Asie : comment Obama veut contenir la Chine edit
À peine une semaine après le G20 à Cannes, dix des vingt dirigeants se sont retrouvés de l’autre côté du monde, à Honolulu, dans le cadre du sommet annuel du Forum économique Asie-Pacifique (APEC), en collaboration avec d'autres dirigeants du Pacifique. Les sommets de l'APEC sont généralement calmes et policés. Cette fois, cependant, l'APEC est devenu le théâtre de grands jeux diplomatiques, marquant une étape supplémentaire dans la rivalité stratégique croissante entre la Chine et les Etats-Unis. En effet, ceux-ci ont décidé de faire de l'APEC une plateforme pour leur réengagement stratégique en Asie, qui vise à faire pièce à la domination croissante de la Chine. Ce jeu pourrait bien être d'une importance capitale pour l'avenir de l'économie mondiale.
L'instrument des Etats-Unis dans cette grande stratégie est le Partenariat Trans-Pacifique (connu sous son acronyme anglais, TPP). Officiellement, le TPP est un effort volontaire par un groupe restreint de pays de l'APEC afin de créer une zone commerciale intégrant des dimensions sociales et environnementales. Il a commencé modestement il y a quelques années avec quelques pays clés, comme la Nouvelle-Zélande, le Chili et Singapour. Cependant, la version 2011 du TPP est une initiative de plus grande ampleur, désormais dirigée par les Etats-Unis et englobant neuf membres permanents : les Etats-Unis, l'Australie, Brunei, le Chili, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. À Hawaï la semaine dernière, dans un mouvement stratégique de haut enjeu dramatique, le Japon a rejoint ces membres (même s’il n’est qu’à mi-chemin d’une adhésion). Les membres du PTP ont lancé officiellement leurs négociations à Honolulu. La participation à ce jeu est soumise à des standards élevés. De plus, tous les membres actuels du TPP doivent approuver tout nouveau membre et ce membre doit encore attendre 90 jours avant de rejoindre le groupe.
Pourquoi les Etats-Unis font-ils pression pour le TPP en ce moment ? Il y a trois raisons principales, toutes liées à leur concurrence croissante avec la Chine. Tout d'abord, au niveau géopolitique, l'initiative du TPP marque un retour en force des Américains dans le jeu commercial mondial non pas pour faire du multilatéralisme mais du plurilatéralisme au moment où ils abandonnent toute idée de finaliser le Cycle de Doha. Mais cette initiative stratégique est en partie une réponse à la récente perte de contrôle graduelle des Etats-Unis dans la prolifération des accords de libre-échange dans le monde.
Deuxièmement, le TPP est une partie de la vaste offensive américaine en cours pour « repivoter vers l'Asie » (pour reprendre l'expression de la secrétaire d’État Hillary Clinton dans son récent article de Foreign Policy). Parallèlement à l'offensive du TPP, les Etats-Unis s'impliquent également davantage dans l'ASEAN et la question de la mer de Chine du Sud, ils rejoignent le Asia Summit (ASEAN + Chine + Corée + Japon + Inde + Australie, désormais rejoints par les États-Unis et la Russie) pour la première fois, et annoncent l'ouverture d'une nouvelle base permanente en Australie. En effet, entre 2000 et 2009, les États-Unis n’ont participé qu’au second rang aux progrès institutionnels et à l'intégration régionale en Asie. Le nombre d'accords de libre-échange en Asie de l'Est a grimpé de 3 à 54 au cours de cette période. Mais les Etats-Unis n’étaient impliqués que dans trois d’entre eux, plutôt petits, tandis que la Chine était l'intégrateur clé et que le Japon jouait un rôle secondaire important. La dernière décennie a ainsi vu la Chine remplacer les États-Unis comme partenaire numéro un pour la plupart des pays d'Asie orientale. Dans des pays comme le Japon et la Corée, les exportations chinoises ont bondi de 10% en 2000 à un niveau compris entre 22 et 30%. Le PTP est conçu pour ralentir ou inverser cette tendance. Il marque une volonté des États-Unis de participer davantage au boom économique de l'Asie et à la sphère politique de l'Est asiatique.
Et troisièmement, le TPP est plus qu'un instrument commercial. Il peut s'agir d'une tentative américaine de ralentir l'ASEAN + 3 (Japon, Corée, Chine), processus d'intégration régionale favorisé par la Chine, qui semble avoir gagné en vigueur ces dernières années. De façon spectaculaire, le Japon et certains pays clés de l'ASEAN, notamment la Malaisie, qui il n’y a pas si longtemps défendait avec acharnement l’idée que l'ASEAN + 3 reste purement asiatique, sont désormais revenus dans le giron américain. Les éditoriaux chinois sur le sommet de l'APEC n’ont pas manqué de souligner et de dénoncer cette stratégie des États-Unis.
