Macédoine du Nord: les élections, les voisins et l’Europe edit

17 avril 2024

Le 24 avril et 8 mai prochains, les citoyens macédoniens sont appelés à voter pour élire leur président de la République et pour renouveler leur Parlement. Deux tours seront nécessaires pour savoir si Stevo Pendarovski, l’actuel président élu une première fois en mai 2019, soutenu par le parti social-démocrate (SDSM), sera confirmé pour un nouveau mandat de cinq ans ou si la candidate du parti nationaliste (VMRO-DPMNE), l’universitaire Gordana Siljanovska-Dakova, réussira à devenir la première femme présidente de la Macédoine du Nord. Un seul tour est prévu en revanche le 8 mai pour que 1 814 000 électeurs choisissent à la proportionnelle 120 parlementaires, vingt dans chacune des six circonscriptions du pays, pour une durée de quatre ans.

La coalition actuellement au pouvoir, formée principalement par le parti social-démocrate (SDSM) et le parti albanais Union démocratique pour l’intégration (DUI), avec quelques petits partis indispensables pour la stabilité de la majorité, cherchera à être reconduite pour la troisième fois de suite (après 2016 et 2020), même si les sondages indiquent le contraire. On se souviendra que la précédente législature avait été écourtée suite à la démission du Premier ministre d’alors, Zoran Zaev, déçu de ne pas avoir obtenu du Conseil européen d’octobre 2019 l’ouverture des négociations pour l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union européenne. Les membres du Conseil, le président Macron en tête, avaient considéré le pays encore insuffisamment préparé pour s’engager dans ce processus.

Une compétition serrée

Dix-sept partis politiques et coalitions sont engagés dans une campagne électorale qui devrait se dérouler dans des conditions démocratiques satisfaisantes, qu’il s’agisse de l’accès équitable aux médias, du financement des partis politiques et du déroulement du vote en lui-même, dans une région balkanique encore souvent peu respectueuse des critères de Copenhague. Un enjeu majeur sera la participation, car si l’on en croit les enquêtes d’opinion publique, le mécontentement est largement diffus et le gouvernement est jugé sévèrement : trois satisfaits sur di. Plus encore, seuls 17% souhaitent la reconduction de l’actuelle coalition et 70% des Macédoniens estiment que leur pays va dans la mauvaise direction.

Cependant la popularité du leader du principal parti d’opposition, Christian Mickoski (25,6%) ne promet pas un vote alternatif d’enthousiasme d’autant que demeure à l’issue du vote, l’inconnue de l’alliance que le VMRO, si victorieux, pourrait être amené à former faute de majorité absolue, avec l’une des deux coalitions des partis albanais : celle du « front européen » regroupant autour du DUI d’autres partis albanais (BESA, une partie d’Alliance) et des minorités (Roma, Turcs, Serbes, Bosniaques) et une coalition opposée (VLEN) regroupant les autres partis albanais critiques vis-à-vis du rôle et de l’attitude exercés par le DUI, au pouvoir sans interruption depuis 2008, d’abord avec le VMRO, puis à partir de 2016 avec les sociaux-démocrates.

Une histoire courte mais mouvementée

Depuis son indépendance  en 1991 (auparavant il était intégré dans la Yougoslavie), le pays a été le lieu de soubresauts ethniques ou politiques notables qui font aujourd’hui de la Macédoine du Nord une nation encore fragile, d’autant qu’elle patiente depuis 2005, date d’obtention de son statut de pays candidat aux négociations, pour entamer officiellement ce processus d’adhésion à l’UE. Quatre moments peuvent être considérés comme les fondements de la maturation démocratique de ce pays encastré dans une région turbulente. Les deux premiers concernent le système démocratique, les deux autres l’insertion régionale.

En premier lieu, l’accord d’Ohrid de 2001 est considéré comme un modèle pour la région, puisqu’il a mis fin aux affrontements ethniques entre la minorité albanaise (de l’ordre de 20% de la population macédonienne) et la majorité d’orthodoxes (slaves), qui permet à toutes les communautés de co-exister pacifiquement en assurant à la minorité albanaise droits et représentations adéquates et socialement acceptés.  

Il faut mentionner ensuite l’accord politique de Przino de 2015, mettant fin aux affrontements entre les deux principaux partis politiques et signant le début de la fin du régime nationaliste de Nikola Gruevski, du nom de l’ancien Premier ministre VMRO (2006-2016) à l’issue d’un immense scandale d’écoutes téléphoniques et condamné depuis pour corruption notamment, mais qui préalablement s’était enfui en Hongrie trouvant grâce à Viktor Orban un facile asile politique. Cet accord continue d’impacter les campagnes électorales dont l’actuelle.                

Les partis politiques s’étaient accordés pour que lors de chaque élection parlementaire, cent jours avant le scrutin, le Premier ministre démissionne et confie son poste à un collègue de sa majorité, et que le ministère de l’Intérieur et le ministère du Travail et des Affaires sociales soient attribués à des membres de l’opposition, comme également certains postes de vice ministres ou secrétaires d’Etat. Il s’agit de cette manière de minimiser les risques de captation politique (d’achats de vote en particulier) et de maximiser l’impartialité dans l’organisation de la campagne et le jour du vote. Pourtant la mise en place d’un tel système ne se déroule pas sans controverses, sans déclarations contradictoires entre membres du même gouvernement voire de décisions isolées prises sans coordination, puis annulées dans un second temps par la majorité. Cette année encore, le bon déroulement de la campagne permettra de savoir s’il convient de supprimer cette particularité macédonienne en fortifiant les mécanismes contrôlant les processus électoraux.                 

