Que faire d’EDF? edit

25 janvier 2018

Audacieux mais pas téméraire, Nicolas Hulot, après avoir tenu un discours de vérité sur le nucléaire, s’en prend à EDF pour ses faibles investissements dans le renouvelable et s’interroge gravement sur l’organisation d’EDF : un groupe intégré à forte dominance nucléaire n’est-il pas conduit à négliger le renouvelable dans ses investissement et sa stratégie et à ne pas faire preuve de la diligence nécessaire pour tenir les objectifs du gouvernement en la matière ? Ne faut-il pas envisager dès lors un éclatement du groupe en activités homogènes ?
Cette interrogation n’a pas manqué de susciter chez les banquiers d’affaires une certaine fébrilité. Démanteler ce qui fut naguère la première capitalisation boursière de Paris est une affaire qu’on ne peut négliger.

Pour les banquiers d’affaires, un démantèlement permettrait d’éliminer la prime de holding, de mieux valoriser le nucléaire et d’ouvrir à la nouvelle entité la voie des financements de marché. Dans leur enthousiasme, les financiers en viennent même à évoquer les précédents vertueux d’Innogy séparé de RWE qui a permis l’élimination de la prime de holding et donc une meilleure valorisation de l’ensemble. Ces arguments repris par les analystes financiers sont peu convainquants, pour au moins trois raisons. L’Etat n’a jamais eu pour stratégie d’optimiser la valeur de ses participations publiques, la création de valeur pour l’APE ne figure pas au rang de ses premières préoccupations. Réevaluer un nucléaire aujourd’hui très décoté ne doit rien à la séparation/spécialisation envisagée et tout à une nouvelle régulation des prix de gros de l’électricité. Enfin les précédents évoqués en Allemagne ne sont guère concluants puisque les entreprises en cause ont été privées de leur activité nucléaire pour cause de fermeture et sont en attente d’indemnisation. Le bilan global de l’opération a été l’affaiblissement de l’ensemble des acteurs.

Si l’on écarte les arguments des banquiers d’affaires en quête d’activités lucratives, qu’est-ce qui agite  les cabinets ministériels qui ne rêvent que de blietzkrieg en chambre ? Cinq arguments sont habituellement avancés :

1. le nucléaire ne doit pas être coté, il faut donc revenir sur la privatisation partielle d’EDF

2. le nucléaire est une facilité essentielle et l’accès au nucléaire, déjà mis en place avec l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), doit être étendu

3. la présence dans le même groupe de nucléaire et d’ENR conduit à négliger les ENR

4. à terme l’État devra intervenir pour financer le démantèlement des centrales et de plus EDF n’est pas en mesure de financer le nouveau nucléaire

5. il y a de l’appétit chez les investisseurs pour un exploitant tourné vers les ENR et les services énergétiques sur le modèle d’Innogy.

Ces analyses qu’on prête aux proches collaborateurs d’Emmanuel Macron sont d’autant plus troublants que les décisions explicitement prises par la nouvelle équipe sont en contradiction avec ces orientations.

Tout d’abord Emmanuel Macron a poussé EDF à s’engager au delà du raisonnable dans le nucléaire nouveau en l’incitant à réaliser les centrales de Hinkley Point au motif qu’une entreprise qui jetterait l’éponge au Royaume-Uni se condamnerait à terme à perdre son expertise, à renoncer à valider l’EPR comme centrale de troisième génération et de fait à sortir de l’industrie

Ensuite Emmanuel Macron a poussé EDF à venir au secours d’Areva en l’incitant à reprendre son activité réacteurs (Areva NP)

Enfin Emmanuel Macron a remis en cause l’engagement de François Hollande de réduire à 50% en 2025 la part du nucléaire dans le mix électrique français.

Ces hésitations stratégiques de l’État conduisent en fait à reconsidérer les arguments en faveur du démantèlement d’EDF.

Faut-il renoncer au modèle de l’opérateur intégré?

