La deuxième défaite du chavisme edit
Lors des élections législatives du 6 décembre 2015, le gouvernement de Nicolás Maduro ne pouvait qu’acter, impuissant, la deuxième défaite du chavisme politique, après l’échec du référendum de 2007. Héritier du système mis en place par Hugo Chávez, mort en 2013, le dauphin en place avait déjà réussi deux épreuves électorales difficiles, la présidentielle de 2013 et les élections locales de décembre 2013. Malgré cette assise politique, le PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela, parti de gauche révolutionnaire) a été vaincu, sanctionné pour ses contre-performances économiques ; celles d’un modèle à bout de souffle construit sur un contrôle du taux de change.
Le 8 décembre à l’annonce définitive des résultats, le haut-commandement civique-militaire de la révolution (nom donné par Chávez pour désigner le groupe des hommes les plus puissants du gouvernement) ne pouvait que constater l’ampleur de sa défaite. L’opposition groupée autour de la MUD (Table de l’Unité Démocratique : coalition de partis dont la médiane idéologique se situe au centre gauche) avait obtenu 2/3 des sièges à l’assemblée nationale, 112 sièges en comptant les trois représentants indigènes. De son côté, la coalition présidentielle n’a remporté que 55 députés pour un tiers de la représentation nationale. Avec 7,7 millions de voix (56% des votes), la coalition d’opposition avait 2 millions de voix d’avance et obtenait ainsi la majorité qualifiée, lui ouvrant les portes d’une révolution dans le rapport de force de la politique vénézuélienne.
La déliquescence de l’économie accompagnée d’une corruption généralisée ne s’est cependant pas transmutée automatiquement en défaite électorale. Nous souhaitons ici revenir sur la série d’événements qui ont permis à une crise économique de semer les bases de la première défaite électorale de Nicolás Maduro.
Un système économique en déliquescence
Une lecture sommaire des indicateurs économiques disponibles expose la faiblesse de l’économique vénézuélienne ; situation que le gouvernement a cherché à maquiller en bloquant la publication de données statistiques en 2015. Le pays a vécu une inflation de près de 200% sur l’année ainsi qu’une réduction du PIB de l’ordre de 7% selon les estimations du FMI. Cette situation a impacté la santé du secteur privé, pour preuve, les importations privées ont chuté de près de 80% en 2015 selon le syndicat des intérêts commerciaux dans le pays.
Au centre de ces problèmes économiques, les effets du système de contrôle de change (et de taux de change multiple) ont été exagérés par la politique monétaire expansive menée par la banque centrale dès 2011. Revenons tout d’abord sur le contrôle du taux de change. À partir de 2002, le gouvernement a instauré un système de monopolisation de la vente des monnaies étrangères dans le pays ; générant de fait un système de taux de change multiple : un taux officiel et un taux du marché noir. Sous ce système l’exécutif attribuait des dollars subventionnés qui pouvaient être échangés dans un marché parallèle (par un simple jeu d’écritures), offrant ainsi une marge substantielle aux hommes d’affaires connectés avec des fonctionnaires bien placés. Cependant, cette politique de dollars subventionnés augmentait le pouvoir d’achat des secteurs populaires, qui bénéficiait aussi des programmes sociaux mis en place par la révolution.
L’efficacité de cette politique de soutien au pouvoir d’achat par un taux de change surévalué a commencé à s’estomper dès 2009. À cette date le gouvernement a commencé à puiser dans les réserves internationales. Dès 2011, alors que les réserves en monnaie étrangères devenaient insuffisantes, l’exécutif a décidé de soutenir la consommation par une politique d’expansion monétaire : 50% d’augmentation de la liquidité en 2011 et 73% en 2014, contre 29% en 2007. Cette politique a généré une inflation très importante, mais aussi – par un mélange de corruption et d’inefficacité dans la vitesse d’attribution de ces dollars subventionnés – de pénuries de plus en plus sévères de produits de consommation de base. Pénuries qui ont été aggravées par une politique de gel des prix dès fin 2011 ; et qui ont pris forme dans les interminables queues que la plupart des Vénézuéliens – et surtout des Vénézuéliennes – doivent faire pour accéder aux produits. Ces difficultés n’ont été que décuplées par la chute du prix du pétrole, de 100 à 40 dollars le baril pendant l’année 2015, dans un pays dont les exportations pétrolières représentent 95% de la balance commerciale.
Cette situation défavorable s’est manifestée par une dégradation des indicateurs sociaux. Pour la deuxième année consécutive le baromètre de pauvreté conduit par des universités vénézuéliennes en 2015 a mis en évidence une augmentation de la pauvreté, revenue au niveau qui a mené Chávez au pouvoir en 1999.
Les ressorts d’un pouvoir politique et institutionnel au service d’une élection
Bien qu’affaibli par la situation économique qui se traduisait dans des faibles niveaux de popularité (autour de 20% d’approbation), le parti du gouvernement disposait encore d’importants atouts institutionnels pour préparer la campagne. Au centre de ce pouvoir hégémonique, la décision de l’opposition de ne pas participer aux élections législatives en 2005. Dans le texte de 1999, l’assemblée nationale – système unicaméral – nomme la majorité des représentants des autres pouvoirs constitutionnels. Dès 2005 avec la totalité des sièges à l’assemblée, le gouvernement a peint le système électoral et le système judiciaire en rouge. Mais a aussi propulsé une réforme de la loi électorale en 2009, qui à travers une transformation des circuits et du système de vote (mélange d’élection par circuit et par liste) donnait une très forte prime à la majorité au parti arrivé en tête des élections législatives. De plus, à travers ses victoires aux élections présidentielles, le PSUV contrôlait l’exécutif et le pouvoir de frappe de l’industrie pétrolière ; mais aussi l’organisme d’inspection des médias qui a exclu de plus en plus l’opposition de l’espace audiovisuel à partir de 2007, date de fermeture de la chaine RCTV.
