La réforme de l’assurance chômage: du chiffre et du fond edit

19 juin 2019

Les annonces du Premier ministre le 18 juin concernant les orientations de la réforme de l’assurance chômage témoignent d’une prise en main forte par l’exécutif de ce domaine de la protection sociale. Une telle prise en main est légitime. Certaines de ces annonces, d’ailleurs anticipées suite à de nombreuses interventions publiques de l’exécutif, sont des réponses à des dysfonctionnements du régime. D’autres répondent davantage au seul souci d’économies dans les dépenses d’indemnisation, voire d’affichage social, au risque de nourrir le sentiment d’une rupture du contrat social.

Le gouvernement avait demandé fin 2018 par une lettre de cadrage aux partenaires sociaux de renégocier la convention d’assurance chômage, afin entre autres objectifs de revoir les règles de cumul entre indemnisation et revenus d’activité, de construire les modalités d’un moindre recours aux contrats courts et de dégager des sources d’économies de dépenses de 1 à 1,3 milliard d’euros par an sur les trois prochaines années. Ceci pour contribuer à réduire l’endettement de l’Unédic qui s’élève actuellement à environ 35 milliards d’euros. Cette dette bénéficie de la garantie de l’État, et donc des très bas niveaux de taux d’intérêt de la dette publique. À ce titre, le gouvernement avait évoqué la possibilité de reprendre la main, ce qui parait légitime, si les résultats des négociations entre les partenaires sociaux se révélaient insuffisants. Après plusieurs rencontres et un prolongement de la période des négociations, ces dernières se sont soldées par un échec. Le gouvernement a donc repris la main, et de façon déterminée, comme en témoignent les annonces du Premier ministre accompagné de la ministre du Travail.

Lutter contre les contrats courts

Une première annonce, sans doute la plus forte, vise à lutter énergiquement contre les contrats courts. Elle prévoit l’instauration d’un bonus-malus dans cinq à dix des branches d’activité qui y recourent le plus, comme par exemple l’hébergement et la restauration, et d’une sur-cotisation forfaitaire de 10€ sur chaque CDD d’usage. Cette première annonce, qui a suscité les protestations virulentes du MEDEF, va pourtant dans la bonne direction pour de nombreux observateurs. Comme cela a été détaillé dans un précédent billet, les contrats courts contribuent de façon non négligeable au déficit de l’assurance chômage, et surtout ils contribuent à enfermer les actifs concernés dans des situations de précarité souvent durables. Avec la Belgique, la France serait le pays européen dans lequel le recours aux contrats courts serait le plus élevé : ils y représentent environ 2,5 % de l’emploi salarié contre moins de 1 % dans la zone euro ou dans l’Union européenne.

Pour autant, l’annonce faite soulève diverses interrogations. Tout d’abord, pourquoi avoir limité à certaines branches la mise en place du bonus-malus ? Le bâtiment, la santé ou les intermittents du spectacle y échappent, pour des raisons politiques que l’on peut deviner, mais sans justification économique réelle. Cette approche sectorielle n’est pas une surprise, mais une autre approche plus généralisée aurait semblé légitime. Si le recours aux contrats courts est nocif, il faut en dissuader toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité… Par ailleurs, le bonus-malus est l’un des divers dispositifs envisageables pour dissuader financièrement le recours aux contrats courts. Aucun de ces dispositifs n’est parfait et chacun présente des avantages et inconvénients. Le bonus-malus bénéficie d’une certaine aura peut-être en partie du fait qu’il est en usage aux États-Unis. Mais il y a été instauré à une époque déjà ancienne et ne paraît pas bénéficier actuellement d’avantages marqués vis-à-vis d’autres options. Il présente en effet au moins deux défauts majeurs, outre sa complexité : le taux de cotisation n’y est pas lié au comportement immédiat de l’entreprise mais à celui des années antérieures, ce qui affaiblit sa vertu incitative, et il peut aboutir à des effets dits de « sélection adverse », les entreprises se défiant davantage des actifs les plus éloignés de l’emploi, ce qui renforcerait les difficultés de ces derniers. D’autres options existaient, comme par exemple un taux de cotisation dégressif selon la durée de l’emploi, comme proposé par Bruno Coquet (par exemple dans Un avenir pour l’emploi (Odile Jacob, 2017). Ce dispositif est uniforme mais aussi de ce fait simple pour tous les acteurs, et son effet est immédiat et non décalé.