EDF aujourd’hui est un exploitant intégré présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur : commercialisation/acheminement/distribution avec Enedis, transport avec RTE, optimisation trading, production et ingénierie dans le nucléaire, le thermique flamme et les énergies renouvelables (EDF EN). Comme on peut le constater à l’énumération de ses activités, EDF a déjà filialisé le transport et la distribution et conformément aux directives européennes il a donné une pleine autonomie aux filiales de transport et de distribution en contact avec les concurrents d’EDF.

Faut-il aller plus loin ? Trois raisons de nature différente sont invoquées.

La première peut être aisément écartée : les concurrents d’EDF ont toute latitude pour obtenir du juge et des régulateurs l’accès au réseau dans des conditions égales, transparentes et à un prix régulé, nul besoin de scinder le groupe pour remplir l’objectif de l’accès. La seconde est d’ordre financier : EDF devant faire face à des besoins d’investissement considérables, elle peut céder les activités de transport (RTE a été cédé à 49% à la CDC) et de distribution d’autant qu’il s’agit d’activités régulées aux résultats prévisibles et que des investisseurs type CDC sont prêts à se porter acquéreurs. À l’inverse les tenants du modèle de l’opérateur intégré font valoir que ce modèle a fait ses preuves tant techniquement que financièrement. Il y a un bénéfice certain à une planification commune des outils de production et de transport. Il est utile financièrement d’équilibrer des investissements au long cours et à la rentabilité variable et le contrôle d’activités assurant des flux réguliers et prévisibles de revenus.

Le nucléaire est-il une facilité essentielle?

EDF ayant bénéficié du privilège historique d’investisseur, de bâtisseur et d’exploitant du parc nucléaire, il a longtemps joui, par rapport à ses concurrents, d’un avantage compétitif indéniable et comme la production, la distribution et les taxes prélevées constituent l’essentiel de la facture d’électricité payé par le consommateur, il ne peut y avoir de concurrence véritable que si les nouveaux entrants peuvent accéder à la ressource nucléaire d’EDF. Le dérèglement du marché de gros de l’électricité déjà évoqué crée un double problème. D’une part l’ARENH permet des comportements opportunistes aux concurrents qui achètent ou pas à EDF de l’électricité nucléaire selon le prix de gros européen. D’autre part la surproduction d’électricité et les dérèglements induits par le renouvelable allemand sur le marché de gros européen font que le nucléaire n’est pas rémunéré à un prix qui assure l’exploitation durable du parc et son renouvellement. Ces constats qui valent pour aujourd’hui ne justifient en rien de caractériser le nucléaire de facilité essentielle et justifient au contraire de rémunérer la disponibilité du nucléaire à travers des contrats de différence mis en œuvre par les britanniques sur Hinkley Point pour assurer une fourniture d’électricité sécurisée en base.

Faut-il nationaliser à 100% l’activité nucléaire?

EDF a vécu comme entreprise publique, puis comme entreprise partiellement privatisée, elle a été soumise dans ses différents statuts à l’autorité de l’État régulateur et investisseur, à l’ASN en matière de sûreté, et ses choix d’investissement ont été dictés par les politiques publiques. Pourquoi faudrait-il aujourd’hui nationaliser l’activité nucléaire ? L’activité d’EDF est entièrement contrôlée par l’État à travers la planification énergétique, à travers la sûreté nucléaire, à travers le « market design » et l’organisation de la concurrence, à travers le contrôle majoritaire du capital (83%). Qu’apporterait de plus le contrôle à 100% et donc le démantèlement du groupe ? Une responsabilité nouvelle de l’État dans le déclassement des installations et le démantèlement des centrales ? Mais on observe avec Fessenheim que c’est l’État qui a la main. Veut-on à l’inverse doter EDF Nucléaire de moyens supplémentaires pour financer le nucléaire nouveau ? Mais l’État ne s’est pas encore fait une religion en la matière et le moment venu le modèle britannique pourra être appliqué.

