Crise : tout a changé, mais rien n'a changé edit

24 septembre 2009

Une multitude de rapports ont été produits cette année, pointant les failles du système qui avait mené à la crise et proposant des réformes plus ou moins audacieuses. Trois G20 ont été réunis avec des listes impressionnantes de réformes à mener en matière de régulation financière. Mais tout se passe comme si à la grande peur avait succédé le lâche soulagement. En outre trois écoles s’affrontent sur les solutions, celle des politiques français et allemands, celle des gouvernants européens et américains, celle des académiques.

Il y a un an Lehman faisait faillite, libérant les forces de la panique financière : liquidité évanouie, paralysie des transactions, aversion maximale au risque, banques au bord de l’asphyxie, effondrement en cascade des diverses classes d’actifs, contagion de la peur. Cette faillite pour l’exemple devait prévenir la répétition de comportements hasardeux. En se sachant mortelles les institutions financières devaient apprendre la dure loi du marché et ne plus tenir pour acquis le sauvetage par la puissance publique. On connaît la suite : des milliers de milliards de dollars d’argent public mobilisés pour arrêter la réaction en chaîne de la crise systémique et la garantie solennelle donnée par les dirigeants de la planète de sauver toute banque « systémique ». Une conclusion est alors sur toutes les lèvres : le monde ne sera plus jamais comme avant.

Mais un an après, tout a changé et tout reste pareil. La disparition des broker dealers de Wall Street, les faillites en cascade, la contraction de la finance fantôme ont abouti à une formidable concentration financière et en même temps la finance de marché prospère, les produits exotiques reviennent en force, les traders et leurs bonus occupent toujours le devant de la scène et restent plus que jamais les meilleurs contributeurs aux profits des banques. Pire encore, c’est l’argent public qui a permis cette reprise de la spéculation puisqu’il a été accordé sans condition d’emploi, or il est plus rentable d’investir dans les opérations de marché que dans le crédit aux PME.

Tenons-nous en ici à la seule dimension financière de la crise, aux faiblesses majeures identifiées devant aboutir à une refondation de la régulation.

Les autorités politiques françaises et allemandes ont d’emblée insisté sur les incitations perverses des traders, les excès de l’effet de levier dans la stratégie des hedge funds et des fonds de private equity, les conflits d’intérêt dans les agences de notation, le trou noir des paradis fiscaux et le caractère pro-cyclique des normes comptables. C’est en moralisant le capitalisme qu’on peut, à les en croire, prévenir les crises futures.

On peut comprendre que des politiques cèdent à la tentation électoraliste, il est plus facile de désigner des boucs émissaires que de faire la pédagogie de la crise à ceux qui perdent leur emploi et leur épargne et qui n’en peuvent mais. La crise trouve son origine dans les excès de la titrisation de crédits immobiliers, elle-même justifiée par les demandes d’investissements sans risque avec un rendement supérieur à la dette souveraine de la part d’investisseurs locaux et étrangers. La recherche du profit par les banques commerciales plus que les incitations perverses des traders sont à l’origine de cette filière inversée de la titrisation. Mais même si l’on admet que les politiciens avaient raison en ciblant les traders, un an après peut-on dire qu’on ait progressé ? La réponse est négative : les bonus restent au cœur du mode de rémunération des opérateurs de marché, les agences de notation continuent à noter, les régulateurs ferment les yeux sur les modes de comptabilisation des titres financiers qui n’ont pas de valeur de marché attestée, quant au marché du LBO il est fermé du fait des banquiers qui cherchent à se désendetter.

Les autorités américaines et européennes ont davantage souligné les dangers de la fragmentation de l’appareil de régulation, l’absence d’un régulateur systémique, et les risques de l’arbitrage réglementaire. La crise a en effet révélé dramatiquement l’absence d’outil approprié pour traiter des défaillances d’AIG, de Fortis ou de Lehman et mis en évidence les impasses de la concurrence des régulations. Fortis a illustré l’adage qui veut que les multinationales vivent internationalement et meurent nationalement. La concurrence entre quatre régulateurs bancaires aux USA a révélé le laxisme des contrôles et l’expansion incontrôlée des activités non couvertes par l’un des régulateurs. Enfin la chute de Lehman a nécessité la mobilisation d’urgence du Congrès pour éviter la crise systémique.

