Face au reflux de l'inflation la BCE devra-t-elle baisser ses taux ? edit

18 octobre 2006

Face au reflux inexpliqué de l'inflation certains commentateurs annoncent que la BCE devra baisser ses taux. Que faut-il en penser ?

Convenons-en, les derniers chiffres sur l'inflation sont surprenants. L'explication généralement avancée, la baisse des cours du pétrole, joue sûrement un rôle, mais il est étrange que l'effet soit aussi fort à la baisse alors qu'il avait été plus modéré durant la phase de hausse. L'explication qui avait été alors avancée était que la faible croissance exerçait un effet modérateur sur les prix et les salaires. Or la croissance est revenue en Europe, et la croissance tend à créer de l’inflation quand les carnets de commande se remplissent et le chômage baisse. C’est pour cela qu’on s’attendait à ce que la pression inflationniste modère l'impact de la baisse des prix du pétrole. Pourquoi ceci ne s’est-il pas produit ? Mystère. Pour l'instant, le reflux de l'inflation reste une bonne surprise non expliquée et donc suspecte.

Cela remet-il en cause l'orientation de la politique monétaire suivie par la BCE? Après tout, Jean-Claude Trichet et ses collègues ne cessent de répéter que ce sont les risques inflationnistes qui les amènent à poursuivre la remontée des taux d'intérêt. Non seulement il est bien trop tôt pour tirer des conclusions, mais la logique même de la politique monétaire suggère que les taux d'intérêt vont et doivent continuer d'augmenter.

Trop tôt car non seulement la baisse de l'inflation n'est pas comprise, mais elle n'est pas non plus acquise. La baisse repose sur la comparaison des mois d'août et septembre. Ces chiffres sont, pour l'instant, des estimations provisoires. Par le passé, les estimations plus complètes, qui suivent avec quelques mois de retard, ont souvent résolu bien des mystères en révélant qu'ils n'ont jamais existé.

Trop tôt aussi car il n’est pas sûr que les prix du pétrole vont rester au niveau actuel. On a expliqué les hausses par la vigueur de la croissance mondiale, qui est dévoreuse d’énergie, par la rapide montée en puissance de la Chine, qui est une grande importatrice de pétrole, par quelques événements isolés, comme des problèmes techniques en Alaska ou les manœuvres de la Russie pour évincer les compagnies internationales des nouvelles exploitations en Extrême-Orient, ou bien encore par l’utilisation politique du pétrole par Chavez au Venezuela. Le moins que l’on puisse dire est que la situation n’est pas claire, d’autant que l’Opep a déjà annoncé son intention de réduire la production pour enrayer la baisse des cours.

Trop tôt, enfin et surtout, parce que la politique monétaire produit ses effets avec lenteur. Il faut attendre entre 18 et 24 mois pour que les décisions de la BCE affectent le taux d’inflation. Ce à quoi pense la BCE, donc, ce n’est pas à l’inflation ce mois-ci, mais à ce qu’elle sera en 2008. Elle n’a pas le choix car elle n’a pas les moyens de peser sur l’inflation en 2006, et très peu en 2007. En fait, elle se doit d’ignorer ce qui vient de se passer, sauf si les derniers développement en annoncent d’autres à plus long terme. Or, l’incertitude sur les raisons de la baisse inattendue des prix du pétrole et la baisse de l’inflation en septembre ne permettent de tirer aucune conclusion pour l’avenir. Ce que la BCE voit aujourd’hui, c’est la croissance revenue. Certains croient déceler un essoufflement. Ils ont peut-être raison et si c’était bien le cas, la BCE devrait effectivement revoir sa copie. Pour l’instant, honnêtement, on n’en sait rien. Chacun a sa petite opinion, mais ces opinions divergent. Donc, là encore, c’est le brouillard.

Mais, justement, ce brouillard ne devrait-il pas encourager la BCE à attendre avant de continuer à faire monter le taux d’intérêt ? On aurait envie d’accepter cette conclusion, mais il y a autre chose à prendre en compte. Le taux d’intérêt que contrôle la BCE est aujourd’hui de 3,25%. C’est historiquement bas. Cela signifie que la politique monétaire est encore, pour l’instant, plutôt orientée vers un soutien à l’expansion. Les spécialistes débattent sur la question du niveau auquel la politique monétaire est neutre, ni expansionniste, ni contractionniste. Comme toujours, ils ne sont pas d’accord mais la plupart placent ce niveau entre 3,5% et 4%.

La BCE, elle, se garde bien de communiquer ce qu’elle pense sur cette question cruciale, mais il serait surprenant qu’elle pense différemment. Dans ces conditions, sa stratégie est de continuer à faire remonter le taux d’intérêt dans cette zone « neutre ». C’est ce qu’elle veut dire quand elle parle de normalisation du taux d’intérêt. Il faudrait qu’elle prévoie une baisse de la croissance dans un horizon d’un an ou deux pour qu’elle cesse de normaliser et envisage de faire baisser le taux d’intérêt. Si on pouvait l’assurer que les prix du pétrole allaient continuer à baisser, elle pourrait même décider d’en profiter et de maintenir son taux en dessous de la zone neutre et renforcer ainsi la croissance. Mais personne ne peut l’en assurer, bien sûr. Dans ces conditions, le brouillard ne signifie pas que la BCE doive garder le taux où il est, mais plutôt qu’elle doit mener la normalisation à son terme. Seule une percée du brouillard peut la conduire à remettre cette stratégie en question.

La vraie question est jusqu’où les taux d’intérêt vont-ils remonter. L’idéal serait de les ramener dans la zone neutre, on y est presque, et de les faire redescendre le jour où la fin de l’expansion s’annoncera à l’horizon. Mais la réalité n’est jamais idéale. D’abord, on ne sait pas précisément où est cette zone neutre. Le monde a bien changé. Il y a, d’abord, la naissance de l’euro. On manque de recul pour savoir précisément comment la monnaie unique fonctionne. Il y a aussi la mondialisation. L’émergence de la Chine, de l’Inde, du Vietnam, du Brésil peut-être, a changé la donne. Ce sont des centaines de millions de personnes qui participent aujourd’hui au grand marché mondial. Pour l’heure, avec des salaires très bas, ils pèsent sur les prix. Ce bouleversement change les références anciennes. Il se peut que la zone neutre soit plus basse qu’on le croit. Mais il se peut aussi que l’émergence de ces nouveaux producteurs continue à faire grimper les prix de toutes les matières premières et provoque une pression inflationniste qui situerait la zone neutre plus haut. Enfin, il se peut que la BCE a gardé trop longtemps le taux d’intérêt trop bas et qu’une forte pression inflationniste soit déjà dans les tuyaux. Dans ce cas, lorsqu’elle commencera à se manifester, il sera trop tard pour que la BCE puisse la neutraliser, et elle sera amené à faire remonter rapidement et fortement le taux d’intérêt au-delà de la zone neutre.

Voilà où on en est. Bien malins ceux qui ont des réponses définitives !