Faut-il casser le groupe pour favoriser l’investissement dans les ENR?

C’est manifestement l’idée de Nicolas Hulot. Le démantèlement du groupe forcerait sans doute EDF à s’intéresser davantage au renouvelable, mais le problème est ailleurs. Comme le dit excellemment le président Macron on n’arrive pas à faire de l’éolien en France et pas davantage du solaire, et ce pour trois raisons. Toput d’abord la réglementation est ainsi faite que des chantiers lancés sous Sarkozy ne seront inaugurés que par Macron à cause d’un délai de réalisation de près de 10 ans. Ensuite l’État n’a pas lancé les appels d’offre en nombre suffisant pour mettre la France en position de tenir ses engagements européens. Et enfin l’État n’a pas voulu assumer publiquement les surcoûts des filières renouvelables. Nicolas Hulot ne semble pas d’ailleurs prêt à assumer le tournant nécessaire et préfère se réfugier dans le mythe de l’éolien offshore pour ne pas avoir à affronter les inconséquences des écologistes. S’il fallait une preuve supplémentaire de la vacuité des arguments censés pousser EDF à faire du renouvelable, il suffit de rappeler qu’EDF a fait du renouvelable partout dans le monde mais très peu en France et que les financements n’ont jamais manqué tant l’argent est disponible quand les résultats sont réguliers et prévisibles grâce aux tarifs garantis d’achat de l’énergie renouvelable.

Que deviendrait un EDF réduit au renouvelable?

Quels seraient les contours d’un Innogy à la française ? EDF amputé du nucléaire serait privé de l’essentiel de sa production électrique. EDF déjà privé d’une part significative de RTE ne pourrait compter sur les revenus réguliers du réseau de transport. Pire encore un EDF Renouvelables assisterait à l’attrition progressive de son parc de centrales hydrauliques avec la fin programmée des concessions et ne pourrait plus compter que sur quelques parcs éoliens et fermes solaires, autant dire que le groupe disparaîtrait. En quoi une telle liquidation de ce qui jusqu’ici constituait un de nos avantages comparatifs majeurs servirait-elle la cause de la lutte contre le réchauffement climatique, de l’enrichissement de la nation et du développement de l’emploi dans le secteur énergétique ?

Le démantèlement d’EDF est une solution en quête d’un problème. Après la gestion contestable d’Alstom et d’Areva, il n’est pas indispensable d’entraîner EDF dans la même trappe.

Alors que faire ?

Que chacun fasse son métier : celui de l’État est de faire la politique publique de l’énergie, celui de l’entreprise est de tirer le meilleur parti de ses ressources dans le cadre d’un market design défini par les législateurs et les régulateurs européens et nationaux.

La balle est donc clairement dans le camp de l’État qui doit apprendre à gérer la tension grandissante entre aspirations de la société civile à peser sur les choix qui impactent leur mode de vie et leur environnement, la complexité des réseaux techniques et les contraintes de gestion d’une entreprise publique. Pour cela il doit être capable d’arbitrer après avoir éclairé le public faute de quoi il est conduit à la multiplication d’actes de malgoverno.

Le contraste entre les succès de la Reconstruction et des phases d’expansion de l’économie française et les échecs relatifs depuis l’ouverture des marchés européens et la crise du nucléaire obligent à une redéfinition de la stratégie énergétique et à sa déclinaison pratique sous forme de hiérarchisation d’objectifs, de feuille de route par acteur. L’État en particulier doit faire son travail, définir la programmation énergétique, réaliser les conditions matérielles du déploiement de ses politiques notamment en matière d’ENR et de nucléaire mais aussi d’organisation du marché (fin du tarif bleu ?).

En attendant que l’État ait pu rendre ses arbitrages, le principe de précaution doit s’appliquer : il ne faut pas démanteler EDF avant de savoir à quoi ça sert et surtout avant d’avoir résolu les problèmes qu’on lui impute à tort.