Mondialisation: un clivage gauche / droite edit

29 mai 2006

Dans le cadre d'une enquête inédite menée à Sciences Po et que publie ici Telos, il apparaît très clairement que la mondialisation constitue une source de clivage très significatif entre la gauche et la droite.

Cette enquête tendrait à prouver que la droite parlementaire est désormais convertie aux idées libérales, tout au moins pour tout ce qui touche à la réforme du marché du travail. C'est là une évolution politique de première importance qu'il faut souligner, tant elle est en rupture avec la propre histoire de la droite. Celle-ci, y compris sous la Ve République, a longtemps été étatiste et souverainiste. Le non à Maastricht a été pour l'essentiel un non de droite. Aujourd'hui, les choses semblent avoir beaucoup changé. Il existe, certes, de très nombreuses nuances au sein de la droite, mais on ne peut plus véritablement parler de deux droites dont l'une serait libérale et l'autre étatiste. Sur toutes les questions sensibles, notamment celles liées au marché du travail, le consensus libéral semble très marqué. En revanche il existe une frange de l'UMP qui paraît plus régulatrice que libérale et ce clivage joue beaucoup par rapport à la question de l'agriculture.

A l'inverse, cette enquête confirme un certain durcissement de la gauche autour de valeurs politiques anti-libérales, même si la gauche paraît moins homogène que la droite. Cette enquête confirme donc que les résultats du référendum sur l'Europe, qui avait montré l'existence d’un "non" massivement de gauche, lui-même construit autour d'une contestation de "l'Europe libérale", n'était pas un accident.

1. Appréciation générale de la mondialisation

En apparence, la différence entre la gauche et la droite ne semble pas très forte puisque la moitié des députés de droite UMP (55 %) et socialistes (57 %) voient dans la mondialisation une réalité équilibrée présentant des aspects positifs et négatifs. Mais ce chiffre en  masque un autre, plus parlant : 43 % des députés UMP voient dans la mondialisation un phénomène avant tout positif alors que cette proportion tombe à moins de 5 % chez les socialistes. On constate toutefois que lorsqu’ils sont élus dans des circonscriptions où le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale, ils sont plus enclins à voir dans la mondialisation un processus équilibré que positif.

Inversement 3 % à peine des députés UMP voient dans la mondialisation un phénomène négatif alors que cette proportion monte à 38 % chez les socialistes. La perception négative est donc incomparablement plus forte à gauche qu’à droite. La droite souverainiste et anti-libérale paraît pour sa part ultra-minoritaire.

2. Perception des gagnants et des perdants

Ce clivage se retrouve dans l’appréciation des gagnants et des perdants de la mondialisation. On peut distinguer ici trois grandes catégories de perdants ou gagnants.

  • par acteurs (entreprises, ONG, consommateurs, etc.)
  • par catégories socio-professionnelles
  • par pays ou groupe de pays

Par acteurs

100 % des députés socialistes interrogés voient dans les multinationales et les marchés financiers les principaux gagnants de la mondialisation alors que ce chiffre n’est que de 47 % pour l’UMP. De fait, la droite a une vision plus large des gagnants puisqu’elle y inclut les consommateurs (19 %) ou « tout le monde » (29 %).

Par catégories socio-professionnelles

Catégories socio-professionnelles perdantes : la perception est, là encore très clivée.

50 % des UMP estiment que les premiers perdants sont les agriculteurs alors que chez les socialistes, cette catégorie n’est considérée comme principale perdante que par 17 % d’entre eux. Pour le PS, ce sont massivement les ouvriers qui sont considérés comme les premiers perdants de la mondialisation (77 %).

Catégories socio-professionnelles gagnantes : là, le clivage n’est pas très prononcé. UMP et PS sont d’accord pour dire que les principaux gagnants sont les chefs d’entreprise et les professions indépendantes, puis les cadres et les professions libérales, et cela dans des proportions massives (plus de 70 % des réponses).

3. Interprétation des enjeux  liés à la mondialisation

Ce clivage fondé sur des perceptions, se durcit quant on passe à l’interprétation des problèmes économiques et sociaux liés à la mondialisation, et notamment aux questions d’emploi.

