Palestine : un gouvernement d’unité est-il possible ? edit
Bien que les divergences politiques en termes de projet national ne constituent pas un obstacle à un modus vivendi entre les deux principales formations palestiniennes, la mésentente entre le Hamas et l’Autorité palestinienne va bien au-delà d’une compétition pour l’accès au pouvoir. Les griefs réciproques sont profonds et les accusations de traîtrise risquent de faire éclater la communauté nationale. Quelles sont les conditions pour sortir de l’impasse ?
Les responsables du Hamas reprochent au Fatah d’avoir fait preuve de faiblesse à l’égard d’Israël et de les avoir arrêtés, interrogés et emprisonnés afin de protéger Israël. Dès le début de l’autonomie palestinienne, à la suite de l’enlèvement d’un soldat israélien par le Hamas en octobre 1994, Yasser Arafat avait ordonné à ses différents services de sécurité de pourchasser les islamistes. Un mois plus tard, une manifestation du Hamas était réprimée avec vigueur par les policiers palestiniens inexpérimentés provoquant la mort de treize personnes. Malgré la gravité des événements, Yasser Arafat avait freiné la dégradation des relations entre les deux camps en accusant les « collaborateurs » d’être à l’origine des tirs meurtriers. Le chef de l’OLP, décrié à l’étranger pour ses calculs politiciens et son double jeu, est parvenu pendant plusieurs années à concilier répression et négociation avec les responsables du Hamas.
Une fois Arafat mort, l’édifice fragile des relations entre le Fath et le Hamas s’étiole davantage. La deuxième Intifada le préserve pour quelque temps encore. Deux éléments accélèrent l’éclatement des tensions entre les deux mouvements. D’abord, le nouveau Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas élu en janvier 2005, est rapidement affaibli. Bien qu’il joue le jeu de la communauté internationale et celui du dialogue avec Israël, il n’obtient rien. Il perd ainsi de la crédibilité auprès des Palestiniens. Ensuite, preuve de la crise de confiance que suscite le Fatah, le Hamas remporte les élections législatives en janvier 2006 et gagne en assurance. Une partie des cadres du Fatah n’accepte pas la victoire du Hamas. La bataille est d’autant plus acharnée que certains militants du Hamas étaient impatients de prendre une revanche sur les responsables des services de sécurité et leurs alliés. Malgré la médiation saoudienne qui contraint les deux mouvements à former un gouvernement d’unité nationale, la violence prévaut à Gaza en juin 2007 et la brutalité du Hamas contraint de nombreux membres du Fatah à se réfugier en Cisjordanie pour échapper à la mort. La scission géographique entre la Cisjordanie et la bande de Gaza se double alors d’une fracture politique. Depuis, l’Autorité palestinienne officielle installée à Ramallah et le gouvernement dirigé par le Hamas à Gaza ont chacun cherché à consolider leur pouvoir sur leur base respective et à traquer leurs opposants.
L’opération militaire israélienne à Gaza a envenimé les perceptions : Mahmoud Abbas reproche au Hamas d’exposer la vie des Palestiniens, le Hamas accusant de collaboration le président de l’Autorité palestinienne. Aucun des deux protagonistes ne se sent suffisamment fort pour affirmer sa stratégie sans mettre en cause la crédibilité nationale de son rival. Effectivement, malgré leur assise respective, le Fath et le Hamas doivent tenir compte de l’extrême lassitude de la population. En fait, une grande partie de la société palestinienne ne croit plus que les négociations avec Israël lui permettront d’accéder à un Etat dans les frontières de 1967 ; pour autant, elle ne mise pas davantage sur la lutte armée pour atteindre cet objectif. La faiblesse politique des Palestiniens s’atténuerait si leurs dirigeants parvenaient à une entente et poursuivaient une stratégie commune. Manquant de charisme et d’habileté, apparaissant trop conciliant à l’égard d’Israël, Mahmoud Abbas n’est pas toujours vu comme le mieux placé pour parvenir à une réconciliation avec le Hamas. Marwan Barghouti, le leader emprisonné du Fatah aurait sans doute plus de chance d’y parvenir, notamment parce qu’il a participé avec des membres du Hamas à l’initiative des prisonniers au printemps 2007 pour favoriser une sortie de crise entre les deux mouvements. Ce document prônait la formation d’un gouvernement national et stipulait que la création d’un Etat dans les frontières de 1967 était un objectif commun. L’obstacle à la réconciliation ne tient pas tant à un clivage idéologique entre le Fath et le Hamas, qu’au besoin de ce dernier d’être reconnu à part entière comme un acteur légitime du jeu politique et un partenaire. Une garantie supplémentaire serait donnée si les membres de sa branche armée et de sa force exécutive étaient intégrés ou associés aux services de sécurité palestiniens. Si le Hamas persiste à se sentir exclu, il n’hésitera pas à envenimer la situation en désignant le Fatah et ses chefs comme des traîtres.
Ne nous trompons pas néanmoins. Si la formation d’un gouvernement palestinien d’union nationale dépend de la capacité des protagonistes de chaque camp à tenir compte de l’urgence politique en jeu, sa réussite dépend aussi de son acceptation par la communauté internationale. Force pour elle de constater que le système de sous-traitance sécuritaire mis en place par les accords d’Oslo ne peut plus fonctionner. Pour trouver la paix avec les Palestiniens, il faudra considérer l’ensemble de leurs représentants. Un partage des tâches selon lequel seuls les membres du gouvernement appartenant au Fatah seraient habilités à prendre part aux discussions diplomatiques n’est pas viable. Un gouvernement palestinien d’union nationale doit être reconnu dans sa totalité. Le Quartet, l’union européenne et Israël exigent pour cela que le Hamas renonce à la violence, accepte les accords signés par l’OLP et reconnaisse Israël. Enoncées comme telles, les conditions posées par la communauté internationale n’ont aucune chance d’être acceptées par le Hamas.
Se pose en définitive la question de la capacité du Hamas à évoluer. Si l’on considère uniquement sa plate-forme idéologique, il y a toutes les raisons de penser que la pensée du Hamas est incompatible avec l’idée d’une coexistence avec Israël. Si, au contraire, on décide de le considérer comme un mouvement politique animé par des acteurs opérant des choix en rapport avec leurs valeurs, mais aussi en fonction d’opportunités et de leurs intérêts, on peut se montrer plus optimiste et envisager de négocier avec le Hamas.
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