La Russie imaginaire de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon edit

25 juin 2021

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon s’affichent souverainistes et patriotes. Si l’on estimait que le clivage politique qui tend à s’imposer aujourd’hui est celui oppose les partisans de l’ouverture au monde à ceux de la fermeture sur l’espace national, il paraîtrait logique de classer ces deux personnages parmi les partisans de la fermeture. Ce serait une erreur. Ce qui les oppose, l’un comme l’autre, aux autres dirigeants politiques français est leur préférence pour les régimes autoritaires et d’abord pour la Russie poutinienne, une Russie que chacun revisite au prisme de son imaginaire politique.

Le dictateur préféré de nos deux patriotes est en effet Vladimir Poutine. Marine Le Pen, développant en mai dernier son programme en matière de politique extérieure, a déclaré qu’elle voulait « rétablir des relations normales avec la Russie ». Allant plus loin, elle entend changer la politique étrangère de la  France. Affirmant que la France, qui est un grand pays, doit avoir « sa propre diplomatie », elle souhaite qu’elle quitte le commandement intégré de l’OTAN, déplorant que cela provoque « des tensions avec plusieurs partenaires internationaux » (c’est-à-dire en réalité la Russie ). Elle y voit la conséquence de « notre soumission diplomatique à l’Union européenne ». Plaidant pour  un rapprochement avec la Russie, elle affirme : « Je ne considère pas qu'il y ait aujourd'hui une bonne raison pour maintenir des sanctions. » Déjà, en 2018 elle déclarait : « Beaucoup de gens, parce que l'Union européenne a souhaité la mettre de côté, pensaient que la Russie c'était encore l'URSS. La Russie n'est pas l'URSS, c'est un grand pays moderne et sûr. » Quand on lui avait demandé si Vladimir Poutine était un leader démocrate, elle avait répondu : « Oui, moi je pense que la Russie est une démocratie ». Le mois dernier, interrogée sur ce qu’elle pensait du détournement de l’avion qui transportait l’opposant biélorusse Roman Protassevitch par le dictateur Alexandre Loukachenko, soutenu par Poutine, et de son arrestation à son arrivée à Minsk, elle a déclaré : « C'est une violation grave du droit international. Il est légitime que les condamnations pleuvent sur cet acte inadmissible », ajoutant cependant : « Oui, il faut le relâcher... s'il a été arrêté ; je ne connais pas le dossier. (...) S'il n'a rien d'autre à se reprocher que des opinions politiques oui, bien sûr ». Quand, en avril dernier, on avait demandé au n°2 du RN, Jordan Bardella, s’il fallait libérer Alexeï Navalny, il avait répondu : « Je ne me mets pas à la place de la Justice, je ne fais pas de l'ingérence, je ne m'ingère pas dans la vie d'un État étranger ». Ajoutant : « M. Navalny a un contentieux éminent avec la Justice, en lien aussi avec une entreprise française ». Mais il est vrai qu’il s’agissait alors de la Russie et non de la petite Biélorussie. Ajoutons que Marine Le Pen a attendu que Poutine reconnaisse, tardivement, l’élection de Joe Biden pour la reconnaître à son tour.

Marine le Pen n’est pas le seul dirigeant politique français à préférer Poutine à Biden. C’est également le cas de Jean-Luc Mélenchon. Développant en novembre dernier son « programme pour la défense nationale », le chef des insoumis déclarait au journal l’Opinion : « Les Russes sont des partenaires fiables alors que les Etats-Unis ne le sont pas. Cessons de nous rabâcher que nous avons des valeurs en commun avec les Nord-Américains ! Ce n’est pas vrai que nous défendons les mêmes principes. » Concernant l'OTAN, il estimait que « nous n'avons rien à y faire », jugeant qu'il s'agit d'« une alliance incertaine ». Il faut donc  selon lui « sortir de l'OTAN et refuser la participation de la France à toute alliance militaire permanente à l'exception des opérations de maintien de la paix sous égide de l'ONU ». En décembre 2015, il proposait que la France conclue une « alliance militaire altermondialiste » avec les BRICS (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud). Dans son programme, une telle alliance est maintenue, mais n’est plus explicitement qualifiée de « militaire ».

