Finances publiques: baisser les dépenses ou augmenter les taxes? edit

April 25, 2024

Le gouvernement a amorcé sur les dernières semaines une vaste opération de consolidation des finances publiques. La raison en est que la situation des finances publiques récemment publiée par l’INSEE a fait apparaître pour l’année 2023 un déficit de 5,5% du PIB, bien supérieur aux 4,9% espérés dans les dernières prévisions budgétaires. Le  Programme de stabilité communiqué par le gouvernement le 17 avril prévoit pour 2024 un déficit de 5,1% du PIB, également très supérieur aux 4,4% inscrits dans le précédent Programme de stabilité. Ce déficit reviendrait ensuite à 2,9% en 2027. Et ce niveau de déficit ne serait atteint qu’à la condition d’engager immédiatement une consolidation des finances publiques qui devra ensuite se poursuivre sur plusieurs années et sans laquelle le déficit serait plus important.

Or l’avis rendu sur le Programme de stabilité par le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) est sévère. Le HCFP considère que la prévision macroéconomique sous-jacente à ce Programme pèche par optimisme. Elle manquerait de crédibilité et de cohérence. Il considère également que les mesures de consolidation prévues dans le Programme sont insuffisamment documentées et que leur mise en œuvre sera pour le moins un défi : « … alors qu’un tel effort en dépenses n’a jamais été réalisé par le passé, sa documentation reste à ce stade lacunaire et sa réalisation suppose la mise en place d’une gouvernance rigoureuse, associant l’ensemble des acteurs concernés (l’État, les collectivités locales et la sécurité sociale), qui n’est pas réunie aujourd’hui. »

Bien que volontariste, le Programme de stabilité prévoit une augmentation du taux d’endettement public, c’est-à-dire de la dette publique exprimée en pourcentage du PIB, en 2024 et 2025 après une baisse les trois années précédentes. La croissance nominale du PIB diminue fortement du fait d’une baisse bienvenue mais marquée de l’inflation dont l’effet sera à peine réduit par une accélération poussive de la croissance réelle du PIB. Cette baisse de la croissance nominale du PIB diminue le niveau de déficit public compatible avec une stabilité, et plus encore une baisse, du taux d’endettement. La baisse du taux d’endettement public exige désormais une consolidation des finances publiques, autrement dit une baisse rapide et prolongée du déficit. Dans le Programme de stabilité, le taux d’endettement public ne reprendrait une orientation à la baisse, et de façon encore timide malgré le volontarisme de cette prévision, qu’à partir de 2026. N’ayant pas réalisé d’efforts budgétaires dans les années plus fastes d’avant la crise sanitaire, la France se voit ainsi obligée d’engager cette consolidation en période conjoncturelle basse, avec le risque d’accentuer le ralentissement de l’activité…

Privilégier la baisse des dépenses à la hausse de l’impôt

Dès l’annonce de la nécessité d’une consolidation, un débat public usuel en France a retrouvé une forte intensité pour recommander que cette consolidation soit engagée via la hausse de l’impôt, pour certains intervenants, ou via la baisse des dépenses pour d’autres. Un élément fondamental de la comparaison entre ces deux stratégies de consolidation est leur effet comparé sur l’activité.

La hausse des taxes est souvent considérée comme ayant sur l’activité des effets récessifs plus faibles que la baisse des dépenses. Cette appréciation est une application directe du théorème d’Haavelmo, du nom de l’économiste norvégien Trygve Haavelmo qui l’a exprimé en 1945 (dans un article publié par la revue Econometrica intitulé « Multiplier Effects of a Balanced Budget »). Haavelmo y disait qu’il est possible d’engager une politique fiscale expansionniste à coût nul pour les finances publiques par une augmentation des dépenses financée par une augmentation de l’impôt : l’augmentation des dépenses peut élever d’autant la demande globale tandis que la hausse de l’impôt ne réduit la demande que pour la part de ce prélèvement supplémentaire qui n’aurait pas été épargnée. L’effet net sur la demande globale est donc positif. Dans le cas d’une consolidation, la logique serait la même mais dans le sens opposé, et la baisse des dépenses aurait donc des effets récessifs plus importants que la hausse de l’impôt… Pour séduisant qu’il soit, ce raisonnement est pourtant largement démenti par une abondante littérature économique qui s’est développée sur les dernières décennies.

