Comment dialoguer avec Damas ? edit

27 mars 2009

Comment dialoguer avec Damas ? Alors que l’administration américaine examine ses options, apparemment persuadée qu’un rapprochement américano-syrien et un accord syro-israélien peuvent fondamentalement modifier la donne régionale, l’expérience française offre des leçons à méditer. Après une période de rupture et de confrontation particulièrement vives entre Paris et Damas, les retrouvailles se sont avérées incertaines et difficiles, malgré l’avènement d’un président français atypique, disposé au dialogue, soucieux de se démarquer de l’héritage de son prédécesseur et préférant le pragmatisme à l’idéologie.

L’expérience française s’est caractérisée de bout en bout non pas par un plan préétabli mais bien au contraire par une prise de risques, une flexibilité et un réexamen permanents, par des périodes de contacts intenses ainsi que de ruptures radicales. Toujours en cours, son issue demeure inconnue à ce jour, alors que la France cherche à en mesurer la portée à Gaza, sur le conflit israélo-arabe, la souveraineté libanaise, la lutte contre le terrorisme ou encore le dossier nucléaire iranien. Elle ne deviendra pleinement valable, et donc pertinente aux yeux des Etats-Unis, que si elle démontre clairement en quoi la Syrie peut devenir un partenaire crédible et un facteur de stabilité dans la région. C’est un des enjeux des semaines et des mois à venir. Durant cette période, Paris et Damas peuvent en effet illustrer les attraits d’une politique de normalisation des rapports en se concentrant sur certains dossiers.

Au Liban, l’enjeu est de limiter tout risque de retour à la confrontation en répondant de façon tangible aux revendications les plus légitimes de la majorité actuellement au pouvoir : démarcation des frontières entre la Syrie et le Liban ; révision de leurs accords bilatéraux, signés à l’époque où la première exerçait une influence hégémonique sur son voisin ; et acceptation d’une médiation internationale sur la question des disparus libanais dans les geôles syriennes.. Cela étant, les succès et les limites de l’expérience française – toujours énergique, souvent intuitive, parfois contradictoire – sont déjà riches d’enseignements pour l’administration américaine.

D’abord, suite à une longue interruption des relations il est nécessaire de prévoir une phase assez longue d’observation réciproque, d’examen des possibilités et de reconstruction de relations de confiance. Ensuite, pour que le dialogue ait une chance de réussir, il doit se faire sur la base de buts clairs et constants, et non pas en fonction d’une liste fluctuante de souhaits. Pour Paris, il s’est agi surtout de l’élection d’un président Libanais de consensus, objectif atteint avec le choix de Michel Sleimane.

Il faut, également, être aussi patient dans la phase de négociations que rapide dès qu’une opportunité se présente. L’empressement qui caractérisait l’action française en 2007, lorsque le président Nicolas Sarkozy engagea une politique tout azimut, n’a, au mieux, servi à rien, au pire, encouragé Damas à durcir ses exigences et gagner du temps. En revanche, en récompensant immédiatement les premiers gestes syriens, la France a su asseoir sa crédibilité et, partant, amener Damas à s’engager plus avant dans le processus.

De même, il ne faut pas hésiter à rompre le dialogue si les événements le justifient, tout en maintenant des lignes de communication, de façon à réagir rapidement dès que les conditions d’une ouverture sont à nouveau réunies. La prochaine administration américaine pourrait s’inspirer d’une démarche dans laquelle tout progrès est clairement reconnu et récompensé, et tout recul sanctionné.

Enfin, certains aux États-Unis rêvent d’une rupture dans les relations syro-iraniennes. Elle ne se produira pas, du moins dans les circonstances actuelles. Mais en jouant la carte du rapprochement avec la France, la Syrie a montré son souhait d’élargir son portfolio d’alliances stratégiques. Une telle diversification devrait être encouragée par Washington ; elle permettrait en particulier de diluer l’importance de l’Iran aux yeux de Damas et de faciliter la redéfinition progressive des alliances régionales de la Syrie.