Sur ce premier niveau d’attributions constitutionnelles, le gouvernement disposait de la première machine de mobilisation politique du pays. Elle reposait sur la réserve des presque 4 millions de fonctionnaires ainsi que sur la structure de l’Etat communal. Etat qui, construit en pyramide à partir des conseils communaux (structures de gestions des problèmes d’une communauté de 100 à 200 familles), servait de caisse de résonance au parti de gouvernement.
Préparer la campagne
Le gouvernement qui accusait d’un retard de 30 points dans les sondages en janvier 2015 a pesé de toute sa force institutionnelle lors de cette campagne pour limiter l’ampleur de la possible victoire de l’opposition. Tout d’abord le système judiciaire a inhabilité bon nombre de dirigeants d’opposition (dont la député Maria Corina Machado et Leopoldo López).
Deuxièmement, le pouvoir électoral a soit entravé la participation aux partis chavistes non affiliés à la coalition électorale (décision finalement cassée par le tribunal supérieur de justice), soit poussé à l’inscription de partis pour détourner les possibles votes pour l’opposition. Le cas le plus flagrant a été celui du parti MIN-UNIDAD qui, bien qu’affiliée à la coalition chaviste, utilisait la consonance de son parti avec celui de la MUD (UNIDAD) pour détourner des voix vers le PSUV. Le pouvoir électoral n’a par ailleurs pas obligé les médias nationaux à donner un temps de télévision équitable aux partis politiques ; notamment lorsque le gouvernement a privatisé les ondes télévisées nationales pendant la dernière semaine de campagne, excluant de fait l’opposition.
Troisièmement le gouvernement a mobilisé son pouvoir budgétaire pour répartir, via des missions sociales des appartements, des tablettes et des télévisions, mais aussi des sacs de nourriture, essentiels dans un pays de pénurie endémique. Ce dans l’espoir de transformer ces bénéfices de dernière heure en votes favorables.
Finalement, le gouvernement a activé sa machine partisane à travers le système 1x10. Dans cette forme de mobilisation une personne donne 10 noms d’électeurs potentiels (ainsi que leurs numéros de téléphone) pour qu’ils puissent être mobilisés le jour de l’élection.
Face à cette machine activée pour gagner une élection que le PSUV savait perdue, l’opposition a mobilisé le pouvoir de son réseau de maires et de représentant dans les assemblées locales (le Venezuela est un pays fédéral). À cette structure d’élus s’est agrippée une structure de défense du vote autour de commandements familiaux (comandos familiares) qui servaient également de structures de mobilisation électorale locale pour l’opposition. La condition de l’efficacité de cette organisation électorale avait été trouvée dans une alliance électorale nationale entre les cinq premiers partis de la MUD.
Cette inégalité dans les pouvoir relatifs des deux groupes en lutte semblait mettre le gouvernement en position de force, malgré les sondages défavorables. Et de fait, le PSUV a gagné 10 points dans les enquêtes d’opinion le mois précédent l’élection. Malgré ce déséquilibre l’opposition a gagné, remportant la victoire la plus nette des 9 dernières années.
Mesurer l’ampleur de la défaite
Le système s’est retourné contre le gouvernement. La prime à la majorité a servi l’opposition, transformant une avance de 56% des votes totaux en 67% des sièges (112 députés). Dans l’assemblée précédente le PSUV avait 100 députés ; il n’en aura plus que 55. Ce résultat global s’accompagne de certaines défaites locales significatives. L’opposition a raflé le vote des villes les plus importantes. Elle a également vaincu dans la ville natale de Hugo Chávez. Le résultat est cependant loin d’être simplement symbolique.
Grace à sa majorité de 2/3 l’opposition pourra avoir accès à tous les clauses constitutionnelles qui lui sont disponibles. Ainsi, hormis destituer les membres des autres pouvoir, l’opposition pourra : voter le budget, destituer des ministres, neutraliser le véto présidentiel et changer la constitution. D’une position de faiblesse et en utilisant les atouts institutionnels qui ont permis au gouvernement de concentrer tous les pouvoirs, l’opposition a conquis une position depuis laquelle elle peut handicaper l’action du gouvernement. Ce dernier utilisera ses derniers jours de pouvoir total pour empêcher l’action de la nouvelle majorité parlementaire, avec des effets qui pourront cependant être facilement inversés.
L’incapacité gouvernementale à réparer le système économique et la panne de la machine de mobilisation politique du PSUV ont coûté au gouvernement la perte de l’hégémonie institutionnelle héritée de Hugo Chávez qui lui assurait l’unité du mouvement révolutionnaire. La possibilité de négocier avec le nouveau pouvoir de l’assemblée ouvrira peut-être les portes à de nouvelles façons de faire de la politique au Venezuela.
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