Irlande : et après ? edit

5 octobre 2009

Appelé le 2 octobre à voter une seconde fois sur le traité de Lisbonne, après un premier référendum négatif en juin 2008, le peuple irlandais a donc dit oui à 67% des voix. La participation des électeurs irlandais a été de 58%, soit 5 points de plus que lors du précédent référendum. On peut revenir sur les raisons de ce résultat. Mais la question se pose surtout, désormais, de ce que feront la Pologne, la République Tchèque et le Royaume-Uni.

Il faut avoir l’honnêteté de le dire : les raisons qui ont conduit le peuple irlandais à dire oui à l’Europe et revenir ainsi sur sa décision ne sont pas encore claires. Aucun analyste n’est pour l’instant en mesure de les expliquer précisément. Nul doute que les garanties politiques apportées par les 27 au fait que le traité de Lisbonne n’affecterait ni la neutralité irlandaise, ni le droit à la famille (entendons par là l’interdiction de l’avortement), ni le système fiscal favorable aux entreprises, ont joué. Mais des éléments de contexte beaucoup plus généraux doivent aussi être pris en compte, et notamment le fait que l’Irlande se sent durement touchée par la crise économique après une période d’euphorie néolibérale qui avait encore cours en 2008. Le taux de chômage a doublé en un an pour atteindre 12,5% de la population active ; le déficit du budget pourrait atteindre 11% cette année ; les jeunes Irlandais commencent à penser à nouveau à l’émigration, alors que leur pays est devenu depuis quinze ans une terre d’immigration.

Pour l’Europe, les conséquences du oui irlandais sont fondamentales. Le résultat positif rend possible l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, bien que les ratifications ne soient pas encore achevées dans tous les autres Etats. En Pologne, le président Lech Kaczynski a toujours affirmé qu’il signerait la loi de ratification dès lors que les Irlandais auront dit oui. Pawel Svoboda, l’un des meilleurs commentateurs de la politique européenne à Varsovie, soulignait le 3 octobre : « On le croira vraiment quand on le verra ! ». Mais un intérêt important devrait pousser Kaczynski à signer : à un an de l’élection présidentielle à laquelle il souhaite être réélu, il ne serait pas vraiment de bonne politique de s’aliéner un public polonais dans l’ensemble pro-européen.

La situation tchèque est différente. Le président Klaus, qui est un idéologue de l’euroscepticisme, ne veut pas du traité de Lisbonne. Il a convaincu, il y a quelques semaines, certains membres du Sénat tchèque, qui lui sont proches, de saisir une nouvelle fois la Cour constitutionnelle pour vérifier la compatibilité du traité de Lisbonne avec la Constitution tchèque. Les juges constitutionnels tchèques, qui n’ont pas manifesté d’animosité particulière contre le traité de Lisbonne dans leur précédent arrêt, ont fait savoir qu’ils utiliseraient une procédure « fast track ». Leur examen nécessitera cependant plusieurs semaines. Le référendum et le recours devant les tribunaux constitutionnels nationaux sont ainsi les deux moyens qu’ont trouvés les eurosceptiques pour retarder la ratification des traités. Ces deux moyens sont parfaitement légaux. Pour les pays partenaires qui sont en attente de résultat, alors qu’eux-mêmes ont ratifié, se pose alors une question : faut-il laisser faire sans rien dire en considérant que toute pression venue de l’extérieur est toujours contreproductive ?

