et en heure. Pas dans 100% des cas, mais dans la majorité des cas.

Mais il a fallu de longs mois pour saisir cela. Ce qui sautait aux yeux, c’étaient les dégâts causés par la crise des subprimes américains. La titrisation de ces prêts à des particuliers peu solvables ou insolvables représentait la titrisations dans sa pire version. Pendant des mois, les professionnels de la finance ont eu beau arguer que le subprime ne s’était pas implanté en Europe, le monde politique et même certains régulateurs ont découvert cette technique de financement à travers le désastre américain. Dans un article publié dans Le Monde en octobre 2008 et intitulé « Le mur de Berlin du capitalisme », Arnaud Montebourg demandait de « mettre un terme à la titrisation des crédits par les banques ». Michel Rocard expliquait au Talk/Le Figaro à la même époque que « la titrisation avec des paquets incertains dedans, au lieu de déclarer des risques aux autorités bancaires et de les provisionner, c’est du vol ».

Beaucoup d’études ont été publiées au fil des ans sur les causes de la crise, utilisant différentes perspectives. Certaines minimisaient la responsabilité de la titrisation, en tant que technique de financement de l’économie réelle. En tout cas en Europe. D’autres sont plus inquiétantes, telle celle d’économistes du FMI qui, dans un document de travail publié en décembre, affirmaient que le « lobbying a été une des causes de la crise financière », et ont établi que lobbying, prise de risque et recours à la titrisation étaient intimement liés. De nouveau, cela ne colle pas vraiment à la réalité européenne.

Les professionnels de la titrisation, convaincus de leur bon droit, n’ont pas voulu regarder une autre réalité en face : la tendance de cette classe d’actif à fonctionner en club fermé, où l’information sur les placements d’opérations sur le marché primaire dépend entièrement du bon vouloir des parties impliquées et où la mission des analystes des banques est d’ « éduquer » les investisseurs. En outre, le marché secondaire sur cette classe d’actif reste probablement l’un des plus hermétiques des marchés financiers.

Les termes des débats sur le futur de la titrisation n’ont guère évolué depuis la fin 2007. Les investisseurs réclament toujours que les entités émettrices fournissent plus d’informations sur les actifs sous-jacents, mais surtout des informations utiles et intelligibles qui aident vraiment à comprendre le risque qu’ils assument. Les émetteurs, quant a eux, rétorquent plus ou moins poliment que ces mêmes investisseurs ne se souciaient guère de transparence à la grande époque de ce marché et que la seule question qui leur était soulevée, c’était celle de la somme qu’ils pourraient investir ; le but étant d’acheter la plus grosse part possible de ces émissions.

En dépit de ces limitations et d’une réputation exécrable, cette classe d’actif est sortie de longs mois d’hibernation. Des doutes subsistent quant à la rentabilité de ces opérations pour l’entité qui titrise ces créances. Pour une titrisation de crédits immobiliers simples, les traites mensuelles et les remboursements des particuliers sont censés être suffisants pour rétribuer les investisseurs (les intérêts versés chaque trimestre ainsi que le paiement des obligations à maturité). Les gestionnaires d’actifs sont devenus beaucoup plus exigeants, alors que le coût des prêts n’a pas toujours augmenté dans les mêmes proportions.

Les régulateurs ont aussi tenté de placer des garde-fous. Que les structurers des banques d’affaire créent des montages financiers ambitieux, cherchant à pousser les limites au maximum, c’est inévitable. Les agences de notations doivent tester ces montages et déterminer s’ils résistent à des scenarios divers. On sait que ces scenarios seront dorénavant plus exigeants. Les autorités réglementaires européennes veulent éviter que les entités émettrices choisissent l’agence la moins-disant, en les forçant à rendre public le processus de notation et, le cas échéant, le refus d’une agence de noter une structure particulière.

Tout aussi important, l’entité émettrice de dette titrisée devra, à partir de janvier prochain, retenir en permanence un « intérêt économique net significatif » d’au moins 5 % et essuiera donc une perte si ces actifs sont toxiques. Le président de l’autorité des marchés financiers britannique (FSA), Adair Turner, distingue les activités financières « socialement utiles » de celles qu’il juge inutiles. Sur le plan réglementaire, les Européens ont été les premiers à tenter de donner de la substance à ces principes. Les professionnels admettent que ces règles ne sont pas ni trop onéreuses ni insurmontables pour les émetteurs. Reste à savoir si elles sont contournables.