Remarquons tout d’abord que des 38 pays de l’OCDE, la France connaît les taux les plus élevés concernant les dépenses publiques et, avec le Danemark, d’imposition. Partant de cette situation, une stratégie de consolidation passant par la baisse des dépenses a comme premier mérite de rapprocher sur le plan fiscal notre pays de nombreux autres pays avancés dont la situation économique est généralement plus avantageuse. Mais au-delà de ce premier constat, rappelons qu’une hausse de l’imposition est toujours distorsive avec, pour un rendement équivalent, des effets négatifs sur l’activité économique qui peuvent être plus importants que ceux d’une baisse des dépenses publiques, car la hausse de l’impôt peut réduire le rendement de l’investissement ou celui du travail, avec en conséquence une baisse de la demande et/ou de l’offre de travail.

Une littérature économique fournie montre même que, dans certaines situations, la réduction des dépenses aurait des effets réduits sur l’activité, car elle peut rassurer les agents, qui baisseraient en conséquence leur épargne de précaution, sur la soutenabilité des finances publiques et l’absence de futures hausses d’impôts. Une analyse approfondie de 200 expériences de consolidations réalisées dans 16 pays avancés sur la période 1970-2014 a été proposée en 2019 par Alesina, Favero et Giavazzi dans leur livre Austerity[1]. Les principaux enseignements de cette analyse sont résumés par les mêmes auteurs dans un article intitulé « Effects of Austerity : Expenditure and Tax-based Approaches », publié par le Journal of Economic Perspectives en 2019. Les résultats qu’ils y présentent sont cohérents avec ceux d’une précédente abondante littérature. En substance, ils montrent que les consolidations engagées via une baisse des dépenses ont, pour un même rendement fiscal, des effets défavorables sur l’activité nettement plus faibles que celles engagées via une hausse de l’impôt. Dans certains cas, la consolidation via la baisse des dépenses a même un effet expansionniste sur l’activité, du fait de la baisse du taux d’épargne et de l’augmentation de l’investissement qui l’accompagnent. Ces derniers cas sont loin d’être marginaux puisqu’ils concernent des consolidations réalisées en Belgique, au Danemark, en Irlande et en Suède dans les années 1980 et au Canada dans les années 1990. L’approche privilégiant la baisse des dépenses publiques retenue actuellement par le gouvernement pour effectuer une consolidation fiscale apparaît donc appropriée.

Éviter le rabotage et supprimer des niches

La baisse des dépenses envisagées dans le Programme de stabilité contient diverses mesures pertinentes, en particulier dans le domaine social (augmentation du reste à charge sur les dépenses médicales, réforme de l’indemnisation chômage …) qui rapprochent la France des pratiques des autres pays européens, même les plus sociaux. Rappelons qu’en France, les dépenses sociales correspondent à près de 60 % des dépenses publiques, et qu’elles sont plus dynamiques que les autres dépenses. Les dépenses de l’Etat, par exemple, progressent sur un rythme maitrisé. Il parait donc logique d’engager la consolidation via une baisse structurelle de certaines dépenses sociales.