À la veille des élections européennes de 2019, Mélenchon déclarait que la France avait « intérêt à avoir des députés qui ne participeront pas à l’hystérie antirusse et pro-OTAN qui sévit au Parlement européen ». « La peur des Russes est absurde, ajoutait-il. Ce sont des partenaires naturels », dénonçant  la « paranoïa russophobe » d'Emmanuel Macron. Il estimait que l’éventuelle adhésion de la Géorgie à l’OTAN était une « provocation grossière et stupide » à l’égard de Moscou, se plaçant ainsi sur les positions russes. En octobre dernier, le Premier ministre de Géorgie, Giorgi Gakharia écrivait pourtant : « La Géorgie fait face aux menaces régionales propres aux enjeux de sécurité de la région de la mer Noire au sens large. Moscou utilise aujourd’hui des instruments et des tactiques hybrides multiples et variés dans des pays de toute la région. L’objectif est simple : exercer un contrôle sur leur politique étrangère et de sécurité, maintenant ces nations dans un état de non-alignement ou d’insécurité entre Russie et Occident. À cette fin, la Russie a déployé sa force militaire, ciblé le cyber espace, s’est engagée dans une guerre d’information, pratique une diplomatie coercitive, cherche à manipuler des conflits territoriaux, exploite les vulnérabilités énergétiques de la région, utilise des outils économiques, perturbe des infrastructures essentielles et met en œuvre de nombreuses autres tactiques hybrides ».

Récapitulons : Poutine combat par tous les moyens son opposition interne et considère comme des adversaires la France ses alliés et, en particulier, l’Union Européenne. À l’intérieur, il vient de déclencher son offensive finale contre le camp Navalny. Le 26 avril dernier, la justice a ordonné la suspension des activités des « QG Navalny », le principal relais sur le terrain du combat politique d’Alexeï Navalny. Le lendemain, c’est l’autre organisation-phare du camp Navalny, le Fonds de lutte contre la corruption (FBK), qui a été visée par une suspension similaire. Le Parquet accuse ces structures de chercher à « créer les conditions de la déstabilisation de la situation sociale et sociopolitique » en Russie, « sous couvert de slogans libéraux ». Navalny, dont l’étant de santé demeure très inquiétant, est toujours enfermé.

À l’extérieur, la Russie est fortement soupçonnée d’être à l’origine de cyberattaques qui depuis plusieurs années touchent des administrations et entreprises françaises via la société de logiciels Centreon et d’ingérences dans les élections aux États-Unis et en  France.

La récente crise dans le Donbass, occupé par les séparatistes pro-russes aidés par des milices armées par Moscou, montre que la Russie n’acceptera jamais d’avoir perdu son contrôle sur l’Ukraine dont elle a déjà annexé la Crimée. Poutine refuse de négocier avec l’Ukraine sur le Donbass et entend maintenir les « Républiques du Donbass » hors de l’Etat ukrainien.

La Russie défie la France au Sahel et, plus largement, en Afrique où les mercenaires de la société paramilitaire Wagner, proche du Kremlin et du GRU, les services de renseignements militaires russes, sont devenus l’une des principales forces en présence. Au Tchad, les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde (FACT) ont récemment bénéficié de l’aide de ces mercenaires dans leurs affrontements avec l’armée. Au Sahel, la Russie « cherche à s’imposer, à s’infiltrer dans les interstices et toujours à nous discréditer» a récemment dénoncé Florence Parly, la ministre des Armées. En 2019, Bamako a signé un accord de défense avec la Russie, qui a ouvert la porte aux paramilitaires de Wagner.

La politique du Kremlin en Afrique prend appui en République centrafricaine où la Russie a littéralement remplacé la France en tant que puissance étrangère dominante. Elle a chassé l’ancienne puissance coloniale française en assurant la formation de l’armée et de la garde présidentielle, la sécurité des institutions et celle des mines d’or et d’argent en échange d’une part des revenus. Les mercenaires de Wagner se sont installés dans la plupart des pays africains. Au Soudan, en Angola, en Guinée, au Mozambique, en Afrique du Sud, au Congo… Moscou a signé des accords de coopération avec une vingtaine de pays du continent.

Telle est la Russie de Poutine que Marine Le Pen qualifie de pays moderne, sûr et démocratique et que Jean-Luc Mélenchon considère comme un partenaire plus fiable que les États-Unis. Drôles de patriotes que ces deux personnages, et drôles de démocrates !