La politique industrielle prend la mer edit

11 septembre 2008

Nicolas Sarkozy vient de prononcer un discours programme de politique industrielle à Saint-Nazaire. Il y théorise la méthode qui, d’Alstom aux Chantiers de l’Atlantique, a permis de sauver des joyaux de l’industrie française malgré les prescriptions concurrentielles européennes et les normes internationales de libre circulation des capitaux.

En prenant 9% du capital ainsi qu’une option sur une tranche supplémentaire de 25% permettant à terme à l’Etat français de détenir la minorité de blocage dans le capital des Chantiers de l’Atlantique, une société détenue aux 2/3 par le coréen STX il produit trois effets.

D’une part, il entend éviter une perte de compétences française dans la maîtrise des paquebots de croisière. En effet, la conception et la réalisation d’un paquebot de croisière s’apparente à celle d’un TGV ou d’un Airbus : il s’agit de la maîtrise de systèmes techniques complexes. En cela, il affirme sa conviction que les savoirs-faire des ingénieurs, des designers et des professionnels des chantiers navals peuvent disparaître en cas de perte de contrôle de la société des Chantiers de l’Atlantique.

D’autre part, il prétend pérenniser le site de St Nazaire en rendant impossible tout projet éventuel de délocalisation dont l’actionnaire coréen est soupçonné a priori. La participation minoritaire dans le capital de l’Etat français devrait tuer dans l’œuf une telle idée.

Enfin comme le marché du paquebot de croisière est très cyclique et que l’investisseur coréen pourrait avoir des velléités de désinvestissement, Nicolas Sarkozy demande à DCNS qui construit nos navires militaires et donc des composantes de la force de frappe (sous-marins, frégates et autres porte avions) de réfléchir à se rapprocher de STX pour assurer le plan de charge des chantiers de Saint Nazaire.

En résumé Nicolas Sarkozy entend substituer la main visible de l’Etat en matière technologique financière et commerciale à celle du marché pour protéger l’industrie française. Cette politique est inadaptée, inefficace, illusoire et dangereuse.

Inadaptée car elle méconnaît les tendances fondamentales de la restructuration du marché mondial de la construction navale. Depuis 10 ans à marche forcée la Chine construit de gigantesques chantiers navals, modernes et surdimensionnés, son objectif est d’évincer la Corée du marché des navires de charge. La Chine fait à la Corée ce que la Corée avait fait auparavant au Japon et le Japon à l’Europe plus tôt. La réponse des quatre grands chantiers coréens a été de monter en gamme et en technicité en investissant notamment le secteur des paquebots de croisière. Pour ce faire, Samsung et Hyundai ont investi en Corée pour développer leur expertise en acquérant les compétences manquantes et en bradant leurs premières réalisations. STX a fait un choix différent. En rachetant Aker Yards et sa filiale les Chantiers de l’Atlantique ils entendaient éviter une longue phase d’apprentissage et s’en remettre à ceux qui maîtrisaient le mieux la technologie des paquebots de croisière à savoir les Français et les Finlandais. Si STX avait voulu construire une compétence en Corée, il aurait acheté les talents et les équipes compétentes il ne se serait pas encombré d’un chantier français.

Inefficace, car elle casse les synergies développées entre chantiers français et finlandais au sein du groupe Aker Yards repris par STX. En entrant dans le capital de la filiale française le gouvernement français rend très difficiles les stratégies technologiques commerciales et d’optimisation de coût. Comment imaginer que demain les deux entités inégalement contrôlées par l’actionnaire japonais puissent partager leur savoir faire, mettre en commun leurs achats ou même spécialiser les chantiers si les actionnaires ne sont pas les mêmes. Paradoxalement l’entrée dans le capital dessert la stratégie industrielle.

Illusoire car le mariage entre chantiers civils et militaires, impossible hier pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ne l’est pas davantage aujourd’hui. En effet, les chantiers militaires se définissent davantage comme des systémiers que comme des constructeurs de coques propulsées. Leurs compétences résident davantage dans l’intégration de systèmes d’armes que dans la fabrication de la coque. C’est du reste tellement vrai qu’ils abandonnent volontiers la fabrication de la coque à des sous traitants à bas coûts. Qu’apporterait donc une fusion avec un chantier civil de surcroit contrôlé par un coréen ?

Ce débat relancé par Nicolas Sarkozy a quelque chose d’irréel. Pourquoi un ministre des Finances appelé Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas donné suite à un projet de fusion entre la DCN et les chantiers de l’Atlantique (alors dans le groupe Alstom) quand les deux groupes étaient à capitaux français et pour l’un totalement contrôlé par l’Etat et l’autre partiellement. Le débat sur l’avenir de DCN a depuis été tranché, c’est avec Thales que les partenariats ont été développés.

Dangereux, enfin car l’affaire STX-Etat Français manifeste le caractère récurrent des poussées de patriotisme économique. Le Gouvernement voit dans cette prise de participation dans le capital des Chantiers de l’Atlantique aux côtés de STX la première application du décret sur les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Or cette décision confirme les craintes que l’on pouvait nourrir sur ce décret. En quoi la construction de paquebots de croisière peut-elle être considérée comme une activité stratégique ? En quoi la défense du plan de charge du chantier de Saint-Nazaire est-il un impératif national ? En fait le gouvernement est pris dans ses contradictions et ses incohérences. Pourquoi avoir accepté la cession du capital des chantiers de l’Atlantique à Aker Yards alors qu’une solution française était possible. Si le contrôle du capital est le seul moyen de maintenir en France des compétences industrielles pourquoi ne privilégie-t-on pas davantage la détention d’actions par les ménages français ? Si le problème réside plutôt dans la défense de l’emploi sur le bassin de Saint-Nazaire en quoi une participation de 34% règle-t-elle la question ?

Toute notre démonstration vise à établir que les compétences du chantier de Saint-Nazaire sont liées aux savoir-faire des personnels, à la qualité du réseau de sous-traitance, bref à l’ancrage territorial des chantiers. De plus le droit social français est particulièrement protecteur, STX sait parfaitement en acquérant Saint-Nazaire qu’elle ne pourra pas le fermer. Une fois de plus, en accourant à Saint- Nazaire, Nicolas Sarkozy confond hâte et précipitation, il entend effacer le fiasco de son intervention chez Arcelor et il prend le risque de développer une stratégie de la suspicion à l’égard d’un investisseur coréen qui a fait le choix de la France pour son développement futur.