L’affermissement de l’axe RN/LFI et le chaos du système partisan edit

Dec. 6, 2022

Des événements politiques récents ont confirmé l’établissement d’un axe RN/LFI sur la politique extérieure française et européenne. Le 25 novembre, a été présentée au vote du Parlement européen une résolution intitulée « Violation des droits de l’homme commises par les sociétés militaires et de sécurité privées, notamment le groupe Wagner ». Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission « Sécurité et défense » et coauteur de la proposition de résolution, a présenté ainsi le groupe Wagner qui combat pour Poutine en Ukraine : « Viols, tortures, assassinats, arrestations arbitraires. Notre résolution décrit les atrocités commises par les hommes de Wagner et c’est une litanie de l’horreur. […] Mais le groupe Wagner ne se contente pas de violer massivement les droits de l’homme. Il prospère sur la détresse des pays où il sévit ».

Cette résolution a été adoptée par 585 voix pour, 40 voix contre et 43 abstentions. Parmi les 40 voix contre on compte l’ensemble des députés présents du Rassemblement national et parmi les 43 abstentions tous les députés présents de la France insoumise. L’explication de vote donnée par LFI est la suivante : « Les dix premières sociétés militaires privées au monde sont américaines, britanniques et canadiennes. Mais leurs pratiques ne semblent pas poser problème aux rédacteurs de cette résolution. Nous, nous dénonçons toutes ces sociétés et refusons de cautionner une indignation à géométrie variable. » 

Le 30 novembre a été votée par l’Assemblée nationale française une résolution affirmant le soutien de cette assemblée à l’Ukraine. Les accusations portées par cette résolution contre la Russie méritent d’être rappelées.

La résolution « affirme le soutien le plus total à l’Ukraine, à son peuple, à sa souveraineté et à son intégrité territoriale dans ses frontières internationalement reconnues par le mémorandum de Budapest de 1994, confirmé par la Fédération de Russie en 2009 ; Condamne avec la plus grande fermeté l’attaque brutale, injustifiée et illégale lancée par la Fédération de Russie à l’encontre du peuple ukrainien et le crime d’agression dont elle s’est rendue coupable vis‑à‑vis de l’Ukraine ; Condamne les crimes de guerre, voire les crimes contre l’humanité, commis par la Fédération de Russie vis‑à‑vis de l’Ukraine, des populations civiles ukrainiennes et des prisonniers de guerre ukrainiens ; Condamne les frappes russes massives et indiscriminées visant les populations civiles dont s’est rendue coupable la Fédération de Russie sur plusieurs villes d’Ukraine dans des zones densément peuplées ; Dénonce les actes de torture, les viols, l’enlèvement d’enfants, les exécutions et autres crimes perpétrés par la Fédération de Russie dans le cadre de cette guerre ; Dénonce la stratégie de terreur mise en place par la Fédération de Russie et lui demande de respecter le droit international humanitaire et de cesser ses exactions à l’encontre des populations civiles ; Condamne avec la plus grande fermeté les simulacres de référendum qui ont conduit à la tentative d’annexion, illégitime et illégale, par la fédération de Russie, des territoires ukrainiens situés dans les oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson, ainsi que de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol ; Condamne l’appropriation de la centrale nucléaire de Zaporijjia par la Fédération de Russie, qui, par ses agissements irresponsables, fait peser une menace nucléaire sur l’ensemble de la région ; Appelle à la mise en place d’une zone de protection autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia, conformément aux recommandations du directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique ; Appelle à la restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris la Crimée et la ville de Sébastopol, selon les frontières internationalement reconnues. »

Ne pas voter une telle motion ne pouvait qu’exprimer un soutien à l’agression russe en Ukraine. C’est pourtant le choix qui a été fait par le Rassemblement national et La France insoumise. Sur 399 votants, 303 ont voté pour, 1 contre et 95 se sont abstenus. Seuls se sont abstenus le groupe du RN et celui de LFI à l’exception de l’un de ses membres qui a voté contre la motion.

Ces deux votes confirment l’existence d’un axe RN/LFI sur la politique extérieure française et européenne et notamment sur l’enjeu essentiel de la guerre en Ukraine. Cela ne doit pas nous étonner puisque Poutine a financé naguère le parti de Marine le Pen tandis que Mélenchon clamait jadis qu’un pacte avec Poutine défendrait mieux la France que sa participation à l’OTAN. L’affermissement de cet axe ne signifie pas que ces deux partis puissent gouverner ensemble un jour, ni que le gros de leur électorat le souhaite, mais, comme ce fut le cas en Allemagne à la fin de la République de Weimar au début des années Trente, l’alliance objective de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite ne peut que perturber gravement le jeu des forces politiques et prolonger l’état chaotique dans lequel se trouve aujourd’hui notre système de partis, et ce d’autant plus que la redéfinition profonde des enjeux au niveau international qu’a provoquée l’invasion de l’Ukraine par la Russie devrait donner aux questions internationales une importance croissante dans le débat politique français.

