Chine : quand le yuan s'éveillera edit

5 décembre 2007

Le débat récurrent sur la politique de change de la Chine se focalise sur l’urgence d’une réévaluation nominale du yuan et il a éclipsé la récente information sur le regain de l’inflation dans ce pays. Une appréciation de la monnaie chinoise en termes réels ne pourrait-elle pas faire partie de la solution au problème de la sous-évaluation du yuan ?

Depuis juillet 2005, le yuan a été réévalué par rapport au dollar, lentement mais sûrement. Cette réévaluation, de 11% en tout, n’est pas de nature à réduire l’excédent commercial de la Chine avec les Etats-Unis, et a fortiori avec le reste du monde. Certes, elle peut stimuler les exportations américaines vers la Chine, mais celles-ci ont une base trop étroite pour suffire à rééquilibrer la balance commerciale. Il n’est pas sûr que la réévaluation ralentisse notablement la progression des exportations chinoises parce que celles-ci ont un fort contenu en composants importés dont le coût baisse avec la réévaluation, ce qui permet à l’exportateur chinois de contenir la hausse de ses prix de vente tout en maintenant ses marges. Nous défendions déjà ce point de vue en 2003 (Le yuan doit-il être réévalué ? La Lettre du CEPII n° 227) ; et l’on voit bien que les importations des Etats-Unis en provenance de Chine ont continué à croître beaucoup plus vite que leurs importations totales en 2006 et 2007. Les autorités chinoises ne veulent pas procéder à une forte réévaluation qui risquerait de casser la croissance, de faire disparaître les entreprises les moins compétitives et qui en outre entraînerait des pertes sur les immenses réserves de change en dollars du pays.

L’appréciation de la monnaie chinoise peut aussi venir d’une hausse des prix en Chine, plus forte que dans le reste du monde. Les pays qui sont sur une trajectoire de rattrapage enregistrent généralement une hausse rapide de leurs prix internes et donc une appréciation tendancielle de leur monnaie en termes réels (effet Balassa). Cela ne s’est pas produit en Chine, qui connaît depuis le milieu des années 1990, une croissance de plus de 9% par an et une inflation de moins de 2% en moyenne. On explique cette évolution exceptionnelle par ses disponibilités quasi-inépuisables en main-d’œuvre qui freinent la hausse des salaires. Entre 1995 et 2004, l’immense réservoir de travailleurs non qualifiés que constituent les paysans cherchant un emploi hors de l’agriculture n’a bénéficié d’aucune augmentation de salaires. Par ailleurs, les entreprises ont fait de rapides gains de productivité, grâce aux technologies nouvelles et aux économies d’échelle, qui leur ont permis d’absorber la hausse des salaires qui a eu lieu depuis 2004 (pour les qualifiés et non qualifiés, dans les secteurs formel et informel de l’économie) et le renchérissement des matières premières et de l’énergie.

Le corollaire est que la Chine a pu continuer à jouer à fond la compétitivité-prix sur le marché mondial et se spécialiser durablement dans les produits « entrée de gamme ». Les exportations chinoises se sont considérablement diversifiées et elles incorporent de plus en plus de technologie moderne, mais elles ne sont pas montées en gamme dans l’échelle des prix. En 2004 comme en 1995, plus de 70% des exportations chinoises de biens manufacturés sont situées au bas de l’échelle des prix. Cette situation reflète le niveau des coûts de production chinois et sans doute aussi un positionnement sur les produits les moins sophistiqués. Enfin, on l’a vu récemment, cette pression à la baisse des coûts peut aussi conduire à des dérives vers la mauvaise qualité et le non respect des normes de sécurité.

Cela va-t-il durer? Depuis le milieu 2006, les calculs de la Banque des règlements internationaux (BRI) montrent une appréciation du yuan en termes réels (le taux de change effectif réel s’est apprécié de 8% entre juillet 2006 et octobre 2007). L’accélération de la hausse des prix en Chine en 2007 peut faire présager une inflation durablement plus élevée que dans l’économie mondiale. Le gouvernement chinois prévoit que l’inflation (prix à la consommation) atteindra 4,5% en 2007, contre 1,5% en 2006. Cette accélération est principalement due à la flambée des prix des produits alimentaires (+10,6% sur 10 mois). Celle-ci résulte, d’une part, de l’évolution de l’offre marquée par la crise du porc et l’augmentation du coût des intrants (céréales, soja), et par la contagion des cours mondiaux, et d’autre part, de la forte croissance de la demande. A certains égards, la hausse des prix alimentaires est un phénomène cyclique en Chine qui s’était déjà produit en 2004. Elle a en général un effet favorable sur le pouvoir d’achat de la population rurale, en termes absolus et relatifs (par rapport aux urbains). Indirectement, cette tendance favorise une hausse des salaires des ouvriers, car elle freine l’offre de travail non agricole.

On observe d’ailleurs en 2007 une nette accélération de la hausse des salaires urbains, de l’ordre de 19% au cours des 9 premiers mois, soit nettement plus qu’au cours des quatre années précédentes (entre 12% et 14%). Une telle hausse peut se révéler difficile à absorber par les entreprises sans augmentation des prix de vente (la hausse de la productivité du travail dans l’industrie manufacturière se situe autour de 21% ces dernières années).

Enfin, il y a la hausse des prix des matières premières (métaux ferreux et non ferreux) et de l’énergie. L’augmentation des besoins internes et la hausse des cours mondiaux poussent les prix chinois à la hausse, même si ceux-ci restent en grande partie contrôlés par l’Etat. La hausse des prix du pétrole importé (qui couvre la moitié des besoins internes) n’est que partiellement répercutée sur les utilisateurs, et les écarts de prix créent des tensions, comme le montre actuellement la pénurie d’essence à la pompe. Les autorités prévoient une forte augmentation des prix du charbon l’année prochaine. Le renchérissement de l’énergie et des ressources naturelles, phénomène global, devrait affecter particulièrement une économie comme celle de la Chine où l’intensité énergétique est élevée, et où la croissance est tirée par un secteur industriel dominant. Cette situation devrait conforter les nouvelles priorités tracées par Pékin en faveur d’un rééquilibrage de la croissance vers les services et les activités à forte valeur ajoutée. Des mesures ont été prises pour ralentir la croissance des industries fortes consommatrices d’énergie et de ressources naturelles (hausse de prix, taxes à l’exportation). Elles ont contribué à l’augmentation des prix chinois à l’exportation au cours du premier semestre 2007 (+8%) et, pour la première fois depuis longtemps, à une légère amélioration des termes de l’échange. Mais, de l’aveu même des autorités, les mesures économiques et administratives n’ont guère réussi à freiner la croissance des secteurs les plus consommateurs d’énergie qui s’est au contraire encore accélérée en 2007. La crainte de l’inflation retient les autorités de laisser monter les prix, mais la Chine peut-elle continuer encore longtemps à passer outre les signaux qui devraient la pousser à infléchir sa croissance et à monter en gamme ?

La spécialisation chinoise a été récemment étudiée en détail au CEPII par Lionel Fontagné et Rodrigo Paillacar (La Chine vend plus de produits aux Etats-Unis que l'Allemagne) et par Françoise Lemoine et Deniz Ünal-Kesenci (China and India in International Trade: from Laggards to Leaders ?).