Le sommet de l'APEC a vu un affrontement très direct entre le négociateur commercial chinois et Ron Kirk, le représentant au Commerce des États-Unis. Kirk a souligné que personne n'a été exclu du TPP, même si les pays devaient également faire des efforts pour y accéder. Mais la Chine a vite souligné le caractère exclusif du TPP, dont certaines dispositions semblent conçues pour l’exclure.
Une grande partie de l'attention juste avant et pendant le sommet de Hawaï portait sur le Japon, principale cible de l'effort d'élargissement du TPP en ce moment. Pourtant, dans le sillage de la catastrophe de Fukushima et face à la forte opposition des lobbies de l'industrie agricole et domestique, le Japon a été extrêmement réticent à rejoindre le TPP. Le Premier ministre Noda a reporté plusieurs fois son annonce, confronté à de profondes divisions au sein du Parti démocrate du Japon (PDJ). Les réformistes, au Japon, voient le TPP, non pas tant comme un instrument pour participer à une campagne d’équilibrage contre la Chine, mais plutôt comme une chance de continuer à déréglementer et à aider le Japon à retrouver la voie de la croissance. Ils sont également conscients du fait que les Etats-Unis attachent beaucoup d'importance au TPP et y voient une opportunité de remercier les Etats-Unis pour leur soutien dans le drame de Fukushima, et de reconstruire l'alliance américano-japonaise, après le profond désaccord sur les bases d'Okinawa. Cependant, cette nouvelle histoire d'amour américano-japonaise a eu un départ houleux, et ce dès leur lune de miel hawaïenne. Dimanche 13 novembre, après une déclaration des États-Unis affirmant que le Japon s'était engagé à rejoindre le TPP en promettant d'examiner tous les secteurs (y compris l'agriculture et les services), la partie japonaise a publié un démenti fort. Les Etats-Unis ont dû faire marche arrière et réduire la nature de l'engagement japonais. Cette mésaventure n’a pas fait de bien à la relation entre les deux pays.
Le jeu de rééquilibrage américain contre la Chine marchera-t-il ? Affectera-t-il l'équilibre du pouvoir économique en Asie, en ralentissant le processus d'intégration entre l'économie chinoise et le reste de l'Asie de l'Est ? À la marge, le TPP peut encourager certains flux de commerce et d'investissement entre les États-Unis et en Asie de l’Est. Il modifiera sans doute l’atmosphère dans des endroits comme le Japon. Mais au total, il ne semble pas de nature à modifier profondément les réalités sur le terrain, et ce pour deux raisons principales.
La première est que le noyau du dynamisme économique Asie de l'Est reste la Chine. Le Japon, la Corée, Taiwan, l'Australie et la plupart des pays de l'ASEAN ne se développent comme ils le font que parce qu'ils ont tourné leur économie vers la Chine et se sont intégrés dans le cadre chinois. Avec cette réalité à l'esprit, les pays d'Asie orientale peuvent accepter d’équilibrer leurs paris économiques grâce à un accord avec les Etats-Unis, mais ils ne sont pas susceptibles de le faire au détriment de leur intégration croissante avec la Chine. Une Asie de l'Est sans accord de libre-échange avec la Chine ne peut pas être convaincant. Les Indonésiens absents de Honolulu l'ont bien compris.
La deuxième réalité est que le régionalisme est-asiatique reste très dynamique. Même si nous ne voyons pas encore un marché commun ou de réels résultats institutionnels, le fait est que les interconnexions diplomatiques, universitaires, commerciales et celles de la société civile ont explosé au cours des cinq dernières années. Les think tanks, les milieux universitaires et les milieux politiques impliqués dans des discussions semi-diplomatiques (Track 2) accueillent un nombre croissant de rencontres entre dirigeants est-asiatiques.
De fait, seulement six jours après l'épisode du TPP de Honolulu, les dirigeants de la Chine, du Japon et de la Corée se sont réunis à Bali (en marge de la réunion ASEAN + 3) et se sont engagés à commencer à négocier un accord de libre-échange à trois pays… en commençant dès 2012 ! L'épisode du TPP pourrait bien annoncer une nouvelle ère de la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine. Car celle ci n'envisage pas de rester inerte.
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