Europe : il faut centraliser l’information boursière edit

7 février 2010

Dans un contexte de crise financière la prochaine révision de la directive Marchés d’instruments financiers (MIF), entrée en vigueur le 1er novembre 2007, constituera un enjeu considérable pour la re-régulation des activités financières et la stabilité du système financier mondial.

La directive MIF promettait « une infrastructure de négociation efficace, transparente, intégrée » en Europe. Pour ce faire, elle abolissait – dans les pays où elle existait encore, comme la France – la règle de concentration des ordres boursiers, qui imposait (en général) leur exécution sur un marché réglementé, y créait de la liquidité et contribuait ainsi à l’émergence de prix sincères. À la place de ce modèle classique (qui inspira Walras et sa défense de l’efficacité et de la justice des marchés), la directive a institué la concurrence entre les marchés réglementés et d’autres dispositifs d’exécution des transactions boursières (les systèmes multilatéraux de négociation et les intermédiaires internalisateurs), sans pour autant contenir l’expansion des marchés de gré à gré qui étaient déjà en place.

Cette concurrence entre plateformes de négociation pour l’exécution des ordres dans le cadre d’un véritable « marché des marchés boursiers » (« a market for markets ») était censée faire baisser les coûts de transaction, accroître la liquidité des marchés et abaisser le coût du capital pour les émetteurs. En outre, des obligations de transparence devaient améliorer le processus de découverte des prix et contribuer à la best execution, c’est-à-dire la garantie aux clients du meilleur prix, du moindre coût et de la plus forte probabilité d’exécution de leurs ordres. Last but not least, cette concurrence allait contribuer à l’intégration du marché financier européen.

Les premières évaluations publiées par des organismes aussi peu suspects d’anticapitalisme financier que le Comité européen des régulateurs boursiers (CESR) ou l’Association française des marchés financiers (AMAFI) révèlent bien des déceptions.

Si la concurrence a fait baisser les commissions payées par les intermédiaires financiers collecteurs/générateurs d’ordres, la baisse n’a pas bénéficié aussi aux clients finaux, investisseurs institutionnels et, a fortiori, investisseurs particuliers, qui ont vu le coût moyen de réalisation d’une transaction augmenter de 12% (AMAFI, janvier 2010, p. 15). On observe aussi depuis la mise en œuvre de la directive MIF une augmentation des écarts entre les prix offerts et demandés pour un même titre (les spreads), traduisant une diminution sensible de la liquidité des titres cotés.

En fait, seuls les grands opérateurs internationaux, notamment ceux qui agissent pour leur compte propre, ont pu consentir les coûts d‘investissements informatiques et tirer leur épingle du jeu. L’une des conséquences de la directive MIF est ainsi sans surprise la concentration de l’intermédiation financière (les 10 plus gros intermédiaires réaliseraient les trois quarts des transactions à l’échelle européenne), renforçant le risque de comportements risqués de la part d’intervenants too big to fail et créant ainsi une situation que l’on pourrait qualifier d’« abus de position systémique ».

L’enjeu central de la révision de la directive MIF réside donc dans l’organisation des transactions boursières. Sur le marché de l’intermédiation boursière, la concurrence porte sur la négociation des titres les plus liquides (les grosses capitalisations et les dérivés standardisés), mais délaisse les introductions en bourse ainsi que la cotation des PME, qui restent le lot des marchés réglementés. Pour contrer leurs rivaux, les marchés réglementés se concentrent sur leurs principaux clients, quand bien même ceux-ci sont parmi les premiers utilisateurs ou actionnaires des systèmes multilatéraux de négociation concurrents. Grevés par les coûts qu’induisent leurs obligations statutaires en matière de surveillance des opérations et de transparence, certains marchés réglementés commencent à reporter sur les émetteurs les coûts que les commissions de négociation couvraient autrefois. En outre, les marchés réglementés acquièrent des systèmes multilatéraux de négociation ou développent des dark pools, (systèmes de négociation non transparents), brouillant un peu plus les limites entre marchés réglementés et dispositifs opaques de négociation. Certains pourraient même envisager d’abandonner ce statut pour se libérer de leurs obligations réglementaires.

Pourtant l’histoire financière enseigne que la régulation boursière n’est pas contradictoire avec l’essor des activités financières tant elle peut améliorer leur organisation.

C’est pourquoi la révision de la directive MIF devrait être l’occasion de ramener les marchés réglementés au centre de l’architecture boursière européenne. Au statut de marché réglementé devrait être adjointe l’attribution d’une mission d’intérêt général à l’échelle européenne. Elle consisterait pour chaque marché réglementé à recevoir, consolider, surveiller et rediffuser, pour les sociétés inscrites à sa cote, les flux d’informations pertinentes (les prix affichés, les quantités à échanger et les types d’ordres) en provenance des autres marchés où se négocient les titres de ces sociétés.

Ce service de centralisation de l’information boursière relève bien d’une mission d’intérêt général au sens du droit communautaire, pour lequel le rôle des autorités publiques est de « veiller au bon fonctionnement du marché et au respect des règles du jeu par tous les acteurs ». Notre proposition ne remettrait pas en cause la diversité statutaire des opérateurs de marchés réglementés, qu’il s’agisse d’autorités publiques, de structures mutuelles ou d’entreprises privées. Loin d’instaurer des distorsions de concurrence, la mutualisation des coûts, option compatible avec les textes en vigueur, rétablirait l’équité concurrentielle que la directive MIF avait altérée en ne faisant supporter qu’aux seuls marchés réglementés les coûts induits par l’indispensable transparence et la nécessaire surveillance des transactions boursières. Elle abaisserait le coût total d’exécution des ordres tout en conservant une certaine hétérogénéité institutionnelle parmi les dispositifs de négociation boursière, faciliterait la surveillance et permettrait de contenir la constitution d’institutions trop grosses pour ne pas devenir incontrôlables. Elle contribuerait aussi à raffermir les liens entre régulateurs et marchés réglementés. Cette proposition améliorerait donc le fonctionnement ordonné de l’intermédiation boursière européenne. Elle gagnerait, bien évidemment, à être menée de front avec la constitution d’une structure mutualiste de compensation et de règlement-livraison, sous l’égide de la Banque centrale européenne.

De telles réformes ne permettraient sans doute pas d’éviter à jamais bulles et krachs ; elles permettraient cependant de limiter leurs effets, et de rétablir la crédibilité des marchés financiers, une condition indispensable à leur utilité sociale et, sans doute, à leur survie.