Les subventions agricoles ont besoin de transparence ! edit

19 mai 2006

Faut-il obliger les Etats membres de l'Union européenne à fournir des informations sur les bénéficiaires des fonds communautaires faisant l'objet d'une gestion partagée ? Si oui, dans quelle mesure et sous quelle forme ? Telles sont les deux questions issues du Livre vert publié début mai 2006 par la Commission européenne afin de stimuler le débat, entre autres, sur la divulgation de l'identité des ayants droit des fonds communautaires et notamment ceux qui touchent à l'agriculture.

En effet, l'absence de cadre réglementaire européen quant au caractère confidentiel, ou non, des bénéficiaires de fonds soumis à une gestion partagée conduit à des situations de transparence hétérogènes. Le cadre juridique actuel interdit toute publication de ces informations par la Commission sans l'accord préalable de l'Etat concerné, si toutefois elles lui ont été transmises. A ce jour des informations sont disponibles partiellement ou totalement pour onze Etats membres : Belgique, Danemark, Espagne (Andalousie, Castille-la-Manche et Extremadure), Estonie, France, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Royaume Uni (Angleterre, Ecosse, Irlande du Nord), Slovénie et Suède. De même, le degré de précision de ces informations et le mode de fourniture varient considérablement d'un Etat à l'autre - aides compensatoires passées et futures via les DPU, panoplie de mesures dites de développement rural, subventions à l'exportation - accès direct ou sur demande - période couverte, etc. Seuls le Danemark, les Pays-Bas et la Suède offrent une transparence exhaustive bien que non encore appliquée aux DPU.

Il est intéressant de souligner le rôle pionnier du Danemark en la matière. En effet, en juin 2004, Mariann Fischer Boel, aujourd'hui Commissaire européen de l'agriculture et du développement rural, a en qualité de ministre danois de l'Agriculture, pris la responsabilité de publier officiellement ces informations (annonçant à l'occasion les montants reçus par sa propre exploitation familiale). La société civile européenne, engagée dans le projet Farmsubsidy, est également très active dans cette initiative et a largement contribué à l'inscription de la transparence des bénéficiaires de la PAC dans ce Livre vert. Cependant, les sensibilités traditionnelles et culturelles de certains Etats membres bloquent une réalisation similaire à l'échelle européenne.

La France, qui pour des raisons historiques et politiques demeure le premier bénéficiaire de la PAC en terme de flux financiers (elle reçoit plus de 21,5% des dépenses agricoles communautaires soit par an, approximativement 9,5 milliards d'euros), en est le parangon. En effet, les 2530 plus grandes exploitations (moins d'un pour cent du total des exploitations françaises) reçoivent plus de subventions que les 182 270 plus petites exploitations (près de 40 pour cent du total des exploitations).

Outre la complexité technique et administrative que représente une telle démarche, notamment due au nombre des Offices de paiement et aux paiements croisés, le gouvernement français n'adhère actuellement pas à ce mouvement de transparence pour des raisons plus politiques qu'économiques et sociales. Il tente de désamorcer les vives tensions ceignant la PAC

- au niveau national : les difficultés d'application et d'acceptation de la dernière réforme de 2003 tout en tentant de ne pas exacerber les tensions sociales pouvant découler de la communication de rentes astronomiques à certains agents

- au niveau communautaire : les intérêts divergents inter-nationaux et inter-institutionnels s'intensifient alors que les charges financières de la PAC mettent à mal l'idée d'un budget moderne et solidaire

- enfin au niveau international : les distorsions induites par notre système agricole contribuent clairement au blocage du Cycle de Doha.

Les dispositions juridiques sur lesquelles s'appuient les autorités françaises pour couvrir un refus de communication, bien que déboutées par la Commission d'accès aux documents administratifs en cas de recours, sont celles de la loi Informatique et libertés. Or, cette dernière ne peut légitimer un tel refus. Sous l'hypothèse que la PAC poursuit un rôle de service public à travers des paiements directs visant à compenser la baisse des prix agricoles, ces paiements ne dérivent pas d'aspects privés (financiers ou familiaux) de la vie des bénéficiaires. Le même raisonnement s'applique à la notion de multifonctionnalité associée au secteur agricole. L'intérêt public est un élément fondamental dans la divulgation de données à caractère personnel. Il devrait alors aisément contrebalancer l'opposition sous-jacente à une quelconque appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique ou morale, d'autant que l'appréciation se porte non sur le bénéficiaire, sinon sur la PAC. Ainsi, c'est bien une distribution efficace, équitable et transparente de ces subventions qui présentent un intérêt public certain.

Enfin, d'un point de vue entrepreneurial, la communication du total des paiements annuels n'est pas à même d'occasionner des risques commerciaux significatifs. En mars 2006, après la diffusion, par le gouvernement français, d'une liste nominative des 10 principaux bénéficiaires passés des primes végétales et animales (ces 20 exploitations se sont partagées 8,67 millions d'euros en 2004), une communication exhaustive est devenue juridiquement inéluctable bien que difficile à concevoir avant les élections présidentielles françaises de 2007.