La licence globale : est-ce bien raisonnable ? edit

Jan. 10, 2006

La licence globale fait l'objet d'un amendement sur le projet de loi relatif au droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information. Faut-il s'en plaindre ou s'en réjouir ?

Il existe plusieurs variantes de la licence globale, mais pour l'essentiel, il s'agit de taxer les fournisseurs d'accès à Internet ou directement les internautes et de redistribuer les revenus aux détenteurs des droits, en principe selon les statistiques de téléchargement. La licence globale fonctionne comme la licence radio, l'argent est récolté et redistribué en fonction des temps de diffusion par un organisme de gestion collective.

La licence avec redistribution des revenus demande des outils technologiques pour surveiller les fichiers téléchargés. L'avantage indéniable de cette solution est qu'elle permettrait de légaliser les pratiques de téléchargement et de diffuser au maximum la musique et les œuvres numériques puisque les internautes pourront télécharger autant qu'ils le désirent. De plus elle permettrait de réduire fortement les dépenses de lobbying, de poursuites judiciaires et de surveillance des maisons de disques qui sont socialement inutiles. Finalement, une licence obligatoire permettrait également de régler les conflits d'intérêts entre les producteurs et les artistes, ces derniers craignant de ne pas être suffisamment rémunérés pour leurs albums disponibles en ligne.

Avant de discuter les limites de la licence globale, il me semble important d'éclaircir la notion de copie à des fins privées. Le support du CD musical ne permet pas de surveiller avec précision le nombre de fois qu'un album est écouté par un consommateur. Or une copie de CD destinée à être écoutée en voiture, dans une maison de campagne ou en groupe est difficilement vérifiable pour le détenteur du droit d'auteur. Ainsi la loi autorise ces usages comme exemptions au viol de la propriété intellectuelle. Economiquement, ce type d'utilisation est autorisé dans la mesure où le coût lié à l'écriture d'un contrat autorisant formellement l'usage serait supérieur au bénéfice revenant au détenteur. Ce droit à la copie privée est garanti par la licence globale, alors qu'il est fondamentalement remis en question par la gestion numérique des droits qui permet au détenteur de contrôler et de faire payer chacune des utilisations.

Les limites de la licence globale sont cependant nombreuses, outre le fait que cette solution va à l'encontre des mesures prises dans les autres pays européens ou aux Etats-Unis. Premièrement, elle risque de réduire les ventes de CD en légalisant une pratique qui est déjà accusée de nuire aux ventes de musique préenregistrée.

Deuxièmement, elle crée des inefficacités sur le marché des produits taxés et en fonction du montant imposé pourrait réduire la diffusion de l'Internet haut-débit. De plus cette taxe serait injuste dans la mesure où elle pénaliserait les internautes qui ne téléchargent jamais sur les réseaux de partage (selon les statistiques disponibles, seuls 20% des internautes téléchargent régulièrement), si elle est appliquée de manière forfaitaire.

Troisièmement, les outils de surveillance nécessaires pour mesurer les albums les plus téléchargés ou les œuvres autorisées sous cette licence impliquent une perte de l'anonymat qui est l'un des fondements du développement d'Internet.

Quatrièmement, ces outils seront nécessairement imprécis. En effet, comment déterminer le dommage correspondant au montant total à prélever ? Comment obtenir les statistiques pertinentes de téléchargement dans un environnement international comme la Toile ? Quels seront les coûts pour actualiser ces statistiques tous les trimestres voire tous les mois ? Qui devra financer ces coûts ? Comment redistribuer l'argent récolté sachant que les statistiques de téléchargement peuvent être manipulées ? Il faut d'ailleurs remarquer que les maisons de disques ont la fâcheuse habitude de promouvoir la diffusion de leurs artistes à la radio de manière illégale en soudoyant directement ou indirectement les stations (cette pratique est connue sous le nom de payola). Le même problème se posera pour la licence globale.

Finalement, comment garantir que l'argent récolté sera bien géré et que les artistes toucheront leur part ? En effet la gestion des sociétés redistribuant la rémunération pour copie privée est fortement critiquée et il semble que moins de 2/3 des fonds sont redistribués aux ayants droit.

La licence globale est un concept théorique très attrayant, mais sa mise en place sera pratiquement très difficile.