Symétriquement à ces mesures visant à lutter contre l’appétence de certaines entreprises à utiliser les contrats courts, le Premier ministre a annoncé que les règles de calcul des indemnités seront revues et basées désormais sur le revenu mensuel moyen, afin d’éviter des taux d’indemnisation parfois élevés, voire dépassant (fréquemment, pour plus de 20% des chômeurs selon la communication du ministère du Travail) le salaire en activité pleine. En effet, les règles de cumul des indemnités et des revenus d’activité sont actuellement favorables, même après la réforme d’avril 2017. Plusieurs syndicats de salariés se sont élevés contre cette annonce, au titre que ce sont des actifs fragiles et précaires qui feront les frais de ce changement. On peut s’en étonner : les partenaires sociaux se sont montrés bien conscients de l’incitation à l’enfermement dans la précarité que les règles d’indemnisation actuelles peuvent créer dans un accord national interprofessionnel (ANI) sur l’assurance chômage conclu le 22 février 2018. Il y est écrit qu’il faut en ce domaine « éviter les logiques d’optimisation tant des employeurs que des employés ».

Dégressivité et mesures de rendement

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé une dégressivité des allocations chômage, au bout du septième mois et pour les ex-salaires supérieurs à 4500€ par mois. Ce choix n’a pas de réelle justification économique. En effet, la population concernée est en moyenne plus rarement au chômage que les autres actifs et de ce fait son effort contributif dépasse largement les prestations reçues ; autrement dit, elle « subventionne » déjà l’assurance chômage. La référence parfois faite à d’autres pays où les plafonds d’indemnisation sont assez bas n’est pas pertinente : dans ces pays, les contributions sont généralement elles aussi plafonnées, en relation avec les droits à indemnisation. Cette dégressivité répond peut-être au souci d’affichage de « prendre aux riches », ici les chômeurs les mieux indemnisés. Mais ce choix apparait injuste, les salariés dont les droits seront abaissés ayant déjà un effort contributif net positif. Il est sans doute perdant : il donne crédit à ce type de mauvaises réponses, et il y a fort à parier qu’il provoquera une déception dans la population des cadres sans pour autant donner satisfaction à ceux qui demanderont toujours d’autres gestes du même type.

Plusieurs autres mesures annoncées visent le rendement, c’est-à-dire à faire des économies sans nécessairement d’efficacité attendue en termes de chômage effectif. Ainsi, il faudra avoir travaillé 6 moins sur les derniers 24 mois et non plus 4 mois sur les derniers 28 mois pour accéder à l’assurance chômage. Les conditions de rechargements des droits à indemnisation seront également durcies : il faudra avoir travaillé 6 mois au lieu d’un pour voir son indemnisation prolongée d’autant. Le principe des droits rechargeables avait été proposé par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Il visait à éviter les possibles comportements stratégiques de chômeurs refusant des offres d’emploi pour ne pas voir réinitialisés à zéro leurs droits à indemnisation. Ces comportements stratégiques seront donc moins désincités.

Pacte social

La réforme annoncée du régime d’assurance chômage va dans la bonne direction. Avec d’autres réformes déjà décidées (ordonnances travail, fiscalité du capital, formation professionnelle…) et d’autres qui restent à concevoir et engager (réforme de l’État, de l’éducation, du salaire minimum,…) elle contribuera à un meilleur fonctionnement de l’économie française et à la baisse du chômage encore massif que nous connaissons, alors qu’une très grande majorité des pays développés est au plein emploi.

Pour autant, certaines des dispositions de cette réforme brouillent la carte de l’organisation de la protection sociale. Peut-on encore parler d’assurance chômage ? Parmi d’autres aspects, la dégressivité annoncée des prestations chômage au-dessus d’un certain seuil nous éloigne d’une logique assurantielle, de même que la décision de transférer les cotisations chômage des salariés vers la CSG… Outre que le paritarisme dans la gestion de l’assurance chômage est maintenant une illusion de façade, la logique de la gestion de ce risque chômage a été transformée sans une réelle réflexion en amont sur cette mutation. Au-delà, certains changements comme l’allongement des conditions requises pour bénéficier d’une indemnisation ou la dégressivité de ces dernières pour les cadres peuvent aussi être perçus comme une autre mutation, celle d’un certain pacte social. Ici encore, sans réflexion plus globale en amont sur l’objectif visé. Si l’ancien pacte n’est plus soutenable, encore faut-il connaître la logique du nouveau pacte vers lequel on se dirige.