Un an après peut-on dire que les problèmes identifiés soient en voie de règlement ? Le plan Obama qui prévoyait la fusion des régulateurs bancaires, la dévolution à la Fed du rôle de régulateur systémique et la création d’une Agence de protection du consommateur est en panne. L’idée de confier à la Fed un rôle central dans la prévention du risque systémique est contestée au sein même du Sénat, l’agence de protection du consommateur est sous le feu des lobbyistes. La fusion des régulateurs des produits dérivés a quant à elle été écartée. En Europe le plan de La Rosière qui vise à créer un régulateur systémique et à transformer les organes de coordination des régulateurs nationaux des banques, des assurances et des marchés en comités de plein exercice a été adopté. Mais les restrictions apportées à cet appareil de supervision sont telles qu’on ne peut en attendre grand chose. D’une part, le régulateur systémique ne peut attenter aux pouvoirs fiscaux des États et de plus ses avis devront rester confidentiels. D’autre part les comités restent des instances de coordination ayant un pouvoir d’injonction sur les superviseurs nationaux.

Un an est sans doute un horizon trop court pour juger d’une action de réforme, mais le processus en cours révèle que, dans la meilleure hypothèse, l’Europe ne se dotera pas d’un superviseur intégré et les États-Unis ne corrigeront qu’à la marge la fragmentation d’un système de régulation inefficace.

Au-delà deux questions majeures restent ouvertes. Que fait-on pour rendre transparentes et utiles à l’économie les opérations traitées sur les marchés de gré à gré (OTC) ? Comment prévient-on la formation des bulles d’actifs et quel rôle fait-on jouer aux banques centrales dans leur prévention ? La découverte au cœur de la crise des montants stratosphériques traités sur le marché des CDS et le caractère hermétique des CDO au carré conduit à privilégier une solution passant par le transfert sur des marchés organisés voire par l’interdiction pure et simple d’opérations sans sous-jacent réel. Mais là aussi on assiste à la coexistence d’initiatives privées en matière de normalisation des contrats les plus simples et de refus du lobby des dérivés de toute limitation des transactions. Quant au rôle des banques centrales dans la prévention de la formation des bulles, le problème a été jusqu’ici mal posé et ne peut donc trouver de solutions. La question en effet n’est pas de diagnostiquer la bulle pour la faire éclater préventivement. Il est en effet difficile de décréter l’apparition d’une bulle même si les travaux n’ont pas manqué pour en établir la réalité dans le cas de la bulle immobilière. Le problème est que l’ensemble des acteurs financiers étaient manifestement surexposés au risque immobilier et il était de la responsabilité des régulateurs de sonner l’alarme.

Si l’on se tourne à présent du côté des académiques deux éléments viennent se rajouter à tous ceux déjà mentionnés (régulation macro-prudentielle, failles du modèle origination-distribution, problèmes d’alea moral etc.) : la modulation des normes prudentielles, les situations de disparition de la liquidité. Les normes de Bâle 2 se sont révélé pro-cycliques. Elles ont conduit paradoxalement à réduire les exigences en capital au moment où la prise de risque augmentait. Les solutions techniques existent qui permettraient de moduler les ratios de solvabilité en fonction de la taille de l’établissement, de sa nature et de la phase du cycle du crédit. De même de nouvelles modulations pourraient être introduites en fonction des risques de liquidité. Mais une voix discordante s’est fait depuis entendre, celle du directeur du FSA Sir Adair Turner. Pour lui, le seul vrai problème est l’hypertrophie de la sphère financière et la seule solution passe par une réduction du volume des transactions et donc par une taxation de celles-ci grâce à une taxe Tobin réinventée. Libéré par l’audace d’Adair Turner le débat prend des formes novatrices comme l’idée de demander aux banques de préparer leur testament (living will) c’est-à-dire de livrer de leur vivant les clés de leur démantèlement en situation de crise. Toutefois à ce stade, peu de propositions débouchent réellement.

Au terme de ce parcours trois conclusions émergent.

La première est que les « distractions populistes » selon l’expression de Sir Turner l’ont emporté en France et en Allemagne sur une réflexion réelle sur les causes de la crise. Les discours sur la refondation du capitalisme sont d’une maigre utilité quand il s’agit de comprendre l’interpénétration du réel et du financier, le lien entre les excès d’épargne chinoise à placer en produits sans risque et la formation d’une filière inversée de la titrisation aux États-Unis.

La deuxième est que plus le choc de la crise se dissipe et moins les réformateurs publics font preuve d’audace. Que le 3e G20 convoqué en un an n’ait pas été capable de commencer à donner une traduction concrète aux projets de réforme de l’architecture de la régulation en dit long sur les difficultés pratiques de la réforme et sur le réveil des intérêts nationaux et des lobbies en tous genres. Du moins pouvait-on espérer que le G20 s’attaque aux déséquilibres globaux dans leur triple dimension réelle financière et de change or la coalition nippo-germano-chinoise interdit que le sujet soit même évoqué. On ne peut donc attendre de solution durable de ces réunions au sommet.

Enfin si le patron de la FSA ne trouve de solution durable que dans l’attrition d’une finance devenue moins utile à l’économie et pratiquant des bénéfices prédateurs alors on mesure la difficulté du problème.