Certainement convient-il de distinguer la situation irlandaise de la situation tchèque présente. Dans le premier cas, il paraissait normal qu’aucune pression extérieure ne s’exerçât, car c’était le peuple irlandais souverain qui était appelé à se prononcer. Dans le cas tchèque, le peuple souverain s’est déjà prononcé en faveur du traité de Lisbonne par le biais des deux chambres du Parlement qui en ont autorisé la ratification. Ce n’est donc pas le peuple tchèque, mais le Président de la République qui refuse le traité. Or il n’est pas interdit de faire pression sur le Président tchèque (qui n’est pas élu au suffrage universel direct), en le distinguant de son peuple et du gouvernement tchèque qui souhaite pour sa part que le traité de Lisbonne voie le jour. Au final, beaucoup s’accordent à penser que Klaus devrait signer la loi de ratification. Mais s’il refuse avec l’espoir d’attendre la victoire des conservateurs aux élections britanniques de mai 2010, il ne faut pas hésiter à mettre en œuvre les dispositions du traité de Nice réduisant le nombre de membres de la Commission et ne pas attribuer de commissaire à Prague. Le président tchèque sera alors le responsable de la privation appliquée à son pays. Vaclav Klaus souffre depuis toujours d’un complexe : ne pas être aussi célèbre à l’étranger que son prédécesseur Vaclav Havel qui a pour lui la légitimité de la lutte contre le communisme et son œuvre de dramaturge. Pour surmonter son complexe, Klaus a besoin, comme certains enfants hyper-turbulents, d’être toujours à contre-courant pour exister. Son talent est d’avoir transformé son complexe en une ressource politique interne, car de nombreux Tchèques (surtout en dehors des milieux intellectuels) admirent le côté « trublion bagarreur » de leur président, pensant que leur Astérix de la Vltava est le seul à oser défier non seulement le grand Empire bruxellois, mais aussi la campagne mondiale contre le changement climatique. Les admirateurs de Klaus en République Tchèque ne mesurent pas toujours, si l’on paraphrase Montaigne, que vérité en-deçà des Sumava (la Forêt de Bohême en tchèque) ne vaut pas forcément au-delà !

Si la position de Vaclav Klaus est à la fois idéologique et psychologique, celle du leader des conservateurs britanniques, David Cameron, est quant à elle purement électoraliste. Malgré le résultat du deuxième référendum irlandais, Cameron répète que si son parti gagne les élections de mai 2010, comme le laissent entendre tous les sondages à Londres, et que le traité de Lisbonne n’est pas encore ratifié, il organisera un référendum. C’est une façon de rappeler que les leaders du Labour (Blair puis Brown) n’ont pas pris leur responsabilité européenne face au peuple britannique, et donc d’espérer gagner des voix supplémentaires lors des prochaines législatives. Mais il faudra bien un jour que les Tories sortent de leur euroscepticisme « petit bourgeois anglais », hérité de Margaret Thatcher, pour convenir que leur pays a besoin de l’Europe et que l’Europe a besoin de la Grande-Bretagne. Si Cameron veut rénover son parti pour inscrire la victoire dans la durée, il devra montrer (comme Blair l’a fait au sein du Labour) qu’il est l’homme de la rupture et non des vieilles antiennes. Cette rénovation passe par le renoncement à marteler auprès des électeurs britanniques que Bruxelles est le diable, alors que les intérêts de la Grande-Bretagne en Europe (commerciaux, économiques) n’ont fait que croître depuis l’adhésion de 1973 et que la société britannique est profondément européenne par ses valeurs. Au demeurant, à l'approche du référendum irlandais, le leader conservateur a commencé à infléchir sa position. Interrogé le 30 septembre sur la radio LBC, il a expliqué que les conservateurs organiseraient un référendum « si le traité est encore discuté et débattu ailleurs en Europe », mais que si les Irlandais, les Polonais et les Tchèques le ratifient, alors ces « nouvelles circonstances » l'amèneraient à reconsidérer sa position.

Au final, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne devrait avoir lieu avec un retard de deux ans. Il y a peu de chance pour que les gouvernements des 27 se lancent à court terme dans une nouvelle réforme des traités, après l’échec du Traité constitutionnel européen puis l’expérience douloureuse du traité de Lisbonne. Si ce dernier n’est pas porteur de changements révolutionnaires, il est important que les nouveaux postes qu’il prévoit (en particulier la présidence permanente du Conseil et le Haut-Représentant pour la politique extérieure) soient confiés à des personnalités politiques de premier plan. Leur responsabilité dans la dynamisation du débat européen futur, sera importante. Ils devront aider les 27 à définir un agenda dynamique de réformes sans que cela nécessite de changement des traités.