Petite sociologie des députés edit
Le site de l’Assemblée nationale permet, après un travail un peu fastidieux de collecte et de mise en forme[1], de synthétiser les données concernant l’âge, le sexe et la profession des députés nouvellement élus. Ces informations sont pleines d’enseignements. J’en propose ici la synthèse.
Tableau 1. Catégorie socioprofessionnelle des députés élus en 2022 et part des CSP dans la population active occupée
Lecture : 36 députés élus en 2022 sont chefs d’entreprise. Ils représentent 6,2% de l’ensemble des députés. Le poids des chefs d’entreprise dans la population active occupée en 2018 est de 0,6% (Insee, enquête Emploi)
La composition professionnelle des députés montre avant tout une surreprésentation extrêmement marquée des classes supérieures : ces catégories socioprofessionnelles sont 7 à 10 fois plus présentes parmi les députés que dans la population active occupée (pour les chefs d’entreprise, professions libérales, cadres supérieurs du secteur privé), ou 4 à 2 fois plus présentes (pour les cadres de la fonction publique, enseignants et professions scientifiques). Au total, l’ensemble de ces classes supérieures qui regroupe 72% des effectifs de l’Assemblée (contre 22% dans la population active occupée), est donc trois fois plus présent parmi les députés que dans le pays réel.
Le résultat miroir de ce premier constat est évidemment la sous-représentation massive des classes populaires : 26 employés parmi les 577 députés, soit 4,5% des effectifs de l’Assemblée alors que les employés représentent 27% des Français en emploi (soit 6 fois plus) ; 7 ouvriers seulement, soit 1,2% des députés, alors que les ouvriers représentent un peu plus de 20% de la population active occupée (17 fois plus).
Même les classes moyennes (que l’INSEE regroupe dans la catégorie des « professions intermédiaires ») sont également peu présentes parmi les députés au regard de leur poids dans la population (près de trois fois moins présentes). Au passage il faut noter également que les artisans et commerçants sont nettement sous-représentés.
Figure 1. La part des classes populaires parmi les députés
Source : Observatoire des inégalités et auteur pour 2022.
En réalité cette situation n’est pas nouvelle. Des données rassemblées par l’Observatoire des inégalités[2], que j’ai complétées pour l’élection de 2022, montrent que dès l’avènement de la Ve République la part des Français d’origine populaire parmi les députés est ramenée à un étiage très bas qui remontera un peu avec la poussée de la gauche aux élections de 1967, mais restera constamment sous la barre des 10% et déclinera régulièrement par la suite, avant de remonter légèrement en 2017, un mouvement qui se prolonge en 2022 sans atteindre que 6% (figure 1).
Mais les partis qui se donnent pour mission de représenter ces classes populaires ne devraient-ils pas en compter un contingent important dans leurs rangs et les promouvoir pour se présenter aux élections ? Le tableau 2 montre que ce n’est pas vraiment le cas malgré quelques figures médiatiques mises en avant lors du dernier scrutin.
Dans aucun groupe politique représenté à l’Assemblée la part des ouvriers ne dépasse la barre des 4%. Les employés sont un peu mieux représentés parmi les députés de la Gauche démocrate et républicaine (communistes) (14%) et parmi ceux de LFI (16%), mais restent loin de leur poids dans la population active (28%).
Le fait majeur est cependant que dans tous les partis, y compris les partis de gauche, les classes supérieures (en y adjoignant ceux qui disent exercer comme profession une fonction politique ou un métier de collaborateur de politiques, 4,5% au total) sont largement majoritaires. Le taux maximum est celui des socialistes (87%), le taux minimum celui des communistes et de LFI (59%).
Le type de classe supérieure surreprésentée (par rapport à la structure des CSP de l’ensemble des députés) varie certes d’une formation à l’autre – plutôt les cadres de la fonction publique et les enseignants chez les écologistes, les enseignants et les politiques ou collaborateurs de politiques chez les communistes, les enseignants à LFI, les cadres du privé au Modem, les chefs d’entreprise à Renaissance, les professions libérales au RN et l’ensemble des cadres et enseignants chez les socialistes – mais aucune ne déroge fondamentalement à cette loi de la déformation vers le haut de la structure sociale de leurs élus (tableau 2).
Tableau 2. Poids (%) des CSP dans chaque groupe politique (députés 2022)
Lecture : 17% des députés écologistes ont une profession relevant des professions libérales. En rouge les catégories surreprésentées dans un groupe par rapport à leur poids parmi l’ensemble des députés ; en bleu les catégories sous-représentées dans un groupe. L-I-O-T : Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires.
