Malgré l'eau du robinet, les marchands d'eau en bouteille gagnent de l'argent... edit

Jan. 15, 2006

Le projet de loi sur les droits d'auteur dans la société de l'information remet-il en question les droits des consommateurs ? Le droit d'auteur protégeant les œuvres numérisées cherche à maximiser la diffusion de ces œuvres au plus faible prix, tout en conservant les incitations à la création. Il permet ainsi de faire des profits et de récupérer les investissements liés à la création. Il s'agit d'équilibrer ces deux forces : protéger, mais pas trop.

Le nouveau projet de loi rend illégale toute tentative de modification ou de suppression de la protection technologique des fichiers numériques appelée gestion numérique des droits (DRM en anglais). Cette technologie permet de contrôler, voire de verrouiller certains usages de fichiers numériques, empêchant éventuellement leurs acheteurs de les copier sur certains supports. Actuellement, les restrictions les plus courantes consistent à limiter le nombre d'ordinateurs vers lesquels un fichier peut être transféré, et le nombre de gravures sur CD vierge. En effet, le possesseur d'un iPod ne peut pas écouter les chansons encodées au format développé par Sony par exemple.

Il existe d'autres raisons de penser que le DRM, tel qu'il existe actuellement, risque de nuire aux intérêts des consommateurs.

Premièrement, la valeur liée au droit à la copie privée peut être réduite si certaines utilisations ne sont plus autorisées par le DRM. En effet, le DRM est lié à un contrat électronique qui impose des restrictions sur les usages de la musique numérique (y compris pour une œuvre du domaine public n'étant plus protégée par le droit d'auteur). Certaines de ces contraintes peuvent entrer en conflit avec la loi sur le droit d'auteur qui laisse plus de liberté aux consommateurs.

Deuxièmement, le propriétaire légitime d'une œuvre protégée par le droit d'auteur (un CD par exemple) a le droit de la revendre sur un marché secondaire : ceci permet d'épuiser la valeur économique d'un bien. Peut-on appliquer cette doctrine aux ventes digitales protégées par le DRM ? En d'autres termes, peut-on revendre une chanson téléchargée légalement sur eBay ?

Troisièmement, le DRM peut envahir la vie privée des utilisateurs en surveillant leurs habitudes de consommation. De nombreuses questions restent sans réponses. Qui doit protéger la vie privée des utilisateurs ? Est-ce la loi ou les consommateurs eux-mêmes en utilisant des pare-feu personnels ? N'y a-t-il pas un risque de guerre technologique de protection qui engendrerait des dépenses socialement inutiles ?

Quatrièmement, le DRM est en conflit avec la rémunération pour copie privée existante. En effet, le DRM permet de s'accaparer en principe toutes les utilisations des œuvres, y compris la copie faite pour écouter un album dans sa voiture par exemple. Le consommateur est donc doublement perdant, puisqu'il paie une taxe sur le support CD vierge et peut en principe devoir payer un montant supplémentaire pour la copie en fonction de la nature du contrat électronique auquel le DRM est lié.

Finalement, le DRM donne un contrôle sans précédent aux détenteurs de droits. Il est la base d'un système de paiement éternel à l'utilisation qui fait pencher la balance entre détenteurs des droits et consommateurs largement en faveur des premiers, alors que la culture numérique n'a de sens que si elle est largement diffusée auprès des derniers. Il est donc essentiel que les représentants des détenteurs de droits et les associations de consommateurs dialoguent pour éviter tout abus.

Cependant, la protection technologique a des limites puisque le morceau de musique encodée numériquement contient la clé de cryptage et le logiciel qui décrypte cette clé. Ainsi, tout hacker possède les deux parties de l'équation permettant de déverrouiller la protection. Le président de Grokster a ainsi déclaré, à juste titre, que le MP3 est comme l'eau du robinet : elle est gratuite et sera toujours disponible. Mais cela n'empêche pas les fabricants d'eau en bouteille de gagner de l'argent. Il s'agit donc de trouver des opportunités pour s'approprier une partie de l'engouement du public pour la musique numérique. Même si les perdants ont déjà fait entendre leurs voix, il ne faudrait pas oublier les gagnants : les artistes indépendants qui profitent d'un outil pour exposer leurs nouveaux albums au public à faible coût, d'autres artistes qui vivent essentiellement de leurs concerts, les fabricants de lecteurs MP3 et DIVX, les fabricants de téléphone portables qui proposent des sonneries personnalisées, les fournisseurs d'accès à l'Internet haut débit. Il existe donc des stratégies gagnantes de vente de produits physiques complémentaires.

En conclusion, il faut considérer la gestion numérique des droits au sens large, en prenant en compte à la fois les droits des producteurs et ceux des utilisateurs de musique numérique. Mais pour cela, les utilisateurs devront faire entendre leur voix.