Oui à l'expérimentation, mais pas dans n'importe quelles conditions edit

25 avril 2006

Les expérimentations peuvent fournir des renseignements très utiles aux décideurs. Quand elles sont bien conçues, elles sont aux prises avec le difficile problème de la sélection, que doivent affronter toutes les évaluations empiriques. Ce problème survient quand nous ne pouvons pas observer tous les facteurs qui déterminent la participation à un programme particulier. Il faut alors se demander pourquoi cet ensemble particulier d'individus a participé au programme. Était-ce parce que les participants en tiraient un profit particulier ? Ou parce que le marché du travail leur offrait peu d'opportunités ? Les expériences résolvent partiellement ce problème en n'autorisant l'accès à un programme qu'à des individus qui l'ont souhaité. Après quoi, nous pouvons observer à qui il a vraiment bénéficié.

Malgré l'intérêt qu'on leur porte naturellement, les expérimentations dans les politiques de l'emploi sont aussi rares en Suède qu'elles semblent l'être en France. On leur oppose souvent des interrogations éthiques, en notant que " la loi exige de traiter également tous les individus " ou que " nous nous ne pouvons pas interdire à un individu un programme qui pourrait lui être utile ".

Même si on ne peut les ignorer, ces arguments ne sont pas convaincants. Tout d'abord, il est difficile de comprendre pourquoi on considère que les expérimentations médicales - qui sont nombreuses - suscitent moins d'interrogations éthiques. En outre, les chômeurs ne sont pas traités également dans la mise en œuvre effective des politiques de l'emploi. Par exemple, ils se voient offrir différentes sortes de programmes, qui ont fort probablement des effets différents. De plus, on peut concevoir une évaluation qui permette à chacun de participer au programme, mais selon un rythme différent. Pour être concret, considérez un programme auquel on devient éligible après 12 mois de chômage. Pour évaluer ce programme, on pourrait faire en sorte qu'un tiers des intéressés, choisi au hasard, soit éligible après 11 mois, un autre tiers après 12 mois et un dernier tiers après 13 mois. De cette manière, chacun a la possibilité de participer au programme, et on peut faire jouer les comparaisons. Si le programme améliore effectivement les chances de retrouver un emploi, il est possible que nous observions des différences significatives entre les trois groupes.

A mes yeux, les arguments les plus pertinents ne concernent pas l'éthique, mais la difficulté de mener des expérimentations réussies. Par ailleurs, même si elles réussissent, les résultats peuvent n'avoir aucune validité hors du champ de l'expérience. Au sens strict, ils ne valent que pour la mesure et la population étudiées. Si cette population est représentative et que la mesure est pertinente, ces inquiétudes peuvent cependant être levées.

Étant donné la rareté des expérimentations en Suède, c'est avec surprise que j'ai récemment constaté la décision du gouvernement suédois de financer une étude sur les effets de la réduction du temps de travail sur la santé. Elle sera menée par un institut de recherche, mais les directives gouvernementales l'encadrent assez strictement. Elles précisent notamment que l'on donne aux salariés du secteur public la possibilité de réduire leur temps de travail de 25% sans changement de le salaire mensuel (autrement dit le taux de salaire horaire est augmenté de 25 %). Les directives stipulent aussi que l'étude doit porter notamment sur les lieux de travail où l'on peut espérer observer des effets sensibles. Elle durera deux ans pour un coût total de 11 millions d'euros environ.

Que pourrions-nous apprendre de cette étude ? Et bien, pas grand chose. Il y a de bonnes raisons d'affirmer que nous connaissons déjà la réponse qualitative. Je serais extrêmement surpris d'apprendre que la santé des salariés s'est détériorée du fait d'une réduction des heures de travail sans changement de revenu. Reste la question de l'ampleur des améliorations. Quel est précisément l'effet sur la santé de la réduction du temps de travail ? Malheureusement, cette étude ne nous en dira pas grand chose. Il y a à cela deux raisons. Avant tout, la mesure considérée n'est politiquement pas pertinente. Une RTT sans réduction de salaire n'a guère de chances d'avoir lieu. Le Parlement pourrait bien décider de réduire le temps de travail, mais les négociations salariales restent du ressort des employeurs et des salariés. Seconde raison, la sélection des lieux de travail rend toute généralisation impossible. Comment pourrions-nous généraliser les estimations, étant donné que la règle pour participer à l'étude est que l'on peut s'attendre à trouver des effets sur la santé ?

Cette étude est tout simplement un coup d'épée dans l'eau. Et un coup qui coûte cher. La principale leçon qu'on puisse en tirer, c'est qu'une expérimentation mal conçue ne peut remplacer une recherche de bonne qualité. Les expérimentations devraient être conçues par les chercheurs indépendants plutôt que par des politiques. C'est seulement alors que nous pourrons tirer des évaluations expérimentales tout ce qu'elles peuvent offrir.