Certes, ceux de nos partis politiques qui souhaiteraient voir se reconstituer un système politique structuré par le clivage gauche/droite, où ils avaient leurs habitudes et leurs repères, tardent à prendre en compte dans leurs stratégies et leurs tactiques le profond bouleversement déclenché par la guerre en Ukraine. Un tel réflexe est naturel et il n’est pas nouveau. En 1938-1939, par exemple, il a fallu attendre la signature des accords de Munich, puis celle du pacte germano-soviétique, pour que le parti socialiste-SFIO ne puisse plus différer la tenue d’un débat sur la menace hitlérienne et la question du réarmement du pays. Il en résulta à la fois un déchirement de la SFIO puis la rupture de ses relations avec le parti communiste. Ce qui nous amène à l’avenir de la Nupes.

Le vote par l’Assemblée de la résolution sur l’Ukraine a fait ressortir clairement la profonde division de la Nupes sur cette question centrale. Sur les quatre groupes parlementaires qui constituent l’intergroupe de la Nupes, trois d’entre eux ont voté le texte à l’unanimité (socialiste, écologiste, gauche démocrate et républicaine) tandis que le quatrième, le groupe LFI, s’est abstenu. Il est donc clair que dans la situation internationale actuelle, la Nupes ne pourrait pas constituer une formule de coalition gouvernementale. Or Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste, qui, lors de la signature de l’accord fondant la Nupes, avait estimé que rien de fondamental ne séparait son parti de LFI, a réaffirmé le 25 novembre, à propos du prochain congrès du PS, son objectif stratégique : « Deux lignes s’affrontent aujourd’hui, la mienne et la leur, qui appelle à sortir de la Nupes tout en prétendant convoquer des états généraux de la gauche… Comment prétendre rassembler autour de soi tout en prônant les gauches irréconciliables ? Depuis quatre ans, j’essaie, non pas de cultiver un patriotisme de parti étroit, mais d’emmener toute la gauche vers sa propre refondation. La Nupes est un récit encore en construction. Il appartient aux socialistes d’en faire le ferment de la victoire. » Apparemment pourtant, le PS et LFI ont sur la question fondamentale du soutien de la France à l’Ukraine des vues irréconciliables puisque le premier a voté la résolution présentée par la majorité gouvernementale alors que le second a refusé de la voter. Olivier Faure estime que son parti est plus proche de Mélenchon que de Macron. Cela signifie-t-il que pour lui la question ukrainienne est secondaire ?

Les mêmes questions se posent aujourd’hui pour LR, mais de manière différente. Le groupe parlementaire de ce parti a, lui aussi, voté à l’unanimité la motion sur l’Ukraine déposée par les macronistes et leurs alliés, les groupes Renaissance, Horizons et Démocrates, alors que le Rassemblement national a refusé de le voter. Certes, à la différence du parti socialiste, LR n’a pas d’accord avec le parti d’extrême-droite qu’il considère comme un adversaire. Pourtant, alors que le groupe LR a voté la résolution sur l’Ukraine, Eric Ciotti, le candidat à la présidence du parti qui, au premier tour du scrutin interne dimanche dernier, a obtenu le plus de suffrages (43%) et parait donc le mieux placé pour en prendre dimanche prochain la direction, a, dans ses déclarations passées et récentes, montré qu’il penchait en réalité du côté du Rassemblement national.

Au soir du premier tour de l’élection présidentielle de mai dernier, il n’a pas, à la différence de la direction de son parti et de sa candidate, appelé à voter pour Emmanuel Macron, annonçant qu’il n’appelait pas à faire barrage au Front national et déclarant : « Personnellement, je ne voterai pas Emmanuel Macron (…) Je ne me reconnais pas dans sa politique, son bilan », mais sans dire qu’il ne voterait pas pour Marine le Pen. « Mon vote m'appartient, et nous verrons dans les jours qui viennent ce qu'il en sera», ajoutant qu'il « récuse les termes de barrage qui sont classiques et que les Français ne supportent plus. » Le 21 septembre dernier il a déclaré que les sanctions internationales contre la Russie « n'ont pas atteint leur objectif » et qu'à l'inverse, « nous avons en Europe et en France des conséquences plus directes ». S'il ne faut pas pour autant lever ces sanctions, a-t-il ajouté, « cela n'exonère pas de réfléchir à la pertinence de ce qui a été fait. Jusqu’à présent, tout ce qui a été fait a conduit à une accélération du conflit et à une menace très forte. Il est peut-être inutile d’aller encore au-delà, en renforçant les sanctionsSi on veut la paix, il faut que tous les belligérants soient conduits à renouer le dialogue. »

Ainsi, tandis qu’Olivier Faure et Eric Ciotti penchent clairement du côté des extrêmes du point de vue stratégique, leurs partis (dont eux-mêmes !) votent sur le soutien à l’Ukraine avec les centres contre ces mêmes extrêmes. Comment dans ces conditions le système partisan pourrait-il se recomposer d’une manière efficace ? Apparemment la sortie du chaos n’est pas pour demain !