La déflation, la dette et la relance edit

9 mars 2011

Les États-Unis, le Japon et l'Irlande sont aujourd’hui menacés par l’insuffisance de la demande privée, une hausse de la dette, et une tendance à la déflation. L’assouplissement quantitatif pratiqué aujourd’hui est-il la meilleure option ? Pour financer directement les mesures de relance budgétaire, on peut discuter l’intérêt de recourir à une solution longtemps discréditée, la planche à billets.

Commençons par supposer que les autorités compétentes ont opté pour la création de monnaie afin de lutter contre les tendances déflationnistes et stimuler l'économie. Comment obtenir le stimulus économique le plus efficace ?

L’option A est la poursuite de l'assouplissement quantitatif. La banque centrale crée de la monnaie en achetant des obligations publiques sur le marché secondaire. Le but de l’opération est de faire monter le prix des obligations et d’abaisser les taux d'intérêt, afin de stimuler l'investissement privé.

Or, dans un contexte actuel marqué par des taux d'intérêt historiquement bas, la poursuite de cette politique n’est pas sans risques.

Si les préférences des détenteurs d'obligations, en termes de consommation et d’investissement, restent les mêmes, que feront-ils des liquidités obligeamment fournies par la banque centrale ? Soit ils achèteront de nouvelles obligations domestiques, soit ils opteront pour des obligations ou des actifs étrangers au rendement plus élevé. Dans ces conditions la masse monétaire supplémentaire ne viendra pas irriguer directement les zones (salaires, emploi, consommation, entreprises non financières) où elle est le plus nécessaire pour faire croître la demande intérieure.

En outre, de nouvelles baisses des taux d'intérêt entraîneront une baisse supplémentaire des revenus publics, mais aussi du rendement des fonds de pension et des placements collectifs, avec un impact sur les revenus des personnes âgées et des épargnants, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les dépenses de consommation. Par ailleurs, quand le rendement des investissements devient trop faible et qu’il se conjugue avec une grande incertitude, les agents économiques préfèrent détenir des liquidités (et des monnaies de réserve). Il existe donc un risque de creuser une nouvelle trappe à liquidités.

Quand les taux d’intérêt nominaux à moyen et long terme se rapprochent de leurs minima, l'écart entre les taux d'emprunt et les taux de prêt tend à baisser, ce qui complique la tâche des banques pour accorder des crédits. Et quand les taux d’intérêt chutent, des investisseurs de long terme comme les compagnies d'assurances, qui sont fortement tributaires des revenus d’obligations à faible risque, peuvent souffrir.

Autre risque, au-delà d'un certain point de nouvelles hausses du prix des obligations pourraient ouvrir la voie ensuite à des ventes massives, en particulier lorsque s’achèveront les achats liés à la politique d’assouplissement quantitatif. Ce renversement de tendance pourrait sérieusement perturber les marchés financiers et les marchés des changes.

En outre, en aplatissant artificiellement la courbe des rendements grâce à des taux d’intérêts quasi-nuls, on diffuserait des informations trompeuses sur les structures sous-jacentes des risques, ce qui conduirait à de mauvaises décisions d’investissements, d’achats, de ventes et inciterait les banques à prendre des positions plus risquées pour maintenir leur rentabilité, ce qui créerait une nouvelle bulle financière.

Enfin, si l'assouplissement quantitatif parvient à réduire les taux d'intérêt à long terme, cela risque de se traduire par une incitation au carry trade et ainsi à gonfler les flux de capitaux transfrontaliers. L'effet sur les sorties de capitaux et sur le taux de change pourrait être significatif dans les économies ouvertes où les taux d'intérêt à moyen terme approchent de leur limite inférieure. Cela pourrait aussi contribuer à nourrir l’inflation à l’étranger, contribuant au développement de bulles des prix des actifs et à la pression sur les taux de change locaux. Ce qui compliquerait les ajustements économiques mondiaux et la coordination des politiques internationales.

L'efficacité de la politique A est donc très incertaine. Personne ne sait combien d'argent nouveau doit être créé, ni combien d’obligations d'État doivent être achetées, pour réduire les taux des prêts accordés aux ménages et aux entreprises. Et lorsque viendra le temps de relever ces taux d'intérêt de leurs niveaux artificiellement bas, la dette publique va augmenter.

Dernier point, la faisabilité. La Fed ne peut détenir plus de 35% d'une émission d'obligations du Trésor américain. La question de cette limite se posera rapidement quand commencera la deuxième phase d'assouplissement quantitatif, et si on décide de la laisser inchangée, il pourrait être périlleux de lancer d'autres séries d’achats d’obligations.

Une autre approche, que nous appellerons l’option B, consiste à faire tourner la planche à billets pour financer directement les mesures de relance budgétaire. Cette option négligée jusqu’ici pourrait se révéler appropriée dans les pays où les prix sont en baisse, où la demande privée est insuffisante, où les taux d'intérêt sont déjà trop faibles et où la dette publique est excessive.

