Auf Wiedersehen, Eurozone? edit

10 mai 2020

Le jugement de la Cour constitutionnelle allemande (le Bundesvergassungsgericht – BverfG) rendu mardi 5 mai 2020 sur la légalité du programme d’achat d’obligations de la Banque centrale européenne (BCE) est un coup dur pour la survie de la zone euro.

L’affaire portée devant le BverfG concernait le Programme d’achat de titres publics (public service purchase programme) de la BCE, une stratégie monétaire d’assouplissement quantitatif lancée en 2015, et ajustée plusieurs fois par la suite, pour lutter contre un problème persistant de déflation chronique dans la zone euro.

La légalité du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE avait été contestée par des membres ultra-conservateurs du parti néo-nazi Alternative fur Deutschland, et cette requête avait été balayée à juste titre par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) dans un arrêt de décembre 2018.

Mécontent de l’arrêt de la CJCE, le BVerfG a décidé de prendre l’affaire en main et de revoir l’arrêt de la CJCE, afin d’évaluer si la BCE (et par conséquent la CJCE) avait agi dans les limites de son mandat, tel que défini dans les traités de l’UE - tel qu’interprété par le BVerfG lui-même.

Dans le jugement rendu mardi 5 mai, le BVerfG a jugé que la CJCE avait rendu une décision erronée et que l’action de la BCE était illégale. En conséquence, le BVerfG a annulé la décision de la CJCE en Allemagne, décision qui permettait à la Banque centrale allemande (la Bundesbank) de participer au programme.

Pour éviter un effondrement financier, le BVerfG a accordé un délai de trois mois à la Bundesbank pour sortir de l’assouplissement quantitatif de manière coordonnée - une période pendant laquelle le BVerfG a déclaré que la BCE devrait mieux justifier la proportionnalité des décisions de politique monétaire qu’elle avait adoptées il y a cinq ans.

Cependant, le BVerfG n’a pas le pouvoir de contraindre la BCE à faire quoi que ce soit, et bien que le BVerfG ait suggéré que le gouvernement allemand puisse engager une procédure pour contrer l’action illégale de la BCE (devant la CJE), on ne sait pas exactement comment la BCE peut ou doit répondre aux préoccupations du BVerfG.

En déclarant que la clause d’éternité de la Loi fondamentale allemande est manifestement incompatible avec un pilier de l’action de la BCE visant à répondre à l’état désastreux de l’économie de l’UE, le jugement du BVerfG jette un nuage noir sur l’avenir de la zone euro, et sur sa survie même.

En effet, même si le BVerfG souligne que son jugement n’a rien à voir avec les mesures d’urgence adoptées par la BCE pour répondre au Covid-19 – le programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP) – il est clair que les implications de ce jugement sont dévastatrices pour ce programme.

Après tout, si la BCE n’est pas autorisée à adopter une mesure de politique monétaire assez standard comme l’assouplissement quantitatif (qui prévoit incidemment l’achat d’actifs des États selon les clés de répartition du capital de la BCE), comment peut-elle entreprendre un programme comme le PEPP (où l’achat d’obligations des États en fonction du besoin) ?

L’arrêt du BVerfG est l’aboutissement de trois décennies de retranchement dogmatique et d’euroscepticisme croissant qui se sont déjà manifestés dans des arrêts antérieurs, mettant des limites à de nombreuses mesures adoptées par l’UE pour répondre à la crise de l’euro et laissant déjà présager une confrontation avec la CJCE.

Néanmoins, avec cet arrêt, le BVerfG franchit le Rubicon et, pour la première fois, annule l’action d’une institution européenne (la BCE) qui avait été déclarée pleinement légale par une autre institution européenne (la CJCE) - et ceci sur la base d’arguments économiques sur lesquels il n’a aucune compétence.

Il reste maintenant à voir ce qui va se passer.

La BCE, dans un esprit de coopération, pourrait trouver le moyen d’obliger, en offrant une meilleure justification de son PSPP - de sorte que la question soit réglée sans trop de bruit, et que la zone euro continue à vaciller, en se contentant de flatter l’ego du BVerfG.

Cependant, il n’est pas certain que la BCE puisse offrir une justification plus convaincante que celle, détaillée, qu’elle a déjà fournie à la CJCE pour justifier l’assouplissement quantitatif. Et si le problème du BVerfG est que l’assouplissement quantitatif a également des effets fiscaux – alors il n’y a vraiment aucune justification qui puisse calmer cette inquiétude.

Sinon, la BCE pourrait continuer à procéder à l’assouplissement quantitatif sans la Bundesbank - qui, techniquement, n’est qu’une annexe d’une banque centrale européenne entièrement fédéralisée. De fait, si la Bundesbank n’obéissait pas, l’UE (ou un autre État membre) pourrait poursuivre l’Allemagne pour violation de ses obligations au titre du traité.

Pour autant, il est clair qu’une BCE lançant un programme sans l’implication de la banque centrale du membre le plus riche et le plus peuplé de la zone euro enverrait un mauvais signal politique, et qu’il serait ainsi reçu par les marchés financiers.

Enfin, l’arrêt peut également susciter une réponse forte. Cela devrait probablement commencer en Allemagne, car la décision de démanteler la zone euro est du ressort des politiques – et non de huit juges non élus, dont le pouvoir devrait être intégré dans un système de freins et de contrepoids.

Cependant, la question est également cruciale pour l’UE, qui devrait décider une fois pour toutes quelle institution et quelle loi est suprême dans une union d’États membres égaux, qui ont tous partagé leur souveraineté sur la base bien comprise d’être mutuellement soumis à la même loi.

Le problème est qu’il n’est pas certain que dans l’état actuel de l’UE – où partout se font jour des pulsions nationalistes et des revendications d’identité constitutionnelle (le nouveau mot sexy pour la souveraineté) – il soit possible de se mobiliser suffisamment pour régler la profonde question fédérale ouverte par le BVerfG.

En tant que tel, le jugement d’aujourd’hui est une mauvaise décision, rendue à un mauvais moment, et avec des conséquences pires encore. Après le Brexit, et compte tenu des implications dévastatrices du Covid-19, nous n’avions vraiment pas besoin d’une plus grande instabilité de la zone euro.

La version anglaise de cet article, disponible sur Telos, a été d’abord publiée par BRIDGE, un réseau universitaire pluridisciplinaire qui étudie les crises actuelles de l’Union européenne et évalue les réponses de l’UE en matière de gouvernance. Une version italienne a été publiée par le Centro Studi sul Federalismo.