-    71 % des UMP pensent que les problèmes de l’emploi sont plus liés à la structure du marché de l’emploi qu’à la mondialisation, alors qu’une proportion quasi équivalente (72 % des députés PS) pense que les problèmes de l’emploi sont directement ou indirectement  liés à la mondialisation. Les UDF sont exactement à mi-chemin entre le PS et l’UMP sur cette question.

De fait, lorsqu’on demande aux députés s’ils sont prêts, (« J’accepte ») sur le principe, à admettre la délocalisation d’une entreprise si cette opération permet de sauver d’autres emplois en France, 58 % des UMP disent oui alors qu’il ne sont que 6 % seulement chez les socialistes à accepter cette éventualité. Cette proportion, toutefois, monte à 76 % si on leur dit que cette sauvegarde d’emplois était prouvée. Ce qui signifie donc très clairement que spontanément, très peu de députés PS pensent que les délocalisations permettent de sauver d’autres emplois. L’interprétation des délocalisations donne lieu également à des réponses très clivées. 73 % des députés UMP sont prêts à admettre que les délocalisations ne sont pas une cause significative des destructions d’emploi (ce que disent tous les économistes) alors que cette proportion n’est que de 39 % chez les députés PS. Sur cette question, l’UDF est, là encore, beaucoup plus proche de l’UMP que du PS.

Dans ce même ordre d’idées, plus de 43 % des députés PS sont prêts à admettre l’idée que l’on maintienne des secteurs non compétitifs alors que chez les UMP, ce chiffre tombe à 18%. On peut néanmoins dire que 60 % des députés PS trouvent normal d’abandonner certains secteurs au profit d’autres pour se redéployer vers des activités à plus forte valeur ajoutée. On ne s’étonnera donc pas que la proportion des socialistes considérant le patriotisme comme une « idée intéressante mais sans contenu concret » (60 %) soit bien plus forte que celle des UMP (41 %) même si que l’idée émane du chef du gouvernement.

- C’est cependant sur les causes et remèdes au chômage que le clivage est le plus sensible.

Plus de 97 % des UMP (et 92 % des UDF) pensent que le chômage a pour origine le clivage entre insiders et outsiders, ce qui est la thèse libérale standard sur les causes du chômage élevé en France ; alors que pour 93 % des socialistes, le chômage est le résultat d’une politique ultra-libérale. Sur aucun autre sujet le clivage n’est aussi puissant. De même coup, près de 80 % des UMP récusent l’idée selon laquelle il ne faudrait pas accroître la flexibilité de l’emploi au prétexte que la flexibilité de celui-ci serait déjà forte alors que la totalité de l’échantillon PS répond positivement à cette question. La droite tend donc à considérer dans une très grande proportion que les blocages français sont liés à la structure du marché de l’emploi, alors que les députés de gauche attribuent massivement ces blocages à la mondialisation.

4. Leviers d’action dans la mondialisation

Le questionnaire a retenu deux leviers : l’OMC et l’Europe.

OMC

Le rôle de l’OMC est perçu comme plutôt positif dans la régulation de la mondialisation (« fait de son mieux ») par près de 80 % des députés UMP alors que 63 % des députés socialistes en ont une perception plutôt négative (« va trop loin dans l’ouverture des marchés »). Il en découle qu’un tiers des UMP (32 %) plaident pour un renforcement des pouvoirs de l’OMC alors qu’aucun député socialiste n’envisage cette hypothèse.

Quand on demande aux députés quel est le secteur que l’on doit prioritairement protéger contre le marché à l’OMC, les députés socialistes répondent massivement les services publics à plus de 78 %, alors que ce chiffre tombe à 16 % seulement chez les UMP. Pour ces derniers, les secteurs à défendre sont avant tout l’agriculture (47 %) et l’environnement (36 %).

Quand on interroge ensuite les députés pour savoir quels instruments d’action ils privilégieraient pour réguler la mondialisation, les députés UMP mettent en avant le renforcement des pouvoirs de l’OMC (32 %) et l’aide aux pays en développement (30 %). La priorité à donner à l’aide au développement est reconnue par les députés PS dans à peu près la même proportion (27 %). En revanche, ils ne sont que 13 % à demander un renforcement des pouvoirs de l’OMC. 27 % des députés socialistes privilégient la taxation des transactions financières et des compagnies aériennes, alors qu’ils sont à peine 13 % à l’UMP à souhaiter cette solution.

