La société américaine face à la contre-révolution trumpiste edit

27 mars 2018

Les orientations de la politique de Donald Trump ne sont pas seulement de nature à polariser dangereusement la société américaine, elles vont également à rebours des évolutions profondes de cette société. De ce point de vue, il est possible de parler d’une contre-révolution trumpiste. Un rapport récent du Pew Research Center met en lumière le fossé générationnel qui se creuse dans la société américaine et les conséquences politiques de ce phénomène.

Ce rapport distingue quatre générations d’Américains : la Millennial Generation (nés entre 1981 et 1996), la Generation X (nés entre 1965 et 1980), la Baby-Boom Generation (nés entre 1946 et 1964) et la Silent Generation (nés entre 1928 et 1945). La comparaison des opinions et des valeurs des membres de ces quatre groupes montre qu’outre le creusement d’un fossé générationnel, les changements produits par le remplacement des générations dessinent une Amérique de plus en plus éloignée du projet politique de Donald Trump et de plus en plus hostile à son action.

Dans deux domaines essentiels, Trump est à contre-courant de la société américaine : la politique sociale et le rapport au monde. Alors qu’il souhaite détruire l’Obamacare, la majorité des Américains, et surtout les plus récentes générations, estiment qu’il est de la responsabilité du gouvernement de s’assurer que chaque Américain bénéficie d’une couverture sociale. Alors qu’il flirte avec les suprématistes blancs, ces générations estiment que la discrimination raciale est la principale cause de l’absence de réussite des Noirs (52% des Millennials contre 28% de la Silent Gen). La politique fiscale du président favorise principalement les plus riches alors que les nouvelles générations estiment que les inégalités économiques aux États-Unis représentent un très gros problème. Trump veut détruire le « big government » de Washington mais les nouvelles générations réclament un « bigger government », offrant davantage de services.

Le fossé générationnel est plus large encore sur ce que devrait être le rapport des États-Unis au monde. Dans toutes les générations, la proportion d’Américains qui estiment que les immigrants contribuent à renforcer le pays est en augmentation importante. Cette opinion est clairement majoritaire dans les nouvelles générations. Celles-ci font massivement confiance à la diplomatie plutôt qu’à la force armée pour assurer la paix et estiment qu’il faut prendre en compte les intérêts des alliés, quitte à passer avec eux des compromis, plutôt que de suivre le seul intérêt national, au moment où M. Bolton est nommé conseiller du président à la Sécurité nationale. La vision des États-Unis comme étant la puissance dominante dans le monde n’est plus partagée par les nouvelles générations. Contrairement à leurs aînés, les jeunes Américains considèrent que l’ouverture de leur pays au monde est essentielle pour les États-Unis comme nation alors que les anciennes générations voient au contraire dans cette ouverture le risque d’une perte de l’identité nationale. Il en va de même s’agissant des relations commerciales, en particulier à propos du traité de libre échange nord-américain, le NAFTA. De même, les nouvelles générations sont clairement opposées à la construction d’un mur à la frontière mexicaine au moment où le président a menacé de mettre son veto sur le projet de budget du fait de l’absence de crédits suffisants pour sa construction. Enfin si l’ensemble des générations ne remettent pas en cause la réalité du réchauffement climatique, les plus jeunes sont les plus nombreux à rejeter cette remise en cause, alors que Trump voudrait se retirer de l’accord climatique. Quant à la génération qui n’a pas encore le droit de vote, elle vient de montrer qu’elle est à l’avant-garde du mouvement pour le contrôle des armes à feu. Lors des grandes manifestations du 24 mars, ce mouvement ne s’est-il pas incarné dans cette jeune fille de 11 ans (voir photo NYT) qui, prenant la parole au nom des victimes de Parkland, a captivé son auditoire en s’écriant : « never again ».

Le fossé générationnel trouve sa correspondance au niveau politique, les nouvelles générations désapprouvant massivement l’action du président actuel. Ainsi, le taux d’approbation de Donald Trump comme président passe de 46% dans la Silent Generation à 27% chez les Millennials. De même, les préférences pour le prochain vote au Congrès diffèrent fortement d’une génération à l’autre. Ainsi, en 2018, le rapport Démocrates/Républicains est respectivement de 62/29 dans la génération Millenium, 51/41 dans la génération X, 48/45 chez les baby-boomers et enfin 45/51 dans la Silent Generation.

Deux changements profonds qui affectent la société américaine expliquent pour une large part le fait que le renouvellement des générations se fasse politiquement au détriment du vote républicain : l’augmentation du niveau d’études des Américains et la diminution chez eux de la croyance en Dieu.

Aux États-Unis, on constate une forte augmentation du nombre de jeunes, âgés de 25-29 ans, qui ont au moins un bachelor’s degree (équivalent de la licence). La proportion est passée de 25% à 33,5% entre 1995 et 2012. Une forte corrélation existe entre le niveau d’études et le vote démocrate. Le rapport démocrate/républicain est ainsi passé respectivement, de 1994 à 2017, chez les Blancs non hispaniques, de 46/47 à 58/37 chez ceux qui ont une « post graduate experience », de 34/59 à 49/46 chez ceux qui ont au moins quatre années de college, de 35/55 à 39/55 chez ceux qui ont fréquenté le college et enfin de 42/47 à 35/48 chez ceux qui n’ont pas fréquenté le college. On voit que non seulement la corrélation est forte entre le niveau d’études et la préférence politique mais aussi que, de 1994 à 2017, l’augmentation du vote démocrate a été particulièrement élevée chez les Américains ayant les niveaux d’études les plus élevés. Du coup, tandis que l’électorat républicain comporte une proportion de college graduates qui est restée stable à 28%, l’électorat démocrate a vu cette proportion passer de 24% à 39%. Le remplacement de générations ayant un faible niveau d’études par des générations plus instruites joue ainsi clairement au bénéfice du Parti démocrate. Trump, qui déteste les universités et la recherche, a dû s’en apercevoir.

La croyance en Dieu diminue significativement d’une génération à l’autre, et avec elle l’importance accordée à la religion. Ainsi, la proportion d’électeurs inscrits qui estiment nécessaire de croire en Dieu pour bien se conduire moralement est respectivement de 63% dans la Silent Generation, 49% dans la génération Baby-Boom, 43% dans la X Generation et seulement 28% dans la Millennial Generation. Chez l’ensemble des électeurs blancs non hispaniques qui se déclarent non affiliés à une religion, le rapport démocrate/républicain est passé de 52/33 à 68/22 en une dizaine d’années. Ce groupe qui représentait il y a dix ans 9% des électeurs démocrates en représente aujourd’hui le tiers.

Ajoutons enfin que la proportion de Blancs diminue régulièrement au sein de la population américaine alors que le vote des minorités est massivement en faveur du parti démocrate. Cette proportion est de 79% dans la Silent Generation, 72% dans la Baby-Boom Generation, 61% dans la X Generation et 56% seulement dans la Millenium Generation.

L’ensemble de ces données font ressortir le caractère contre-révolutionnaire du projet trumpiste du point de vue des évolutions profondes de la société américaine et l’inéluctabilité de l’affrontement entre le président et cette société, affrontement qui ne peut que déboucher sur l’échec de la contre-révolution dirigée par Donald Trump.