La possibilité d’un centre edit

8 juin 2023

À droite comme à gauche, les partis tentent de re-bipolariser le système partisan autour du clivage gauche/droite. Olivier Faure, le leader du PS, espère toujours refonder l’unité de la gauche au moyen d’une alliance avec la gauche radicale dans le cadre de la NUPES, tandis qu’Eric Ciotti, le leader des Républicains, a récemment repositionné idéologiquement son parti au voisinage du Rassemblement national. Ces stratégies se fondent sur l’hypothèse commune de la disparition du centre comme pôle politique important après la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron. Les données récentes du baromètre politique Kantar Public montrent que leur espoir pourrait être déçu.

Ce baromètre mesure les cotes d’avenir des personnalités politiques. Les données présentées (tableau 1) montrent qu’il existe une possibilité de construire un centre élargi capable de faire barrage au Rassemblement national pour deux raisons, l’existence d’au moins une personnalité qui pourrait construire ce centre élargi, Édouard Philippe, et la faible attractivité des leaders de gauche et de droite dans leur propre camp, à l’exception aujourd’hui du leader communiste, Fabien Roussel (50% à l’extrême-gauche et 43% à gauche).

Tableau 1 - Cotes d’avenir des personnalités politiques selon le positionnement des personnes interrogées à gauche, au centre, et à droite sur l’échelle gauche/droite (sondage Kantar Public)*

* L’échelle a cinq positions : extrême-gauche, gauche, centre, droite , extrême-droite. La question est la suivante : Pour chacune des personnalités suivantes, voulez-vous me dire si vous souhaitez lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir ?

Remarquons d’abord que sur les onze personnalités testées que nous avons retenues, les trois qui appartiennent à la majorité gouvernementale, Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, arrivent en tête chez les enquêtés qui se classent au centre et à droite, tandis que chez ceux qui se classent à gauche, Philippe et Le Maire arrivent en deuxième et troisième position après Fabien Roussel.  

Chez ceux qui se classent à droite, Eric Ciotti et Laurent Wauquiez ont une cote d’avenir faible en comparaison de celles des trois personnalités de centre-droit, ce qui laisse penser qu’une majorité de cette fraction de l’électorat n’est pas en phase avec le repositionnement de LR.

Chez ceux qui se classent à gauche, les cotes des leaders de gauche, à l’exception de Fabien Roussel, sont très basses, 26% pour Olivier Faure, 22% pour Bernard Cazeneuve et 18% pour Jean-Luc Mélenchon qui, lui, est en perte de vitesse. On voit mal dans ces conditions comment les gauches pourraient actuellement se réunir sous un leadership commun.

Chez ceux qui se positionnent à l’extrême-droite, les très faibles cotes de Ciotti et de Wauquiez laissent penser que le repositionnement de LR risque fort, tout en l’empêchant de regagner des électeurs au centre, de ne pas lui permettre pour autant de regagner des électeurs à l’extrême-droite. En effet, tandis que Marine Le Pen y bénéficie d’une cote d’avenir de 83%, celle de Laurent Wauquiez n’est que 28% et celle d’Éric Ciotti 27%. Ces données incitent à penser que le tournant stratégique de LR pourrait le pénaliser gravement. Ayant rompu avec le centre sans être populaire à l’extrême-droite, LR semble s’être engagé dans une impasse.

Dans l’ensemble de l’échantillon, seuls Édouard Philippe et Marine Le Pen dépassent 30%, respectivement 39 et 33%. Wauquiez, Mélenchon, Faure et Cazeneuve sont au-dessous des 20%. C’est donc Philippe, s’il est candidat et le seul candidat du centre, et Le Pen qui, ayant les cotes d’avenir les plus élevées, semblent les personnalités les mieux placés pour aborder avec des chances réelles la prochaine élection présidentielle. C’est également ce qui ressort du sondage d’intentions de vote présidentiel d’avril 2023 de l’IFOP.

