Nouvelle bipolarisation: la faute à Macron? edit

31 mai 2019

Dans les commentaires des élections européennes, on a entendu certains chefs de partis malheureux et certains analystes reprocher à Emmanuel Macron d’avoir volontairement re-bipolarisé le paysage politique sur le clivage LREM/RN, ayant commis ainsi le crime affreux d’avoir détruit le bon vieux clivage gauche/droite. Ce reproche est doublement mal venu. Il sous-estime l’autonomie des électeurs en estimant qu’ils ont été manipulés par un président honteusement engagé dans la bataille des européennes. Il traduit le refus de reconnaître les nouvelles données du jeu politique produites par les élections de 2017.

La confirmation de la nouvelle bipolarisation n’est pas due à la manipulation macronienne mais d’abord au fait que les électeurs sont de plus en plus nombreux à se situer sur de nouveaux enjeux politiques, notamment l’Europe et l’écologie. Les listes qui se sont clairement positionnées sur ces enjeux ont gagné, les autres ont perdu. Sur l’Europe, le RN et LREM ; sur l’écologie, les Verts. Un sondage IFOP-Match, paru le 29 mai, portant sur les intentions de vote à la prochaine élection présidentielle, donne 30% à Macron, 28% à le Pen et 12% à Jadot, soit ensemble 70% ! Aucun autre candidat n’atteindrait 10%. À cela il faut ajouter que la grave mise en cause, au cours des six derniers mois, de l’autorité de l’Etat et de la démocratie représentative, que n’ont pas cherché à contrer les anciens partis de gouvernement, c’est le moins que l’on puisse dire, a joué dans le ralliement au président d’une large part de la droite légaliste, ce qui explique largement l’effondrement de LR. De manière plus générale, il est arrivé à ce parti ce qui était arrivé au PS il y a deux ans : son électorat s’est situé sur les nouveaux enjeux, en particulier l’Union européenne, votant soit LREM soit RN. Plutôt que d’accuser Macron de cet effondrement, Laurent Wauquiez ferait mieux de se demander si ce n’est pas sa double stratégie, coller aux thèmes du RN et enfiler le gilet jaune, qui est à l’origine du désastre.

Quant au PS, qui historiquement était attaché à la construction européenne – n’est-ce pas Guy Mollet qui a signé le Traité de Rome en 1957 ? n’est-ce pas François Mitterrand qui a permis la création de l’euro en 1992 ? – au lieu de proclamer son attachement à l’Europe, il n’a cessé de réclamer le rassemblement de la gauche avec des partis eurosceptiques, le PCF, LFI et même Génération.s dont Hamon refusait que ses éventuels élus siègent à Bruxelles dans le groupe socialiste. Résultat : 6,5% et la sortie définitive de l’Histoire. Quant à Jean-Luc Mélenchon, ses outrances et sa prosternation devant les Gilets jaunes ainsi que son rejet du régime représentatif ne pouvaient faire de son mouvement l’outil du rassemblement d’une gauche dans laquelle il ne voulait même plus se reconnaître.

Ce vote européen réconforte les partisans de la démocratie représentative : les électeurs ont fait leur choix en fonction des enjeux et des positions des candidats sur ces enjeux. Ils ont voté en plus grand nombre que d’habitude, précisément parce qu’ils pouvaient traduire leurs idées en votes grâce à une configuration des candidatures adéquate. Quel que soit son génie manipulateur, Macron n’est pas le Deus ex machina de cette histoire mais simplement un homme politique qui a contribué à rebrancher les électeurs sur les élections. De même pour Marine Le Pen qui a donné une voix à cette partie des Français craignant ou refusant une évolution du monde qui leur paraît se faire à leurs dépens. Quant au candidat écologiste, absent en 2017, il a permis à une partie de l’électorat, jeune et préoccupé par les questions environnementales, d’exprimer ses angoisses et ses attentes, abandonnant les vieux partis de gauche. Rien que de très compréhensible dans tous ces changements.

Ces évolutions ne sont pas propres à la France. Observons en particulier ce qui s’est passé au Royaume-Uni et en Allemagne. Au Royaume-Uni, les scores des deux grands partis de gouvernement, incapables de se positionner clairement sur les nouveaux enjeux, sont passés respectivement de 23,3 à 12,1 pour les Conservateurs et de 24,7 à 14,1 pour les travaillistes tandis que les partis situés sur les nouveaux enjeux sont passés de 7,7 à 12,1 pour les Verts, de 6,7 à 20,3 pour les LibDem et de 26,7 à 31,6 pour le parti de Nigel Farage, favorable au Brexit.

En Allemagne, tandis que les deux grands partis de gouvernement, mollement situés, sont passés de 35,3 à 28,7 pour la CDU et de 27,3 à 15,8 pour le SPD, l’AFD, anti-européenne, est passée de 7,1 à 11 et les Verts, de 10,7 à 20,5. L’extrême-gauche de Die Linke est passé de 7,4 à 5,4% tandis que le parti libéral FDP est passé de 3,4 à 5,4%. Dans les trois pays, la gauche est ainsi marginalisée. Pourtant, pas de Macron, ni au Royaume-Uni, ni en Allemagne !

Il faut donc que la classe politique de l’ancien système mis à terre accepte de voir la réalité nouvelle telle qu’elle est et de se positionner par rapport à elle : accepter la fin du clivage gauche/droite tel qu’il fonctionnait avec les partis d’hier et, puisque les électeurs semblent s’adapter à une nouvelle bipolarisation, voir comment les anciens partis peuvent se situer par rapport à elle d’une manière efficace. Même chose pour les écologistes qui eux, appartiennent au nouveau système.  Quant aux Gilets jaunes les plus radicaux, espérons qu’ils tireront de cette séquence la conclusion que les Français ne sont pas prêts à jeter par-dessus bord la démocratie représentative.

Enfin, concernant ceux qui reprochent à Macron de se situer essentiellement par rapport au Front national, outre qu’il est normal qu’un leader politique affronte en priorité son principal adversaire, un tel positionnement est d’autant plus légitime quand il a avec ce dernier un désaccord fondamental sur un enjeu d’une exceptionnelle importance, ici l’avenir de la construction européenne.