Quand on demande aux députés quels sont les intérêts prioritaires que la France devrait défendre à l’OMC, les UMP répondent à près de 38 % : l’agriculture ; alors qu’il sont moins de 5 % des socialistes à partager ce point de vue. Pour les socialistes, la priorité absolue est donnée à la reconnaissance d’une clause sociale fondamentale (74 %), c’est-à-dire d’une régulation évitant le dumping social.

Europe

Il y a sur la relation Europe et mondialisation, des points de consensus et de dissensus. A droite comme à gauche, on ne perçoit généralement pas l’Europe comme un gagnant de la mondialisation. Les gagnants sont vus du côté des Etats-Unis et des pays émergents, et cela de manière très forte.

Quand on demande aux députés d’identifier un succès de l’Europe, ils répondent très largement « l’Euro », sans différence partisane. On note toutefois que la proportion des UDF en faveur de l’Euro est de 73 % contre 59 % pour l’UMP. Un tiers des députés UMP donne le marché unique comme exemple de succès alors que 9 % seulement des élus PS avancent cet exemple. Ce qui est spectaculaire, c’est la perception très négative de la politique commerciale de l’Union européenne, y compris chez les UDF. Près de la moitié des députés de gauche comme de droite considèrent cette politique comme l’illustration de l’échec le plus sensible de l’Europe face à la mondialisation. Et même sur cette question, le verdict des UDF n’est pas plus clément que celui des PS. Il y a donc un consensus transpartisan pour juger assez sévèrement les performances de l’Europe. Le clivage partisan sur l’Europe n’apparaît que lorsqu’on demande aux députés si l’Europe est un filtre ou un cheval de Troie. 13 % des UMP retiennent l’hypothèse du cheval de Troie alors qu’ils sont 36 % au PS à accepter cette hypothèse. Mais il y a beaucoup d’hésitations sur ce sujet, sauf chez les UDF où la confiance en l’Europe « filtre » atteint les 60 %. On note que sur cette question, les socialistes sont clairement plus partagés puisqu’une petite moitié d’entre eux accepte malgré tout l’idée de l’Europe « filtre » (44%).

Un des résultats significatifs de l’enquête est de montrer que les deux blocs « gauche »  et « droite » apportent des réponses très cohérentes. Les divergences au sein de chacune des deux grandes familles sont relativement faibles sur les questions sensibles, même si l’hétérogénéité des réponses à gauche est plus sensible qu’à droite. Il n’y a pas de dissidence social-libérale au sein du PS mais il y a malgré tout une certaine sensibilité libérale pour penser, contre une très forte majorité de leur groupe, que :

- les problèmes d’emploi sont plus liés à la structure du marché qu’à la mondialisation (24 %)

- l’OMC fait de son mieux pour encadrer les marchés (37 %)

- la France affronte la mondialisation avec plus de difficultés que les autres pays (25,53 %)

- les problèmes de la France sont plutôt liés à ses blocages internes qu’à la mondialisation (28 %).

La place de l’UDF

Globalement, les réponses des UDF sont incomparablement plus proches de celles de la droite que de la gauche. Le point moyen de l’UDF est légèrement plus à gauche que celui de l’UMP (sur un axe gauche-droite horizontal)  mais également plus légèrement libéral sur un axe vertical, même si la faiblesse numérique des UDF interdit de donner à cette interprétation un sens trop fort. On peut toutefois dire que sur els questions sensibles, du chômage et de l’emploi, leur appréciation rejoint celle de l’UMP, même si le positionnement est parfois moins libéral que celui de l’UMP. On note quelques nuances. Ils sont moins enclins que les UMP à identifier les agriculteurs aux perdants et plus enclins que les UMP à voir dans les ouvriers les perdants sociaux de la mondialisation. On retrouve également une plus grande confiance dans l’Europe en tant que filtre de la mondialisation et une plus grande proportion qu’à l’UMP de députés UDF estimant que l’OMC va trop loin dans l’ouverture des marchés.