Afghanistan : les Américains ont-ils une stratégie ? edit

24 septembre 2010

Il faudra vraisemblablement attendre encore plusieurs semaines avant que ne soient connus les résultats définitifs des élections législatives en Afghanistan. Mais d’une certaine façon, le résultat importe peu, car personne ne pense qu’ils modifieront la donne politique dans ce pays. Les États-Unis eux-mêmes ne semblent attacher qu’une valeur relative à ce scrutin, ce qui conduit légitimement à se demander s’ils ont encore une véritable stratégie afghane.

En arrivant au pouvoir, Barack Obama avait clairement distingué ce qu’il appelait la « guerre par choix » (Irak), à laquelle il convenait de mettre un terme immédiatement, et « la guerre par nécessité » (Afghanistan) qu’il convenait de poursuivre et de gagner. Cette distinction reposait sur une idée assez simple. La guerre en Irak ne répondait à aucun impératif stratégique alors que celle d’Afghanistan se justifiait par la présence d’al-Qaida.

Par rapport à l’administration Bush, Barack Obama a introduit trois inflexions dans la politique afghane des États-Unis. La première a consisté à accroître très sensiblement la présence militaire américaine qui a ainsi triplé en 18 mois pour atteindre désormais 100 000 hommes. Cet engagement militaire s’est lui-même accompagné d’une réévaluation de la stratégie américaine sur le terrain. La priorité n’est plus de chercher à occuper le territoire et encore moins à poursuivre les talibans dans leur refuge montagneux, mais à gagner le soutien de la population en répondant à ses besoins les plus élémentaires et en veillant chaque fois que cela est possible à ce que les troupes américaines soient relevées par des troupes afghanes.

La seconde inflexion a consisté à s’intéresser davantage à la manière dont le président afghan Hamid Karzai gérait le pays, pour lui permettre de reprendre l’ascendant politique face aux talibans. À cette fin, une pression plus forte fut exercée sur lui pour qu’il s’attaque à la corruption phénoménale qui gangrène littéralement la société afghane.

La troisième inflexion enfin a consisté à redéfinir le cadre des relations américano-pakistanaises. En échange d’une aide économique massive, d’une aide militaire non moins substantielle, d’une prise en compte des préoccupations stratégiques du Pakistan face à l’Inde, l’administration Obama a cherché à regagner la confiance du pouvoir d’Islamabad qui se trouve lui aussi confronté un défi terroriste interne. Cette convergence d’intérêts se traduit par le soutien plus marqué du Pakistan au programme d’attaques ciblées contre les dirigeants de l’insurrection afghane par les drones américains. Dix-huit mois plus tard où en sommes-nous ?

Sur le plan militaire tout d’abord, il est bien difficile d’évaluer les résultats de la stratégie américaine puisque ce n’est au fond que depuis le début du mois de septembre que les effectifs américains ont atteint les 100 000. Néanmoins, rien n’atteste d’un affaiblissement de l’insurrection. Bien au contraire, celle-ci semble gagner de plus en plus le nord jusque-là relativement épargné. Certes, la thèse officielle américaine consiste à faire valoir le fait que tout lancement d’une stratégie de contre-insurrection entraîne dans un premier temps une intensification de l’insurrection, comme cela fut le cas d’ailleurs en Irak au moment du fameux surge. Ce que l’on sait néanmoins, c’est que les deux grandes opérations de contre-insurrection lancées par les États-Unis depuis 2010 n’ont guère produit de résultats spectaculaires. La première, lancée à Marjah en février 2010, semble avoir produit des résultats mitigés en raison notamment de l’incurie des troupes afghanes. La seconde prévue à Kandahar a été systématiquement reportée probablement au regard des résultats décevants constatés à Marjah. Quoi qu’il en soit, et quand bien même les forces américaines parviendraient à marquer des points face aux talibans, rien n’indique qu’elles réussiront à transformer ces hypothétiques gains militaires en résultats politiques importants.

Certes, les États-Unis n’ont jamais cru à une victoire purement militaire. Mais la difficulté est pour eux est de définir ce qui constitue véritablement une victoire en Afghanistan, ou tout au moins un succès. Or tout le problème est là. Car on ne voit pas comment gagner une guerre dont le but n’aurait pas été clairement défini. Certes, on peut naturellement penser que l’objectif ultime des États-Unis est de favoriser l’émergence d’un Afghanistan indépendant, pacifié et définitivement libéré des talibans et d’al-Qaida. Mais si tel était le cas, il faudrait alors y déployer au moins 600 000 hommes pendant une période de temps indéterminé et engager indépendamment des opérations militaires un immense programme de reconstruction de l’État afghan. Or Barack Obama a clairement précisé que le retrait des troupes américaines devrait commencer en juillet 2011, excluant par là toute idée de participation à un programme intensif de construction nationale même si c’est à cet objectif que tente de s’atteler avec beaucoup de difficultés l’aide civile américaine.

Il existe naturellement une autre option qui n’est d’ailleurs nullement exclusive de la première. Elle consiste à consolider le pouvoir politique afghan de manière à lui permettre de se défendre lui-même et de renforcer sa légitimité aux yeux de la population. Malheureusement, cette hypothèse paraît de plus en plus improbable. La défiance existante entre Washington et le président Karzai est très grande. Le régime afghan a désormais intégré le fait que les États-Unis finiront par partir. Et que dans ces conditions la priorité pour lui est de consolider son propre régime sauf que la manière dont il envisage de le faire diffère singulièrement de celle qu’ont en tête les États-Unis. Pour les Américains par exemple, la lutte contre la corruption constitue une véritable priorité. Mais pour M. Karzai, elle représente un instrument puissant de consolidation de son propre pouvoir. Comment d’ailleurs penser sereinement lutter contre la corruption dans un pays où 90 % de la dépense publique est le produit de l’aide étrangère, une aide étrangère qui loin de renforcer l’État ne contribue en réalité qu’à le débiliter en créant ses propres circuits, sa propre administration et en captant à son profit la ressource humaine locale qui pour des raisons financières évidentes préféra toujours travailler pour des acteurs étrangers que pour l’État afghan ? Si on ajoute à cela la manière dont l’aide américaine alimente directement la corruption à travers le financement des chefs de guerres qui protègent ses convois ou ceux d’ailleurs des trafiquants de drogue, on mesure l’ampleur du défi.

Reste une dernière option, celle qui consiste à assécher les soutiens extérieurs de l’insurrection. C’est bien évidemment un objectif que les États-Unis ont en tête, notamment à travers la réévaluation de leurs relations avec le Pakistan. Mais cette stratégie se heurte à de nombreux obstacles. Car si les dirigeants pakistanais et en particulier l’armée pakistanaise sont bel et bien décidés à lutter contre les talibans pakistanais et les différents groupes qui menacent leur État, ils ne sont nullement disposés à renoncer à soutenir les talibans afghans, dans la mesure où ces derniers constituent une arme de dissuasion massive face à leur adversaire régional : l’Inde. D’où cette situation inouïe dans laquelle se trouve la stratégie américaine en Afghanistan : l’action militaire américaine à travers le programme de lancement de drones cible prioritairement la faction Haqqani qui est probablement une des plus violentes et la plus liée à al-Qaida. Mais il se trouve que cette faction est très puissamment soutenue par le Pakistan, principal allié des États-Unis en Afghanistan...