Des enjeux internationaux

L’importance de ces élections se trouve cependant ailleurs, dans les conséquences internationales que le résultat peut engendrer selon le vainqueur. Sans négliger les facteurs endogènes et en particulier la corruption, un État de droit encore fluctuant et une économie fragilisée par l’exode des jeunes, la trajectoire européenne de la Macédoine du Nord a principalement été ralentie par deux de ses voisins, la Grèce et la Bulgarie, qui lui contestent des éléments de son identité nationale. Certes, l’histoire millénaire complexe de cette presqu’île nous donnerait bien des clefs d’interprétation, mais qu’il s’agisse du long blocage par la Grèce en raison du choix de se dénommer Macédoine (comme l’historique région au nord de la Grèce) ou des arguments historiques très discutés avancés par la Bulgarie (la langue, la composante bulgare originaire du pays, la protection de la minorité bulgare, l’interprétation de son histoire et de ses héros, etc.), le pays semble poursuivre une trajectoire accidentée aux perspectives proches incertaines.

L’accord bilatéral dit de Prespa, signé en juin 2018 par deux hommes politiques jeunes, sociaux-démocrates, pro-européens, déterminés et courageux, le Grec Alexis Tsipras et le Macédonien Zoran Zaev, après des années de négociations sous l’auspice des Nations-Unies et avec le soutien de l’Union européenne, a permis de débloquer, après une vingtaine d’années, une situation entre les deux pays où même les passages aux frontières semblaient suspects et l’ignorance réciproque entre les deux peuples, étonnante. Les deux Premiers ministres ont payé le prix de leur courage politique et ne sont plus aux manettes aujourd’hui, mais leur contribution pour arracher cet accord est historique. Il n’a été possible qu’avec l’acceptation par le gouvernement de Skopje de changer constitutionnellement le nom du pays en janvier 2019, après un référendum et par un vote parlementaire des 2/3 aux forceps et « au prix » de longues tractations politiques et internationales. Une épreuve, considérée par beaucoup comme humiliante même si nécessaire, qui a de fait ouvert la voie pour devenir membre de l’OTAN en avril 2020. Mais pour l’Union européenne, c’était s’affranchir trop vite de l’Histoire.

Précédemment à cet accord macédonien-grec, un traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec la Bulgarie avait été signé en août 2017 pour améliorer les relations entre les deux Républiques. La situation a cependant dégénéré à Sofia lors des élections législatives en 2021, principalement en raison de la situation politique interne à la Bulgarie et à la concurrence au sein de la coalition au pouvoir entre le parti conservateur (Gerb) et le parti nationaliste (Les Patriotes Unis). En Bulgarie comme en Grèce, les partis nationalistes instrumentalisent à bon compte la question macédonienne, pour nier son existence, ou tout au moins imposer leurs conditions à son émancipation et ainsi satisfaire des électorats nationaux fragilisés. La fragmentation et les fluctuations de la scène politique bulgare, comme en témoigne la chute de la coalition dirigée par Nikolai Denkov et l’organisation prochaine de nouvelles élections parlementaires, les sixièmes depuis avril 2021, indiquent combien certaines garanties obtenues après de longues négociations pour lever son veto pourraient ne pas suffire sur le long terme.        

Le défi bulgare

Et c’est justement en cela que les élections macédoniennes peuvent faire trembler tous ceux en Europe qui imaginent que la Macédoine du Nord, ayant assimilé avant même d’avoir entamé les négociations plus de 45% de l’acquis communautaire, serait en mesure de satisfaire l’ultime obligation imposée par son voisin oriental. En effet, dans les derniers jours de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, la France avait arraché un accord à la Bulgarie, qui acceptait de lever son veto à l’endroit de la Macédoine du Nord pour que celle-ci puisse ouvrir formellement les négociations – mais à la condition de modifier sa Constitution. Il était demandé à la Macédoine du Nord d’intégrer dans son préambule que les Bulgares étaient également un peuple constitutif de la nation macédonienne. Or, comme avec le précédent grec, cet ajout constitutionnel nécessite un vote des deux tiers  au Parlement. Déjà opposé au premier changement constitutionnel, considéré comme un diktat inacceptable, le parti d’opposition macédonien, VMRO-DPMNE, n’a cessé de réitérer qu’il n’aiderait pas le gouvernement à voter cette réforme, bloquant de facto la suite européenne du pays. Aujourd’hui encore, les principaux dirigeants de l’opposition, en position de gouverner le pays dans deux mois, estiment impossible d’accepter le diktat bulgare.

L’inquiétude s’amplifie, lorsque l’on observe que depuis l’accord de Prespa, tout au long de ces années, à aucun moment le leader du VMRO-DPMVE et ses leaders n’ont prononcé publiquement le nouveau nom officiel de « Macédoine du Nord » se limitant systématiquement à celui de « Macédoine ».

Ce qui passait quelque peu pour une posture politique domestique pourrait cependant relancer de très sérieuses tensions également avec la Grèce, puisque la Cour suprême de Grèce vient de dénoncer publiquement début avril le non-respect de l’accord de Prespa par des représentants macédoniens lors de conférences internationales. Avec le refus de toute nouvelle modification de la Constitution sous « diktat bulgare », les élections macédoniennes pourraient se révéler à risque si le parti nationaliste VMRO-DPMNE persévère dans son intransigeance, dans l’hypothèse de son installation au gouvernement. L’éventuel maintien du président Pendarovski à la tête de la République ne suffira peut-être pas pour stabiliser un pays dont la population ne demande qu’à faire partie de l’Union européenne, encore aujourd’hui, le plus rapidement possible.