Dissolution, une décision dangereuse edit
La décision du président de dissoudre l’Assemblée nationale, en réaction au triomphe du Rassemblement national et à la déroute de la majorité présidentielle aux élections européennes, est stupéfiante et dangereuse. Certes, dans cette nouvelle situation politique, gouverner serait devenu de toutes manières pour lui extrêmement difficile au cours des trois années qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle. Mais n’y avait-il pas d’autres solutions ? Celle choisie par le président me paraît en tout cas la pire possible pour notre pays comme pour l’Union européenne.
Tout est parti de la volonté du président de diriger la campagne des élections européennes. Son engagement personnel croissant dans cette campagne ne pouvait empêcher qu’une défaite de son camp soit d’abord la sienne. Or, cette défaite était probable compte tenu de son impopularité persistante, de la faible notoriété de la tête de liste et de l’isolement du camp macroniste. Une fois survenue – en réalité une déroute – elle l’a poussé, dans sa propre logique, à poursuivre son mano a mano avec le RN, après le triomphe de ce dernier, en dissolvant l’Assemblée et en annonçant qu’il conduirait lui-même la bataille législative.
Le président espère constituer un front électoral anti-RN. Mais cette idée n’est pas réaliste. Le mode de scrutin actuel majoritaire à deux tours augmente les chances du RN d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée compte tenu à la fois du niveau très élevé de l’électorat d’extrême-droite dans la grande majorité des départements et de la faiblesse des macronistes. En outre, ce mode de scrutin empêche toute recomposition du paysage politique dans la mesure où la gauche tentera de se réunir pour sauver ses sièges, rendant obsolète dès le départ la tentative de Glucksmann d’organiser un centre-gauche autonome et immobilisant la droite LR, qui, écartelée entre le RN et le centre, ne pourra que refuser de se prononcer pour une quelconque alliance. Seule la proportionnelle aurait pu, en offrant aux différents partis une autonomie stratégique, faciliter une recomposition. Encore aurait-il fallu l’adopter bien en amont pour qu’elle puisse produire ses effets. Dans ces conditions, l’idée d’un front anti-RN qui pourrait inverser la tendance ne paraît pas sérieuse dans la mesure où rien n’a été fait depuis 2022 pour l’organiser.
Emmanuel Macron commet une erreur capitale, celle d’avoir hier « nationalisé » le résultat des européennes. En annonçant la dissolution de l’Assemblée réclamée quelques minutes plus tôt par le RN, il a réduit ces élections européennes à des élections nationales, reconnaissant ainsi que sa majorité relative à l’Assemblée n’avait plus de légitimité pour gouverner le pays. Il a occulté la dimension proprement européenne, qu’il avait pourtant mise en avant auparavant, et reconnu que la victoire du RN l’obligeait à « donner la parole au peuple ». Du coup, il a contribué au premier chef à faire de ces élections européennes des élections nationales, s’interdisant d’élargir son champ de vision en commentant la victoire importante de la majorité europhile au Parlement européen.
En organisant les législatives dans la foulée des européennes, alors que le RN a le vent en poupe, il facilite le transfert des voix du RN des européennes aux futures législatives. En outre, voulant diriger la campagne, il risque fort de faire de celles-ci non pas un combat entre pro et anti RN mais un référendum pour ou contre lui-même. N’aurait-il pu attendre le vote éventuel – mais pas certain – d’une motion de censure pour dissoudre puis attendre ensuite l’éventuelle formation d’une nouvelle majorité, frontiste – pas certaine non plus – plutôt que de prendre le risque réel de devoir nommer au lendemain de ces élections anticipées, c’est-à-dire à quelques jours de l’ouverture des jeux Olympiques, Jordan Bardella à Matignon ? En outre, sa décision ne peut que jeter le trouble et inquiéter au plus haut point les députés sortants macronistes dont il est probable qu’une grande partie d’entre eux sera battue et qui devront tenter de supporter seuls les assauts d’un RN combattif et bénéficiant d’une dynamique très positive.
À cela s’ajoute la question d’une éventuelle cohabitation. En 1997, lorsque Jacques Chirac avait dissous l’Assemblée, il avait laissé Alain Juppé, son Premier ministre, conduire la campagne législative. Après la défaite de la droite il avait nommé Lionel Jospin à Matignon et la cohabitation avait pu fonctionner car sur les questions de politique étrangère leurs désaccords n’étaient pas fondamentaux. Ce ne serait pas le cas demain alors que, sur la construction européenne et l’aide à l’Ukraine, les positions du président et du futur Premier ministre seraient irréconciliables. Emmanuel Macron pourrait-il rester à l’Élysée, et, si oui, aurait-il une autonomie suffisante alors qu’ayant mené la campagne, il serait le premier perdant de son camp ?
Voici où nous mène l’exercice solitaire du pouvoir et l’égotisme du président ainsi que l’épuisement de la république présidentielle. Le macronisme risque de finir ainsi comme il a commencé : par un extraordinaire coup de poker. Emmanuel Macron l’avait gagné en 2017. Il risque fort de le perdre en 2024. Le triste paradoxe de cette histoire est que celui qui se voulait le rempart contre le RN pourrait bien être celui qui sera amené à nommer l’un des siens à Matignon.
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