Après Biarritz, quel avenir pour le G7? edit

23 septembre 2019

Le sommet du G7, tenu fin août à Biarritz, a donné lieu à une intense médiatisation dans l’Hexagone (la presse internationale en a rendu compte avec plus de sobriété). L’événement a suscité des commentaires louangeurs sinon enthousiastes, y compris de la part d’analystes pas toujours portés au panégyrique de l’action diplomatique du président Macron. Certains se sont plu à souligner le retour gagnant de le France sur l’échiquier mondial, en ligne avec le « pitch » du président Macron à Davos (« La France est de retour »), ce qui sous-entend qu’elle avait un temps disparu de la carte du monde.

La théâtralisation attire naturellement la critique. Ainsi l’image accréditée d’une conversation informelle, « au coin du feu », entre chefs d’État et de gouvernements cadre mal avec le caractère un peu surréaliste de la logistique déployée : 2000 journalistes accrédités, une ville pratiquement en état de siège, un dispositif de sécurité qui fera sans doute désormais référence dans l’organisation des sommets internationaux.

Ensuite, la polémique orchestrée avec le président brésilien Bolsonaro, saluée comme un joli coup médiatique, s’est finalement retournée contre son initiateur et indirectement le G7. L’ingérence « climatique » est un concept diplomatique encore prématuré (la question  finira bien par se poser) ; l’aumône dérisoire de 20 millions d’euros (moins que le prix d’un Canadair !) proposée au Brésil a pu être à juste titre considérée comme une marque provocante de paternalisme de la part des pays riches. Enfin, si le système de présidence tournante du G7 (comme du G20)  incite tout gouvernement en place à mettre en scène son rôle éphémère de « maître du monde », le risque est de détourner trop visiblement un sommet international en opération interne de communication politique.

Il y a sans doute quelques aspects positifs. Des commentateurs ont salué le coup diplomatique de la visite « surprise » du ministre iranien des Affaires étrangères, dont l’avenir dira s’il était utile. Le focus sur la forêt amazonienne a permis de mettre opportunément en évidence la préoccupation prioritaire du danger climatique et de relancer les messages de la Cop21 dont les États-Unis se sont retirés. Un argument fréquent est aussi que le G7, bien que moins légitime et représentatif, reste un forum utile et qu’un trop-plein de réunions internationales ne peut pas faire de mal dans un monde conflictuel.

Il reste que l’accent mis sur les questions diplomatiques climatiques aura eu comme premier résultat d’occulter largement les quelques thèmes économiques et financiers discutés lors de la réunion des ministres des finances et gouverneurs à Chantilly le 19 juillet, en préparation du sommet de Biarritz. Sur ces sujets, la déclaration finale signée des chefs d’État et de gouvernements n’a conservé qu’un court et unique paragraphe  « Commerce » se résumant - on peut le comprendre - à quelques bonnes intentions (« Le G7 est attaché à un commerce international ouvert et juste et à la stabilité de l’économie mondiale. »). Le sujet des « inégalités », mis en exergue à Chantilly sous le thème édifiant d’un « capitalisme plus juste », a été quant à lui relégué dans une annexe incantatoire et vide de toute proposition concrète.

Les pays du G7 représentent aujourd’hui encore 45 % du PIB mondial (contre 80 % pour le G20), mais à peine 10 % de la population du globe (66 % pour le G20). Ces chiffres suffiraient à démontrer que le G7 souffre d’un grave déficit de représentativité et donc de légitimité et qu’il ne peut souffrir en prime du ridicule de s’ériger - même le temps d’un week-end - en directoire du monde. A tout le moins, le G20 rehaussé au niveau des chefs d’État ou de gouvernement en 2008, apparaît d’ores et déjà comme un forum plus représentatif et légitime, même si le continent africain y est très sous-représenté.

Mais au-delà des questions de représentativité et de légitimité, se pose celle de l’allocation des compétences. Un paradoxe est que les pays du G7 se saisissent de questions « onusiennes », comme le réchauffement climatique, les crises militaires ou les équilibres géopolitiques, qui les dépassent largement et concernent tout autant les 90% de la population non membres du club. Ils se détournent en revanche de thèmes sur lesquels ils disposent a priori d’un avantage comparatif peu contestable. Ainsi, alors qu’ils concentrent près 90 % des transactions financières, une part sans doute équivalente de la richesse patrimoniale de la planète, gèrent les principales monnaies internationales représentant 90 % des réserves de change mondiales et jouissent d’une influence prépondérante au sein des organes établissant les règlementations bancaires et financières, les pays du G7 s’interdisent de parler des sujets liés à la coordination des politiques économiques, au système monétaire international, à la stabilité financière.