Mais la stratégie de consolidation adoptée laisse une grande place au rabotage des dépenses dans tous les ministères. Cela risque d’y détériorer les conditions de travail avec des conséquences néfastes sur la qualité du service public. Une approche plus structurelle serait souhaitable. Si la hausse de l’impôt est écartée sauf, et il faut s’en féliciter, sur certaines rentes, la disparition de diverses niches fiscales apporterait un concours rapide et bienvenu, sans effet marqué sur l’activité. Donnons-en deux exemples, dans une liste qui pourrait être longue. Le premier exemple est celui de la TVA à taux réduit pour la restauration qui a été instaurée en 2009 mais n’a pas tenu toutes ses promesses en termes de créations d’emplois. Le second exemple est l’abattement fiscal de 10 % sur les pensions pour raison de frais professionnels. Ces deux niches amputent annuellement les recettes publiques de plus de 8 milliards d’euros, et leur disparition apporterait donc un concours non négligeable à l’effort de consolidation fiscale. Le risque d’évasion fiscale, parfois invoqué en faveur du taux réduit sur la restauration, est aujourd’hui réduit du fait des logiciels de caisse enregistreuse, obligatoires depuis 2018. Cela offre des marges de manœuvre pour un relèvement des taux. Dans son rapport de 2023 sur la TVA, le Conseil des prélèvements obligatoires estime le coût de l’ensemble des taux réduits (et pas seulement celui de la restauration) à 47 milliards en 2021, par rapport à l’application du taux normal (à comportements inchangés). Un rapport plus ancien de la Commission européenne pointait que, principalement du fait des taux réduits, les recettes de TVA en France étaient nettement inférieures à la moyenne de l’UE en 2014 en pourcentage des recettes fiscales totales (14,5%; moyenne de l’UE de 17,5%)[2].

On notera au passage que la disparition des deux niches mentionnées ici serait redistributive. En effet, concernant la première, la part du revenu dépensé en restaurants est croissante avec le revenu et l’augmentation possible des prix de la restauration suite à la disparition de la niche concernerait donc davantage, en proportion du revenu, les hauts revenus que les bas revenus. Concernant la seconde niche, rappelons que 55% des foyers fiscaux ne payent pas d’impôt sur le revenu et même si la disparition de l’abattement fait baisser ce pourcentage, les basses pensions ne seraient pas concernées.

Bien sûr, la disparition de ces niches ferait des mécontents, comment en serait-il autrement ? Mais cet inconvénient est préférable à celui de l’abaissement de la qualité du service public. Il est impossible d’envisager une consolidation fiscale pertinente sans perdants. Vouloir absolument éviter les perdants, comme s’y efforce souvent le gouvernement, renforce les risques d’échec. Cette volonté d’éviter de mécontenter certaines populations explique la décision de revaloriser les retraites, en janvier dernier, autant que l’inflation enregistrée, avec un coût pour les finances publiques de près de 14 milliards d’euros… Une consolidation réussie ne peut être engagée qu’en prenant le risque de déplaire.

Enfin, sur le moyen et long terme, deux orientations permettraient d’améliorer structurellement la situation des finances publiques. Tout d’abord, un meilleur encadrement des dépenses des collectivités locales, en particulier de leurs effectifs qui augmentent continument et dont la hausse est, de 1997 à 2022, d’environ 45 %, soit deux fois plus que dans l’ensemble de la fonction publique (voir Fipeco, 2024). Ensuite, l’augmentation du taux d’emploi aux niveaux observés dans les pays nordiques et scandinaves, ou en Allemagne ou aux Pays-Bas, aboutirait à une augmentation très significative du PIB et donc, à taux de prélèvement inchangés, des recettes fiscales et sociales…

[1]     Alberto Alesina, Carlo Favero et Francesco Giavazzi, Austerity: When It Works and When It Doesn’t, Princeton University Press, 2019. Ce livre examine notamment les politiques d’austérité mises en œuvre dans différents pays européens au début des années 2010 à l’occasion de la crise de l’euro. (Chacun des trois auteurs a publié plusieurs articles sur Telos.)

[2] Athena Kalyva, Hans Naudts et Savina Princen, « The French VAT System and Revenue Efficiency », Economic Brief 015, juillet 2016.