L’option B permet de financer les déficits budgétaires sans augmenter les niveaux d'endettement public ; de simultanément stimuler la demande privée ; et de faire reculer le spectre de la déflation.

Pour que la banque centrale puisse augmenter la base monétaire (qui figure au passif de son bilan), il doit y avoir une expansion correspondante de ses actifs. Celle-ci devrait être compensée par l’inscription d’un passif au bilan de l’État. Cela pourrait prendre la forme d'achat d'obligations directement auprès du Trésor, créant ainsi de nouvelles dettes intra-gouvernementales, qui devraient être honorées.

Au fil du temps, les intérêts versés par l’État à la banque centrale reviendraient au budget de l’Etat sous la forme de recettes, et les contribuables n’accumuleraient pas de passif.

En ce qui concerne la valeur de rachat, le gouvernement pourrait soit refinancer la dette sur le marché ou bien rembourser la dette. Le remboursement de la dette créerait une responsabilité pour les contribuables lorsque serait atteinte la date de rachat. Dans des circonstances exceptionnelles le passif inscrit au compte de l’État pourrait être donné comme une dette « perpétuelle » (c'est-à-dire sans échéance précise). Cette approche permettrait d’inscrire un passif à long terme sur le bilan du gouvernement et un actif à long terme sur le bilan de la banque centrale. Il n'y aurait pas d’augmentation effective de la dette nette globale du gouvernement, et les contribuables n'auraient pas à payer le passif fiscal pour financer le déficit.

L’option B est appropriée si la demande intérieure est insuffisante, s’il existe un excès des capacités de production, si le chômage est élevé, l'inflation faible ou négative, et si la volonté existe de piloter une relance budgétaire sans augmenter le niveau de la dette publique. Ces conditions préalables existent à des degrés divers aux États-Unis, au Japon et en Irlande, et potentiellement dans d'autres pays européens.

L’option B oriente la monnaie nouvellement créée vers les secteurs de l'économie où la propension marginale à consommer et à investir dans la production réelle d’actifs est la plus élevée, par opposition à la politique d'assouplissement quantitatif qui favorise plutôt les actifs financiers. Avec l’option B, on pourrait donc s'attendre à des répercussions relativement positives sur l'investissement et les dépenses de consommation, ce qui fournirait le temps, les revenus, le taux d'inflation approprié, la confiance, et les taux d'intérêt nécessaires pour combler progressivement les trappes à liquidité.

L’option B n’aurait pas vocation à perdurer après l’établissement d’une reprise économique durable. Tant l’option B que l’option A impliquent de la création de monnaie et, si on n’y prend garde, cela peut éventuellement conduire à une hausse de l’inflation et un excès de liquidité. On pourrait y remédier dans un second temps via l’augmentation des réserves obligatoires des banques, la vente d'actifs et de prêts hypothécaires, ou celle d’obligations d'État.

L'application de l’option B à l'Irlande, qui fait partie de la zone euro, pourrait se révéler difficile au niveau politique, mais elle ne doit pas pour autant être exclue. La Banque centrale européenne pourrait éventuellement financer directement les déficits budgétaires de certains petits pays, traitant les problèmes de dette au plus près de leur source. Il semble en effet contre-intuitif et même auto-destructeur de vouloir régler la crise de la dette, comme on le fait aujourd’hui, en générant une nouvelle dette (aux taux d’intérêts relativement élevés), alors même qu’une reprise économique précoce est peu probable.

L'arsenal de la politique monétaire n’est pas illimité. On devrait faire très attention à ne pas en utiliser les instruments dans le mauvais sens. La création de monnaie n'est pas gratuite, et il pourrait en résulter un taux d'inflation plus élevé que ce qui est souhaitable, ce qui conduirait à terme à devoir retirer ces fonds de l'économie et réduirait ainsi les possibilités de création monétaire plus intelligente qu’on appliquerait dans l'intervalle.

Il apparaît donc en définitive qu’on pourrait remplacer les politiques d’assouplissement quantitatif menées actuellement par une politique d'impression de nouvelle monnaie avec l’objectif explicite d'aider au financement des déficits publics à venir. Cette façon de mettre en œuvre la création de monnaie relâcherait un peu de la pression sur les gouvernements et leur éviterait une trop grande austérité budgétaire (à un moment où la relance reste nécessaire) ; elle éviterait aussi une nouvelle augmentation de la dette publique ; elle donnerait des signaux clairs d'intention politique (en relation avec les objectifs de taux d'intérêt, la méthode de financement des déficits et l'approche choisie en matière de relance économique). Elle serait plus efficace, aurait moins d'effets secondaires indésirables, et offrirait une plus forte stimulation de l'économie que d'autres mesures d'assouplissement quantitatif.

Les pays aujourd’hui confrontés à une tendance déflationniste et à une insuffisance de la demande privée, qui en période de forte inflation ont introduit des lois excluant l'impression d'argent frais pour financer les déficits publics et interdisant aux banques centrales de prêter directement au Trésor, pourraient envisager de les abroger.

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