Comment fermer Guantanamo ? edit

15 décembre 2008

Les hommes politiques ne sont pas particulièrement réputés pour respecter les promesses qu’ils ont faites pendant leur campagne électorale. Pourtant, l’engagement pris par Barack Obama de fermer le centre de détention de Guantanamo sera probablement respecté. L’importance attachée à cette question aux États-Unis et dans le reste du monde est telle que ce fin politique ne saurait la sous-estimer.

L’opération s’inscrit dans une stratégie plus générale qui vise à restaurer l’autorité morale des États-Unis vis-à-vis du reste du monde. À cette fin, il faut agir au plus vite pour se débarrasser de l’héritage incommode de l’administration Bush. Les dégâts importants provoqués par Guantanamo sur l’image et la crédibilité des États-Unis exigent une démarche ferme et efficace dans les plus brefs délais. Si l’on veut se présenter au monde comme le pays leader, dont le pouvoir réside plus dans la force de ses valeurs que dans sa puissance militaire, il est impératif d’agir en conséquence. Étant donné la valeur symbolique acquise par Guantanamo au cours de ces dernières années, il n’est pas à exclure que l’annonce de sa fermeture soit parmi les premières démarches officielles de la nouvelle administration.

S’il n’y a pas lieu de douter de la volonté politique de procéder à la fermeture de Guantanamo, la manière de le faire reste controversée. Divers problèmes politiques et juridiques devront être résolus avant que la page puisse être définitivement tournée. Comme certains commentateurs l’ont déjà souligné, cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain

Il convient de rappeler d’abord les termes concrets du problème. Les chiffres peuvent nous aider. Parmi les centaines de détenus que le centre de détention a accueillis durant les dernières années, il n’en reste plus que 250 environ. Trois ont été condamnées : deux sont restés sur place pour purger leur peine et un troisième, David Hicks – ressortissant australien – a été récemment libéré après avoir passé quelques mois en prison dans son propre pays. Le Pentagone a affirmé que, parmi les détenus qui restent dans l’enceinte de Guantanamo, il y en a une cinquantaine qui sont considérés comme dangereux. Pourtant, des accusations formelles n’ont été portées que contre 17 personnes. Ces dernières devraient être jugées prochainement par les commissions militaires.

Dans ces conditions, on voit bien qu’il y a au moins 200 personnes qui ne sont pas accusées de quoi que ce soit et qui, selon les autorités américaines, ne représentent pas un danger. Parmi eux il y a des réfugiés, des personnes sans nationalité ainsi que des ressortissants de nombreux pays, parmi lesquels se détachent le Yémen et l’Arabie Saoudite. Que faire de ces gens-là est la question la plus urgente. En vertu du droit international, les Etats-Unis ont l’interdiction de renvoyer ces personnes dans leur pays d’origine s’il existe un risque qu’elles puissent y subir des violations de leurs droits fondamentaux. En même temps, il n’y a guère de pays tiers – et encore moins des pays européens – qui soient disposés à les accueillir.

Il s’agit là d’un problème politique qu’il revient à la nouvelle administration américaine de résoudre par la négociation. Il est à espérer qu’une nouvelle atmosphère de coopération puisse s’instaurer entre les États-Unis et ses alliés et que cela favorise une entente à ce sujet. Il serait souhaitable que les États-Unis donnent le bon exemple en décidant d’accueillir eux-mêmes un certain nombre de ces individus inexpulsables dans leurs pays d’origine.

L’autre face du problème concerne les personnes qui ont fait l’objet d’une accusation formelle et celles que les autorités considèrent comme étant encore dangereuses. S’agissant de ces dernières, l’administration américaine n’a pas apporté d’accusations précises. Comme l’ont démontré certains procès devant les commissions militaires, cela tient d’ailleurs plus à la faiblesse patente des dossiers d’accusation qu’à l’exigence de protéger des informations sensibles pour la sécurité nationale. Si Obama s’en tient à ce qu’il a déclaré à maintes reprises, c’est-à-dire de ne pas recourir aux commissions militaires, la question du tribunal compétent pour juger ces individus reste posée. Les hypothèses ne sont pas infinies.

Une première option jouit apparemment d’un certain soutien parmi les collaborateurs d’Obama et même dans certains cercles académiques : cette option consisterait à faire juger ces détenus par des tribunaux spéciaux de sécurité nationale, qui seraient créés pour l’occasion. Une telle solution ne paraît pas cependant la plus adaptée, pour toutes celles et ceux qui sont convaincus que la création de juridictions d’exception n’est pas forcément le meilleur moyen d’assurer l’égalité devant la loi dans une démocratie.

Les prévenus peuvent aussi comparaître devant la justice civile ordinaire ou bien devant la Cour martiale, qui appliquerait les dispositions du Code uniforme de justice militaire. Dans un cas comme dans l’autre, les accusés pourraient se prévaloir des garanties de la justice et être ainsi jugés par de véritables tribunaux. Certes, ces garanties empêcheraient la production des preuves obtenues par la contrainte physique, mais n’est-ce pas le prix qu’une démocratie doit payer pour préserver son identité et ses valeurs fondatrices ?

Le recours à la Cour martiale pourrait être légitimement utilisé à l’égard des personnes capturées pendant le conflit armé en Afghanistan, conformément aux standards requis par le droit international humanitaire. Une telle option pourrait néanmoins poser problème s’agissant des poursuites engagées contre les présumés terroristes appréhendés en dehors de tout conflit armé international.

La meilleure solution – invoquée par l’ancien secrétaire d’État Colin Powell il y a un an déjà – serait de faire juger les terroristes présumés par la justice civile ordinaire, qui s’est démontrée parfaitement capable d’administrer la justice dans les affaires de terrorisme. En témoignent la centaine de procès déjà menés à bien ainsi que la condamnation de plus de 140 terroristes, parmi lesquels M. Reid – le fameux « shoe-bomber » qui avait caché de l’explosif dans ses chaussures dans un vol intercontinental – M. Yusef – l’organisateur du premier attentat contre le World Trade Center en 1993 – et Zacarias Massaoui – l’un des terroristes du 11-Septembre. On ne voit pas pourquoi la justice civile ordinaire qui a bien fonctionné dans les cas que l’on vient de mentionner devrait s’avérer inefficace dans d’autres cas tout à fait identiques.

Guantanamo peut être fermé d’un simple trait de plume, notamment par la signature d’un ordre exécutif par le président. Ce que ce trait de plume ne pourra pas faire, c’est d’effacer de longues années où l’on a cru pouvoir lutter contre les terroristes en recourant à la détention à durée indéfinie, aux procédures inéquitables et aux accusations fondées sur des informations secrètes, de sorte que le remède proposé n’a fait qu’empirer le mal qu’il était censé traiter en remettant en cause l’idée même de l’État de droit sur lequel repose toute démocratie. Il faudra plus que la fermeture de Guantanamo pour restaurer l’État de droit. Il faudra aussi fermer la prison irakienne de Bagram ainsi que les centres secrets de détention. Guantanamo est un symbole, mais sa disparition ne suffira pas si l’on n’adopte pas une politique de lutte contre le terrorisme fondé sur le respect du droit.

Une ultime réflexion s’impose. Les politiques réagissent aux circonstances. Ce que ferait Obama s’il était confronté à une nouvelle attaque terroriste sur le sol américain n’est pas aisément prévisible. Il est à espérer que Guantanamo n’ouvrira jamais plus ses portes ni à Cuba ni ailleurs.