Emprunt : finalement ce sera 20 ! edit

25 novembre 2009

Le gouvernement Fillon a décidé de lever un Grand Emprunt pour financer des investissements publics. Son montant est passé de 100 à 20 milliards, donnant ainsi l’impression d’un manque d’ambition de la part de la commission Juppé-Rocard. Pourquoi une telle réduction ? Quelles en seront les conséquences sur l’endettement public ?

La France est passée dans un régime d’émission de dette nettement plus important que par le passé. L’historique des émissions de dette en France sur une quinzaine d’années fait apparaître trois périodes. Jusqu’en 2001, les émissions annuelles de la France étaient inférieures à 90 milliards. Elles ont ensuite atteint environ 100 milliards entre 2002 et 2007. Elles sont finalement passées à 130 milliards en 2008, 253 milliards en 2009 et 212 milliards sont prévus pour 2010. Les 22 milliards de l’emprunt sont donc une somme importante au regard des émissions moyennes passées, surtout si l’on excepte les deux dernières années. L’emprunt est également important comparé aux déficits passés, qui varient entre 40 à 50 milliards d’euros par an, encore une fois si l’on excepte 2009 et 2010.

De plus, ce n’est pas uniquement l’impact intrinsèque de 22 milliards d’euros qui est important, mais l’impact d’un emprunt exceptionnel en sus d’émissions prévues déjà élevées. Si la demande pour les titres français a toujours été importante, rien ne garantit que la situation n’évolue pas. Une émission trop importante pourrait ainsi se conclure soit par une émission dite non-couverte (l’ensemble des titres mis en vente n’aurait pas trouvé preneur) soit à un prix de vente plus faible et donc à une rémunération payée par l’Etat aux investisseurs plus élevée. De nombreuses études montrent que si la quantité de dette émise augmente, les taux d'intérêt et donc la rémunération exigée par les investisseurs augmentent également sensiblement. Emettre plus de dette signifie donc payer plus cher cet endettement, et ce pour de nombreuses années. Cela signifie que l’émission de dette dans le futur sera plus couteuse.

En outre, il est facile de constater qu’en Europe, en plus de la dette française, des quantités importantes de titres substituables, comme les obligations allemandes, sont émises. Cette abondance d’offre de titres similaires est à prendre en compte pour l’émission d’obligations françaises et plaide en faveur de la limitation de la taille du grand emprunt. Un dernier argument est de dire que l’emprunt est susceptible de diminuer l’épargne allouée au secteur privé et ainsi d’augmenter son coût de financement.

Pour résumer, vouloir faire un « trop » grand emprunt aujourd’hui pourrait avoir des conséquences à moyen terme déplaisantes sur les finances publiques et les capacités d’emprunt de l’Etat français. L’argument développé repose uniquement sur un mécanisme d’offre-demande sur le marché des titres financiers et ne dépend absolument pas de l’utilisation qui est faite des fonds empruntés. Néanmoins, il s’agit également d’une dimension importante et il faudra être attentif à ce que le rendement social des investissements justifie les conséquences de l’emprunt sur la dette.

Le deuxième point que je souhaiterais expliquer est la décision de ne pas faire appel à l’épargne publique pour financer le grand emprunt. La raison invoquée à juste titre est d’en diminuer le coût. En effet, les coûts supplémentaires d’une émission auprès du grand public sont multiples. Tout d’abord, il faut faire appel à des intermédiaires, des banques en l’occurrence, pour réaliser le placement auprès des particuliers. Cette activité d’intermédiation a forcément un coût, qui est d’autant plus élevé que la taille de l’emprunt est grande. Ensuite, une campagne de publicité doit être menée pour inciter le grand public à participer à l’opération. Cette campagne est d’autant plus nécessaire que les montants empruntés sont élevés, car il faut s’assurer que la souscription sera suffisante. De plus, les arguments marketing sont rarement suffisants pour attirer l’investisseur individuel et il est nécessaire de les accompagner d’un « bonus » financier, sous la forme d’une rémunération plus importante ou d’un cadeau fiscal.

Ce coût supplémentaire est critiquable en soi mais est aussi probablement injuste socialement. Les études montrent en effet que les ménages qui ont un patrimoine financier significatif sont les ménages les plus riches. De plus, compte tenu de la faible part de l’impôt sur le revenu dans les recettes totales de l’Etat, l’emprunt sera financé en grande partie par des impôts peu redistributifs, comme la TVA par exemple. Emprunter en faisant appel à l’épargne publique reviendrait à effectuer un transfert à destination des ménages les plus aisés, financé par l’ensemble des ménages. Ce n’était pas forcément un bon plan… politique.