Le citoyen, l'expert et la piscine edit

30 octobre 2006

Ségolène Royal vient de proposer la création de « jurys de citoyens tirés au sort » qui assureraient « une surveillance populaire sur la façon dont les élus remplissent leur mandat ». Cette proposition vise à reconnecter les Français avec leurs élus en les impliquant dans la gestion des affaires publiques. Par ailleurs, ces commissions pourraient combler le déficit d'évaluation dont souffre l'action publique en France. Ces comités de « citoyens-experts » sont-ils en mesure de résorber à la fois un déficit démocratique et institutionnel ?

La mission des jurys de citoyens serait, selon son instigatrice, de « comparer les promesses avec les résultats ». Quel sens peut-on donner à cette phrase ? Prenons un exemple. Un nouveau maire est élu sur un programme électoral qui annonce la construction d’une nouvelle piscine municipale. Au premier abord, comparer promesse et résultat peut signifier regarder si cette piscine a été construite ou pas. Mais, dans ce cas, a-t-on vraiment besoin d’un jury de citoyens pour s’occuper de cette question ? Tous les électeurs de la commune peuvent juger directement par eux-mêmes si cette promesse a été tenue ou non. Et même si cette promesse a été oubliée par les électeurs, il existe une opposition municipale, une presse locale et des groupes de pressions locaux (tels des clubs sportifs dans le cas présent) qui se chargeraient de rappeler à l’élu ses engagements passés.

Sans doute cette définition de l’évaluation est-elle trop superficielle. Au-delà de la présence d’une nouvelle piscine, il s’agit aussi de savoir si sa construction a été bien menée. Un tel audit ne s’improvise pas. Est-ce que des citoyens tirés au sort sont vraiment à même d’accomplir un tel travail ? Ce type d’évaluation est un travail d’experts et non un travail pour des citoyens tirés au hasard. Il est en effet peu probable que le jury comprenne à la fois comptables, spécialistes en finances publiques et experts en bâtiment. Et c’est sans compter le temps passé par ces citoyens dans leurs jurys. Il est donc préférable de laisser ce travail d’évaluation aux institutions qui existent déjà : la Cour des comptes et les Chambres régionales des comptes.

Une troisième forme d’évaluation consiste à se demander si construire une nouvelle piscine municipale était « une bonne idée ». Ce dernier aspect est plus complexe et mérite une réflexion plus approfondie. Imaginons que cette promesse de piscine était au centre de la campagne électorale. Si au moment de voter les électeurs ont connaissance du projet et de son coût, le problème de l’évaluation ne se pose pas dans la mesure où l’élection va refléter les préférences la majorité sur ce sujet. Certes, ceux qui ne vont jamais à la piscine vont néanmoins devoir payer des impôts plus élevés. Mais c’est le fonctionnement normal d’un système démocratique.

Il est cependant fort probable que cette promesse de piscine n’ait été qu’une promesse parmi d’autres lors de la campagne électorale. Il se peut alors très bien que cette piscine soit une très mauvaise idée mais que les électeurs aient préféré la liste de promesses qui contenait la piscine à celle de ses concurrents qui ne prévoyaient pas un tel investissement. Pour résoudre ce problème où l’on vote pour un tout sans toutefois en aimer chacune des parties, un jury de citoyens est-il vraiment nécessaire ? Non car c’est de toute façon trop tard. La piscine indésirable aura déjà été construite. Pour empêcher ça, il aurait été préférable d’organiser un référendum local. Le débat se pose alors entre démocratie directe et démocratie représentative.

Soulignons aussi que beaucoup de décisions en matière de politiques publiques sont plus complexes que la construction d’une nouvelle piscine. De nombreux électeurs risquent de ne pas savoir quoi penser d’un changement dans l’organisation des transports publics ou de modifications du plan d’occupation des sols. Dans ce cas, il se peut qu’un référendum ne soit pas une bonne solution, pas plus qu’un jury de citoyens. Il faut sans doute en revenir aux experts. Ce type d’évaluation diffère toutefois de l’audit principalement comptable et administratif mentionné plus haut. Il s’agit ici d’une évaluation économique (qui prend souvent, mais pas toujours, la forme d’une analyse coûts-bénéfices). La nécessité d’une utilisation accrue de ce type d’outil en France a été défendue dans une tribune précédente de Telos.

En conclusion, cette proposition de jurys de citoyens n’est certainement pas la bonne façon d’évaluer ce que font les élus. Pour cela les citoyens peuvent soit directement s’exprimer par le vote soit déléguer cette fonction à des experts. La notion de « citoyen-expert » semble pour le moins illusoire. Cette proposition semble tout aussi inadéquate pour ce qui est d’intéresser d’avantage les citoyens à l’action publique (pour autant qu’il y ait un déficit en la matière). Il est difficile de mesurer l’intérêt de la plupart des Français pour des questions souvent techniques.

Cela étant il convient d’instaurer un vrai débat en France sur la relation entre les citoyens, leurs élus, et l’expertise. A l’heure actuelle, les citoyens votent principalement pour élire des représentants qui prennent des décisions en leurs nom. Dans ce processus, le rôle des experts est mineur. On pourrait très bien imaginer que les citoyens votent plus souvent directement sur des questions qui les concernent au niveau local comme au niveau national. Ce rôle accru pour la démocratie directe pourrait aller de pair avec un rôle plus important dévolu aux experts pour éclairer le débat avant la prise de décision et ensuite pour évaluer ses résultats.