Âge et sexe : des députés dans la force de l’âge et plus souvent des hommes
Par rapport à leur poids dans la population générale, les personnes ayant entre 36 et 60 ans sont assez nettement surreprésentées parmi les députés. Par contre les jeunes (moins de 36 ans) et les personnes de plus de 60 ans y sont nettement sous-représentés. Les députés semblent donc plutôt représenter les Français actifs et moins ceux qui débutent dans la vie ou sont au contraire à la retraite. Mais la variation de cette structure par âge selon les formations politiques est plus nette qu’en ce qui concerne les catégories socioprofessionnelles.
Les écologistes, LFI et le RN présentent des contingents nettement plus importants que les autres formations de jeunes députés ; leur poids dans ces partis est à peu près équivalent à celui de la population générale. Les autres partis – et surtout les Républicains et les socialistes – surreprésentent les plus de 50 ans.
Il y a là manifestement un clivage générationnel qui s’explique sans doute par les modalités de construction des carrières politiques dans les partis traditionnels, via une transmission du flambeau par des leaders ayant une longue implantation locale et souvent peu pressés de céder leur place. Les partis plus neufs peuvent permettre de construire des carrières politiques plus rapides en faisant monter de jeunes candidats à l’assaut de circonscriptions où ils ne sont pas implantés. C’est ce qu’ont fait notamment LFI et le RN aux dernières élections législatives. Beaucoup de ces jeunes candidats avaient a priori peu de chances de remporter l’élection mais la conjoncture politique leur a été souvent favorable.
Tableau 3. Âge des députés élus en 2022 par groupe politique
Lecture : en rouge, les catégories d’âge surreprésentées dans une formation politique.
Quant aux femmes elles sont nettement sous-représentées parmi les députés (37%). Elles le sont parmi les députés de toutes les formations à l’exception des écologistes dont la représentation est au contraire très féminisée (56,5%). Les Républicains et les communistes présentent à l’inverse la proportion la plus importante de députés masculins (71% et 82%). Le sexe-ratio de Renaissance et de LFI est plus équilibré (40/60 pour les premiers, 43/57 pour les seconds).
Au total, faut-il s’étonner, voire s’indigner de la très forte déformation de la structure démographique et professionnelle des députés par rapport à la population générale ?
Rien ne contraint, et c’est heureux, la représentation nationale à être un miroir fidèle de la composition sociodémographique de la population. Les élus sont les représentants de circonscriptions et de courants politiques et non les représentants de catégories socioprofessionnelles, de classes d’âge ou d’un sexe, même si certains se font les porte-parole de l’une ou l’autre de ces catégories.
Néanmoins, une déformation aussi forte n’est pas sans poser question. Ne peut-elle conduire les catégories de Français les plus mal représentées à l’Assemblée à se sentir étrangers à ses débats et à ses décisions ? D’autant que les Français d’origine populaire sont, en moyenne dès le départ, plus éloignés de la politique du fait de leur niveau d’étude globalement moins élevé (un résultat bien établi de la science politique montre la forte corrélation entre l’intérêt pour la politique et le niveau de diplôme). C’est ce qui explique d’ailleurs sans doute en partie leur sous-représentation dans la classe politique. C’est aussi le cas, pour d’autres raisons, des classes d’âge les plus jeunes. Néanmoins, le discrédit de la politique est tel qu’une large majorité de Français, quelle que soit leur condition, pense que leurs opinions sont mal représentées à l’Assemblée nationale (Enquête Louis-Harris interactive 2022 pour l’Institut Montaigne).
Il n’est pas sûr que ces Français attachent finalement beaucoup d’importance à la composition sociale de l’Assemblée. Le problème pourrait être plutôt du côté des députés eux-mêmes et de leur prise en compte de la sensibilité et des aspirations de catégories sociales qui leur sont en grande partie étrangères, et pour certaines formations au moins où ils sont très nettement sous-représentés, des aspirations des jeunes et des femmes.
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[1] Chacune de ces informations est présentée individuellement pour chacun des 577 députés. Voir : https://www2.assemblee-nationale.fr/static/tribun/trombinoscope/trombinoscope_groupe.pdf
[2] Voir : https://www.inegalites.fr/L-Assemblee-nationale-ne-compte-quasiment-plus-de-representants-des-milieux