Il y a essentiellement deux raisons à cela. La première a trait à la crise du multilatéralisme. Comment discuter utilement de thèmes potentiellement conflictuels, ce qui est le cas des sujets évoqués plus haut, si l’un des protagonistes, avant, pendant ou juste après un sommet, se livre à des déclarations unilatérales ( concernant par exemple la manipulation supposée des taux de change ou l’annonce de nouvelles mesures protectionnistes) contradictoires avec les intérêts de ses partenaires ou avec leurs déclarations communes ? Particulièrement dans les domaines économiques et financiers, la crédibilité du G7 (et de la présidence en charge) impose donc de s’en tenir prudemment à des thèmes sinon totalement consensuels, en tous cas bien balisés.

La seconde raison réside dans la composition du G7, qui nous renvoie la photo de famille du premier sommet de 1975 à Rambouillet (à l’époque G6, le Canada l’ayant rejoint un an après), comme si les rapports de force économiques étaient restés figés, les flux internationaux de capitaux n’avaient pas été multipliés par six, la Chine était encore assoupie ou les principales économies d’Europe continentales géraient encore des monnaies distinctes. Quelle est par exemple la pertinence de discussions sur le commerce international excluant les principaux acteurs émergents, en particulier la Chine (l’OMC n’étant en outre pas associée) ? Comment évoquer utilement les questions liées au système monétaire et financier international, aux politiques de change, au sein d’un groupe où figurent trois pays de la zone euro, mais pas la Chine ?

Le sommet de Biarritz a illustré l’embarras du G7 au sujet de l’étroitesse de sa propre composition. La présidence française a ainsi invité une dizaine de pays avancés (Espagne et Australie) ou émergents (Inde, Chili, Afrique du Sud, Burkina Faso, Rwanda...) dont certains sont membres du G20, d’autres non, selon des critères peu explicites et sans qu’ils aient d’ailleurs accès aux discussions proprement dites. Cette sélection discrétionnaire de quelques heureux élus conviés à la table des pays riches, au gré des présidences tournantes, n’est ni une bonne manière faite à d’autres, ni la meilleure façon de conforter le G20 ; elle ne contribue pas à clarifier une gouvernance mondiale devenue peu lisible.

Le G7 n’est clairement pas légitime pour traiter des questions globales qui devraient en principe ressortir d’institutions à vocation universelle, (ONU, FMI, OMC) si elles n’étaient pas paralysées par la lourdeur de leur gouvernance et de leur fonctionnement. Le G20, dont la création traduisait un aveu d’impuissance au regard de ces institutions, offre sans doute aujourd’hui le meilleur compromis pour discuter des sujets d’intérêt pour l’économie mondiale, à condition d’améliorer sa représentativité (notamment en faveur de l’Afrique) et d’éviter la routine qui menace tous les forums internationaux. Cependant le G20 n’est sûrement pas le cadre de discussion approprié pour traiter des crises géopolitiques. L’expérience a aussi montré que les responsables des grandes zones monétaires sont réticents à évoquer dans ce cadre les questions relatives aux politiques de change et plus généralement au système monétaire et financier international.

C’est peut-être ici que le G7, en complémentarité avec le G20, aurait encore son mot à dire, compte tenu de sa position encore très dominante dans les transactions monétaires et financières internationales et des responsabilités qui en découlent. Cela implique d’y intégrer la Chine, dont le poids monétaire et financier va devenir prépondérant aux niveaux régional et international. Cela suppose aussi d’en rationaliser la composition, les autorités économiques et monétaires de la zone euro ayant vocation à se substituer aux trois membres européens actuels non dépositaires d’une autorité monétaire. Devenu G3 (ou G4 avec le Royaume Uni), ce forum, plutôt que de s’approprier des thèmes qui le dépassent, pourrait ainsi se concentrer sérieusement sur ceux qu’aucun autre forum n’est aujourd’hui susceptible de traiter, en liaison avec les organisations financières internationales. Cette mue comporte naturellement un coût, qui est pour les membres européens le sacrifice de leur présence dans un club encore prestigieux bien qu’anachronique. Comme souvent, ce sont eux qui ont la clé pour débloquer la situation et favoriser une meilleure coopération entre les grandes zones économiques et monétaires du globe.