Ce sondage montre que si l’élection présidentielle avait lieu aujourd’hui (tableau 2), Édouard Philippe arriverait en seconde position, avec 26-28% (selon que la gauche se présenterait divisée ou unie) derrière Marine Le Pen avec 29-31. Il disputerait donc très probablement avec elle le second tour. Nous ne disposons pas des intentions de vote du second tour mais le rapport des forces du premier tour semble être à l’avantage de la candidate du RN. En effet, l’ensemble des candidats situés à la droite de Laurent Wauquiez totaliseraient autour de 40% au premier tour, les gauches entre 25 et 30% et Wauquiez autour de 5%. Pour l’emporter, Philippe devrait donc être capable de repousser loin à droite et à gauche les limites de ce centre à construire. Big Challenge !

Tableau 2 - Intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle prochaine en cas de candidature d’Édouard Philippe avec les candidats de 2022. (IFOP avril 2023)

La crédibilité gouvernementale du centre

La reconstitution du clivage gauche/droite butte ainsi sur la faible crédibilité gouvernementale des gauches et des droites. L’IFOP a testé pour le JDD la crédibilité comparée de plusieurs personnalités politiques en demandant pour chacune d’entre elles si elle ferait mieux, moins bien ou ni mieux ni moins bien au pouvoir, qu’Emmanuel Macron. (tableau 3).

Tableau 3 - Crédibilité comparée des personnalités politiques avec celle de Macron

Les données montrent qu’à une exception près toutes les personnalités testées feraient selon les personnes interrogées moins bien que mieux que Macron, et souvent avec un écart très important. Seul Édouard Philippe ferait un peu mieux. Les critiques nombreuses émises sur l’exercice du pouvoir de Macron ne doivent donc pas cacher que ce sont les leaders du centre qui bénéficient de la plus forte crédibilité gouvernementale. Le défi que ces leaders ont à relever est donc la construction d’une centre politique élargi et le choix d’un leader capable de l’incarner après le départ d’Emmanuel Macron.

Un centre à construire

Pour construire ce centre élargi et remporter les élections présidentielle et législatives, le candidat du centre devrait faire l’inverse d’Emmanuel Macron en 2017. À ce moment-là, celui-ci se présenta comme un homme seul et son élection fut le couronnement d’une aventure individuelle. Le système partisan était alors déstructuré et les partis de gouvernement et leurs leaders dévalués. Son intention déclarée, qu’il suivit, était de revenir à la pratique des institutions qui était celle du général de Gaulle, critiquant les partis et la classe politique qui, après son départ, s’étaient emparés de l’élection présidentielle et étant décidé à revenir à un exercice vertical du pouvoir. En 2017, le Front national n’était pas encore en situation de remporter la présidentielle et les législatives étaient la simple traduction au niveau parlementaire du triomphe présidentiel. En 2022, le président sortant n’était plus un homme neuf, l’extrême-droite continuait de progresser et, une fois réélu, il ne put obtenir une majorité absolue à l’Assemblée. Désormais, une victoire de Marine Le Pen est devenue possible et l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron est critiqué par une majorité de Français. L’absence d’une majorité absolue à l’Assemblée a pour conséquence qu’il n’est plus possible de considérer les législatives comme des élections de second rang. Dans le système politique tripolarisé actuel, où c’est la guerre de tous contre tous, le centre à construire doit être capable à la fois de faire élire son candidat et de conquérir une nette majorité parlementaire. La nécessité de faire le plein des électeurs de centre-gauche et de centre-droit contraint le candidat à donner, en amont des élections, une importance majeure aux négociations et accords avec les personnalités et formations qui pourraient faire partie de ce centre élargi, qu’il s’agisse de créer une nouvelle organisation politique potentiellement majoritaire ou de fédérer plusieurs courants politiques non extrêmes. Il lui faut donc aborder les prochaines élections dans une optique parlementaire où le candidat à l’élection présidentielle doit en même temps construire son propre électorat et sa future majorité. Il s’agit donc de bâtir un nouveau système partisan et un nouveau système d’alliances. Bref, il faut re-parlementariser le fonctionnement de notre système politique. Si Édouard Philippe n’est pas candidat tout autre candidat du centre devra faire de même.