Ça bouge au FMI edit

8 juin 2006

Ça bouge au FMI. Il y a deux mois, le Gouverneur de la Banque d’Angleterre avait tiré une première salve. Il exprimait le souhait que l'on repense la gouvernance du FMI. Cela faisait longtemps – au moins depuis la crise asiatique en 1997-1998 – que les observateurs étaient arrivés à la même conclusion, mais le monde officiel gardait une attitude plus que prudente sur un sujet qui fâche. Et voici qu'Anne Krueger, numéro deux du Fonds, avance des propositions concrètes. Elle propose d'accroître, automatiquement si possible, le poids des pays asiatiques. En creux, cela signifie que le poids des autres pays devrait diminuer. Evidemment, personne ne se porte volontaire, et c'est bien là toute la difficulté de la question. Il est vrai qu'Anne Krueger est sur le départ. Peut-être est-ce la raison d'une prise de position qui va irriter plus d'un gouvernement...

De quoi s’agit-il ? Le FMI appartient à ses pays membres qui y mettent de l’argent, en fonction de leur poids économique. Cet argent est ensuite utilisé pour faire des prêts aux pays qui font face à des difficultés de paiements internationaux. Le FMI est une sorte de pompier international qui essaie d’éteindre les feux des crises financières. Son principe de base est que chaque pays se voit doté d’un quota, qui est un droit à emprunter, une obligation de verser des fonds dans le pot commun, mais aussi un droit de vote. Du coup les plus gros sur le plan économique sont ceux qui ont le plus de pouvoir. La logique est celle de l’actionnariat : plus on paye, plus on contrôle. Le poids de la France est de 5,1%, celui des Etats-Unis se situe à 17,5%. La Chine est à 3% et l’Inde à 2%.

Ces quotas sont, en principe, révisés tous les cinq ans, pour tenir compte de l’évolution, essentiellement la croissance du PIB et des exportations de chaque pays. La dernière révision remonte à 1998. Celle de 2003 a été sautée, parce que la controverse montait. On avait donc diplomatiquement décidé de se donner rendez-vous pour 2008, officiellement pour se donner le temps de réévaluer l’ensemble de la question. Ce qui s’annonçait comme un enterrement pourrait devenir, enfin, un vrai débat.

La première question est bien celle des quotas. Depuis 1998, le PIB de la Chine a augmenté de 80%, et c’est loin d’être fini. En toute logique, il faudrait en gros doubler son poids, comme celui des autres pays émergents tels que l’Inde, la Corée, le Brésil, etc. Si on ajoute toutes ces augmentations, on arrive vite à 10% des voix, qu’il faudra bien enlever à d’autres pays, ceux qui croissent lentement, par exemple les pays européens. Or une révision des quotas doit être approuvée par 85% des voix. Comme les pays membres de l’Union Européenne, ensemble, totalisent quelques 29% des voix, il n’est pas difficile de deviner le résultat.

Mais ce n’est pas tout. Comme on ne peut pas asseoir les représentants des 184 pays membres autour d’une table, les décisions sont prises par un conseil d’administration qui comprend 24 directeurs généraux. Huit pays ont leurs propres directeurs généraux : les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Japon, la Chine, la Russie et l’Arabie Saoudite. Les autres pays forment des circonscriptions, en partie sur une base géographique ; chaque circonscription a son directeur général qui vote pour l’ensemble des pays qu’il représente. Or, huit des directeurs généraux sont européens, contre cinq asiatiques. Par exemple, le directeur général hollandais représente, outre son pays, 12 pays dont Israël, l’Ukraine et la Géorgie. Hasard de l’histoire, sans doute, mais cette domination européenne fait grincer bien des dents, d’autant que le nombre de voix contrôlées par ces directeurs généraux européens représente près de 41% du total. Une véritable force de frappe diplomatique que, curieusement, omettent de noter les critiques qui accusent le FMI d’être l’instrument des Etats-Unis.

Un autre accident de l’histoire concerne la nomination du directeur général, qui a un véritable pouvoir. Lors de la conférence de Bretton Woods, en 1944, un gentleman’s agreement a établi que le FMI serait dirigé par un Européen et la Banque mondiale par un Américain. Soixante ans plus tard, ce partage du monde continue. Un Espagnol, Rodrigo de Rato, a succédé en 2004 au Français Michel Camdessus à la tête du FMI. Les dents grincent. Il est vrai que son adjoint, aujourd’hui Anne Krueger, est toujours américain.

Depuis la crise asiatique, qui avait exposé de nombreuses lacunes dans le fonctionnement et la gouvernance du FMI, les propositions de réformes ont fleuri. Certaines sont iconoclastes. La droite du Parti républicain a suggéré de supprimer le Fonds qui, à ses yeux, gaspille l’argent du contribuable. Le Japon a proposé de créer un Fonds monétaire asiatique, concurrent d’un FMI par trop occidental. D’autres observent que, désormais, aucun pays de l’OCDE n’est susceptible d’avoir besoin de l’aide du Fonds ; pourquoi ces pays ne se retireraient-ils pas, tout simplement, laissant les utilisateurs potentiels gérer ce qui a toujours été conçu comme un instrument d’entre-aide ? Cela libérerait bien des voix et bien des sièges.

Anne Krueger a repris à son compte des idées qui se retrouvent dans la plupart des propositions plus modérées. Il s’agirait tout d’abord de revoir les quotas. A présent on part d’une formule compliquée (qui inclut le PIB, les exportations et les importations, les réserves de change), et on négocie. L’idée serait de simplifier la formule et de ne pas négocier. Pauvre Europe ! Il s’agirait ensuite de rectifier les circonscriptions qui se sont constituées dans le désordre au fur et à mesure que le nombre de pays membres passait de 29 à 184. Comme il s’agit avant tout d’aider les pays à défendre leur monnaie, d’aucuns ont proposé de rassembler tous les pays de la zone euro en une seule circonscription. Autrement dit, la France perdrait son siège exclusif, alors que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne garderaient le leur. Pauvre France ! Et puis, bien sûr, la mainmise européenne sur le poste de directeur général n’est plus tenable. Il s’agirait de choisir le directeur général en fonction de sa compétence parmi les candidats déclarés. Ah que la mondialisation est pénible !