Sarkozy, Copé, la télé et la publicité… edit

2 juin 2008

Pour financer leur puissant pôle de télévision publique, les Anglais, les Danois, les Allemands s’acquittent d’une redevance qui tourne autour de 200 euros annuels. La flamboyante décision de Nicolas Sarkozy du 8 janvier 2008, « France Télévisions sans publicité», aurait pu s’arrêter là : au modèle des pays du nord. Sereinement. Et bien non. C’était compter sans le génie français. Qui a délégué sa réflexion à la Commission Copé.

Reprenons le fil. Après un trimestre de travaux, la Commission dessine un scénario. La suppression de la publicité sur les chaînes publiques ne sera pas aussi brutale qu’annoncée. Elle avancera par paliers jusqu’en 2012. Une publicité résiduelle demeurera sur les écrans (par exemple sur les antennes régionales de France 3) et le parrainage sera autorisé. Dans la période transitoire, le manque à gagner devrait être alors de 450 millions d’euros, pour atteindre autour de 650 millions d’euros au terme du processus.

La Commission avance trois possibilités pour combler ce déficit : une redéfinition de la redevance (élargissement de l’assiette, indexation sur l’inflation, rattrapage) ; une taxe sur l’électronique grand public ; une acrobatie financière (affecter à France Télévisions la part de la redevance allouée à RFI et l’INA, et assurer le financement de ces deux organismes par une taxe sur le chiffre d’affaires des chaînes privées) assortie d’une taxe de 0,5 % sur le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d’accès à Internet. Sans plus attendre, Jean-François Copé prend les devants : c’est la troisième voie qu’il préfère. Puis un couperet tout aussi violent tombe : le 27 mai lors d’une interview sur RTL, Nicolas Sarkozy réitère « que toute augmentation de la redevance est bannie ».

Zoom sur la séquence. La Commission Copé se délite. Les partisans de l’augmentation de la redevance, les parlementaires de gauche, annoncent tambour battant qu’ils vont quitter la table et les producteurs hésitent à leur emboîter le pas. Les incertitudes sur l’avenir du service public de télévision se lestent d’un autre sac de plomb.

Evaluons les forces en présence. Les chaînes privées marquent une bienséante discrétion. Elles devraient tout de même gagner 300 millions ou plus sur l’opération Télévision publique sans publicité quand elle sera en pleine application. De surcroît elles sont, semble-t-il, sur le point d’obtenir une seconde coupure dans les fictions, une heureuse nouvelle qui, d’une certaine manière, accompagnera utilement la venue de recettes supplémentaires. Par précaution, toutefois, Canal +, TF1 et M6 ont lancé le 21 mai une Association des chaînes privées destinée à unifier leur position face aux pouvoirs publics et à faire valoir leurs vues.

L’univers des fournisseurs d’accès est en embuscade. Ces derniers sont déjà sollicités sur un autre front, la participation au financement des contenus. Depuis 2007, les services internet qui distribuent des programmes de télévision sont assujettis au financement du COSIP (compte de soutien à l’industrie des programmes). Dans le même esprit que de la nouvelle Directive européenne sur les services de médias audiovisuels, la Commission Kessler/Richard, chargée d’actualiser les décrets Tasca, envisage que les fournisseurs d’accès (FAI) soient soumis à des obligations d’investissement dans les programmes. Les FAI pèsent d’un chiffre d’affaires de près de 42 milliards d’euros, ils savent les convoitises qu’ils suscitent. Ils vont tenter d’esquiver la nouvelle mission que Nicolas Sarkozy leur a aimablement déléguée dans son discours du 8 janvier : contribuer au financement de France Télévisions. L’association Renaissance numérique, qui regroupe les principaux patrons de l’internet français, proteste contre le projet de taxer « une industrie émergente créatrice d’emplois ». Ces milieux ont déjà laissé entendre que toute nouvelle taxe serait répercutée sur le consommateur.

Une entrée en scène des auteurs est hautement prévisible : au nom du droit moral sur leurs œuvres, ces derniers ont toujours été opposés à une seconde coupure dans les fictions.

Pourquoi tout ce charivari, cette marche de crabe qui évite une solution simple ? L’obsession sur le pouvoir d’achat et les promesses électorales font de la redevance un sujet tabou pour Nicolas Sarkozy, qui en cela s’aligne sur la position de son prédécesseur – cet impôt n’a pas bougé depuis 2002.

Cette attitude se greffe sur une autre particularité nationale. La redevance n’est pas un impôt populaire, car la télévision publique ne revêt pas en France la même légitimité que dans les pays du nord de l’Europe. Chez ces derniers, la télévision publique est traditionnellement abordée comme un outil au service de la vie démocratique, elle est « pensée » dans sa dimension sociétale. Chez nous, dans ses fondements, elle s’est plutôt inscrite comme un instrument politique, et l’information a été pendant longtemps soumise au bon vouloir des gouvernements. Même si ce temps est révolu, il en reste des traces dans les esprits. De plus la doxa selon laquelle la télévision publique n’offrirait pas des programmes différents des chaînes privées circule allègrement. Cette perception est pourtant en vrai décalage avec la réalité. Les études du CSA l’attestent (Cf. la lettre du CSA de mars 2008). En 2007, France Télévisions, avec ses quatre antennes, programme 68,7 % des documentaires diffusés en première partie de soirée de l’ensemble des chaînes gratuites (soit 13 antennes), 52 % des magazines d’information, et 47 % de la fiction française. Sur sa grille, France 2 diffuse presque deux fois plus d’heures d’information et de service que TF1. Cette orientation en faveur d’une télévision messagère est la marque de fabrique de la télévision publique. Mais dans l’abondance des flux d’images et l’habitude du zapping, cette distinction tend à être noyée, en tout cas aux yeux du public hexagonal. Ainsi à la déférence anglaise envers la BBC, s’oppose la relative indifférence française envers la télévision publique.

La Commission Copé doit rendre ses conclusions dans un mois. Les responsables politiques bombent leurs egos, les corporations dressent leurs ergots, les liens entre gouvernement et télévision sont entachés de suspicion, le public ne s’engage pas et assiste, captivé par tant de rebondissements, à ce téléfilm. La suite ménagera d’autres surprises. Et, comme dans tout bon polar, au vu des intrigues de l’instant, le baiser final est loin d’être garanti.