Les relations entre l’administration Obama et la Syrie traverseront à n’en pas douter des périodes difficiles. Au delà des sujets de tension qui ne manqueront d’intervenir – par exemple l’enquête de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur le programme nucléaire syrien ou encore celle du tribunal international sur l’assassinat de Rafiq Hariri – existe le legs d’une relation longtemps malsaine, pleine de méfiance et de malentendus, que l’administration Bush a certes laissé pourrir mais n’a pas inventée. Dans ce contexte, l’équipe d’Obama aurait tort de négliger les enseignements à tirer des expérimentations de Sarkozy.

Par contraste, en France, la Syrie est l’objet d’un attachement émotionnel plus ambivalent. Si un fort sentiment de défiance à l’égard du régime syrien existe chez de nombreux observateurs et politiques, l’inverse est également vrai: depuis l’amorce d’un rapprochement entre Damas et Paris, une forme de « lobby » prosyrien refait même surface, parmi les élus et dans le secteur privé.4 Sur un plan stratégique, le Président Nicolas Sarkozy envisage volontiers la Syrie comme une puissance régionale, partenaire potentiellement important dans le renforcement d’une influence française sur le déclin dans cette partie du monde. Absente du dossier irakien et impuissante au Liban, spectatrice passive du conflit israélo-palestinien, piètre doublon des États-Unis au regard de la Syrie, la France avait peu à peu perdu ce qui faisait son originalité et donc sa pertinence au Moyen-Orient. En étant le premier pays occidental à rompre de façon décisive l’isolement de Damas, Paris acquiert un atout non négligeable : un accès privilégié à l’un des acteurs les plus ignorés de la région. En somme, la France accepte davantage que les Etats-Unis l’idée que la Syrie se fait d’elle-même, non pas un « État voyou » à domestiquer ni un élément dans un « axe » adverse à briser, mais un pays occupant une place importante dans la région, pour le meilleur et pas uniquement pour le pire.

Cela étant, les Etats-Unis auraient tort de négliger les enseignements à tirer de l’expérience française en cours. L’objectif affiché par l’équipe d’Obama – que Damas coupe ses liens avec l’Iran et les groupes militants palestiniens et libanais – semble hors d’atteinte. Le régime, pour lequel la restitution du Golan renforcerait sa légitimité, craint en même temps d’être réduit à sa juste – et modeste – mesure, en perdant le soutien d’alliés qui font justement de ce petit État sous-développé l’objet de tant d’attention. Comme le dit un dirigeant syrien, « on nous parle pour nous demander de rompre notre alliance avec l’Iran, le Hamas et le Hezbollah. Mais si on les rompt, nous parlera-t-on encore ? » D’où la suggestion tacite de la Syrie : ne pas renoncer à ses alliances, mais les contrebalancer par d’autres relations et les mettre au service de la stabilité régionale.

Reste à savoir précisément ce que la Syrie entend par là et jusqu’où elle sera prête à aller. Reste à prouver aussi que le régime est capable de gérer une transition délicate, qui pourrait semer le trouble chez ses alliés avant que les bénéfices d’une nouvelle politique ne soient manifestes : normalisation avec les Etats-Unis, soutien économique de l’Occident et retour du Golan. Le rapprochement franco-syrien pourra – peut-être – offrir un début de réponse.

Dresser le bilan d’ensemble de toute ouverture diplomatique vers la Syrie doit se faire prudemment, à l’issue d’un laps de temps assez long (plusieurs mois) et en croisant différentes variables. Les résultats de l’expérience française, par exemple, demeurent irréguliers, incertains ou pour certains réversibles. En même temps, ils laissent espérer des effets plus tangibles et durables. S’attendre à des réactions syriennes immédiates en réponse aux désidératas de la prochaine administration américaine est illusoire. La difficulté consiste justement à formuler des attentes claires, récompenser rapidement les attitudes positives, tout en intégrant les réponses insatisfaisantes dans une perspective à plus long terme, c’est-à-dire en les sanctionnant sans rompre définitivement les liens.

Consultez ici le rapport complet de l'International Crisis Group.